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La Route du Rock

Saint-Malo, du 17 au 19 août 2023

Live-report rédigé par Fabrice Droual le 22 août 2023

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La Route du Rock est depuis longtemps mon festival préféré. Plusieurs raisons à cela ! D'abord par chauvinisme régional et surtout par amour pour « la musique pas comme les autres » que le festival défend depuis trente-et-un ans. Nulle part ailleurs vous ne verrez une telle affiche, qui sait faire la part-belle aux grosses pointures (au niveau indé) tout comme aux talents en devenir. Plus de trois décennies que cela dure et, à titre personnel, c'est un retour pour la seconde année d'affilée au fort en version tintin reporter. Privilège pour certains, mission quasi évangélique pour moi, mon Nikon et mes deux oreilles. Comme ma très lointaine cousine Lucie, j'ai su assez rapidement m'appuyez sur mes jambes et redresser la tête pour regarder au loin l'horizon. C'est ce que j'ai fait en arrivant sur le site alors que mon regard découvrait cette structure monolithique noire qu'est la scène du fort Saint-Père et que les premiers sons résonnaient. Une nouvelle odyssée allait pouvoir commencer en cette première journée de la 31ème édition de la Route du Rock, Collection Eté. Avec une programmation annoncée post-punk et des pointures en têtes d'affiche, il n'est pas évident d'être le premier à en découdre pour l'ouverture du festival.


C'est une nouvelle fois au Canada qu'il revient d'enfanter ce courageux héros des temps modernes (comme en 2022 avec Cola). Son nom n'est pas Bond, mais Personne, son prénom Jonathan et non pas Paul. Sa musique est minimaliste et non pas post-punk alors, cherchez l'erreur ! Il n'y en a pas. Jonathan Robert alias Jonathan Personne, chanteur et guitariste du groupe post punk montréalais Corridor, a laissé ses acolytes et nous livre ici une prestation entre dream pop, rock psychédélique et krautrock avec interprétation en français dans le texte pour le démarrage calme d'un festival bruyant.


On va vite se rendre compte que la basse reprend le dessus du côté de la grande scène du fort avec les Anglais de Dry Cleaning. 18h50 est un horaire de passage un peu curieux pour ce groupe qui en l'espace de trois ans et deux albums, New Long Leg et Stumpwork, a su rendre ses titres de noblesse au genre spoken-word. Avec cette notoriété, ils auraient pu prétendre à un horaire prime time. Dry cleaning est issu de la rencontre en 2017 de trois musiciens, Tom Dowse (guitariste), Lewis Maynard (bassiste) et Nick Buxton (batteur) avec Florence Shaw, artiste et photographe. Celle-ci n'hésitera pas d'ailleurs à immortaliser la foule venue l'applaudir de quelques clichés en fin de concert. De mon côté, j'attaque généralement un concert par l'observation vestimentaire des membres du groupe (c'est mon côté fashion mode). Futile, mais révélateur d'un esprit de groupe (hommage au groupe Interpol pour les plus anciens de la classe 2001). Bon démarrage pour les Dry Cleaning et leur dress-code commun à beaucoup de rockeurs du festival : le noir, bien évidemment. Lewis, à la basse, en est recouvert de la tête au pied (barbe et tignasse longues inclus). Tom à la guitare également, à l'exception de ses cheveux joliment peroxydés rose orangé. Tout au long du set, sa fantaisie et l'expression de son plaisir sur un visage grimaçant et une bouche se distordant au son de ses cordes me mettent en joie. Nick, en retrait à la batterie, n'a sans doute pas eu le temps de s'aligner avec ses camarades et seules ses claquettes contrasteront avec son tee-shirt blanc ABBA. Bien sûr, en tête de défilé, Florence la magnifique n'est pas restée stoïque derrière sa frange. Au contraire, elle porte, étrangement autour du cou, une robe écaillée sur une tunique noire. Rouge à lèvres et ongles noirs sont du plus bel effet façon Morticia de la famille Addams. Une beauté fatale qui nous parle vie quotidienne et animaux domestiques : mais où est donc passée la tortue Gary Ashby ?
Dès les premières notes, on reconnaît le son singulier Dry Cleaning, avec sa ligne de basse addictive, rejointe par des réverbs de guitare, entrelacées de la voix grave et sèche de Florence Show en mode parlé. Les titres phares des deux albums constituent le gros de la setlist et, sur la fin du concert, c'est la section rythmique qui m'impressionne le plus. La basse se fait groovy, presque funky, et apporte du relief à des morceaux qui peuvent parfois lasser par leur uniformité en « écoute salon ». L'harmonie entre les musiciens et les phrases prononcées de manière souvent monocorde par Florence Shaw nous inspirent une banale conversation de rue et il se peut qu'à cette heure où chacun raconte son arrivée sur le site et ses tracas logistiques, l'assemblage des deux soient propice à une attention progressive du public. Bon timing au final, nous voilà déjà comblés pour ce cinq à set.


On pourrait plutôt dire « consolés ». En effet, le ciel nous était tombé sur la tête quelques heures plus tôt à l'annonce de l'annulation de la tête d'affiche du jour (pour moi en tous cas), les Suédois excités Viagra Boys. Le frontman Murphy à l'allure déglinguée et aux abdominaux défunts s'étant excusé par un communiqué de presse auprès de ses fans. Il faut espérer que ce magnifique « Loser » et sa bande de furieux nous reviennent l'année prochaine, histoire de nous régaler de leur musique qui agit comme la fameuse pilule et vous laisse généralement éparpillé façon puzzle aux quatre coins du fort. A défaut des « Smecta Boys », c'est donc au pied levé (ça marche finalement !), que la Route du Rock nous propose le groupe Squid.
Cinq garçons dans le vent, venus de Brighton avec leur pop psychédélique expérimentale, mélangeant des rythmiques krautrock allemand à la sauce Neu. Squid squeezent les structures classiques de la pop, et nous proposent des morceaux à rallonge entretenus par la voix de Ollie Judge, chanteur et batteur du groupe. « Un concert de remplacement » s'excuse presque celui-ci à l'entame du set, en expliquant ne pas être le gars qui a le Viagra. Très vite, le groupe nous montrera qu'il en a sous le coude et que ce n'est pas pour rien qu'on le présente généralement comme celui dont la planète pop a besoin. Révélé en 2021 avec Bright Green Field, le groupe anglais nous jouera ce soir des extraits de leur second LP O Monolith, sorti en juin dernier, et confirmera aux plus sceptiques que sa musique, par sa construction et son « expérimentation », a quelque chose de plus stimulant que la moyenne. Le tout en souriant, avec effet placébo : merci pour cette reprise très fidèle du titre Sports des regrettés Viagra Boys.


Il n'est que 21h15 au premier jour du reste de ma vie. Le line-up étant un peu bouleversé, c'est avec un peu de retard que je me présente côté rempart. Nous voilà entre de bonnes mains irlandaises, en tous cas pour ceux qui apprécient les rendez-vous chez le spécialiste, estampillé sur sa plaque « médecin tornades sonores ». Même si le nouveau nom des Girl band est Gilla Band, on ne peut pas dire que ces quatre-là se soient assagis au moment où ils perdaient leur genre. Reste à savoir si Gilla Band sans Viagra : oui pour les puristes, mouais pour les autres ! Most Normal, leur dernier album, ne ressemblant à rien de ce que nous avions entendu auparavant, il est normal que nous ressortions de ce set déconcertés. Un éventail de bruits mis au service de chansons pop-post punk déstructurées, truffées d'effets spéciaux futuristes pour dancefloor. Du noise rock, un peu trop expérimental, pour mes oreilles, qui n'ont certainement pas perçu derrière cette vague de bruit le fracas subtil des guitares distordues, les beats électro de la batterie torturée, et une basse répétitive bienveillante. Que dire sinon de la voix de Dara Kiely ? Chanteur de génie ou cancre vocal ? Surnageant au-dessus de la cacophonie instrumentale, le jeune homme crie ses paroles de manière dissonante, jusqu'à s'en briser la voix. Et si c'était cela être punk ?


Voilà, c'est fait, les oreilles sont bouchées, restent les yeux, sens approprié pour assister au concert de M83 qui revient au fort vingt ans après sa dernière prestation nous présenter son nouvel album Fantasy. Le Français Anthony Gonzalez conduit désormais sa barque seul et combine toujours aussi bien guitares et synthés. Son dernier opus se révèle réellement en live et je l'accueille comme une pause salutaire en ce jeudi au trop plein d'énergie. Même si le foisonnement de musiciens aux gestuelles sur instrument surprenantes me déconcerte, je ne peux que constater un plaisir collectif du jeune public venu massivement assister au show.


Les programmateurs de cette 31ème édition ayant concocté le line-up du jour comme si c'était la dernière avant la fin du monde, voilà qu'il nous faut nous replonger dans le monde post punk avec les Américains de Special Interest. Avec Endure, leur opus paru en 2022 chez Rough Trade Records, l'idée défendue par le groupe queer de Louisiane n'était pas de nous faire souffrir, mais au contraire de nous faire danser ou au moins transpirer. Du bruit boîte de nuit pour punk énervé au Squida, secoué au Gilla, reposé au M83 et en route pour la suite des hostilités ! C'est réussi et ce n'est pas sans intérêt, au moins au début. Cela aura eu le mérite de nous faire passer minuit et de basculer dans le monde psychédélique des Australiens de King Gizzard & The Lizard Wizard.


Avec une discographie aussi pléthorique (pas moins de vingt-trois albums depuis leurs débuts) que variée, les Australiens explorent avec bonheur toutes les esthétiques : du rock garage à la musique western, du folk barré au trash metal. La bande, emmenée par le chanteur guitariste Stu Mackenzie, est impressionnante sur scène. Le lézard en a sous le pied, il ne se contente pas de se dorer la pilule au soleil, il sait devenir roi et dragon Pédro, oscillant entre riffs métalleux et envolées psychédéliques.
Les hordes de fans, véritable communauté de l'anneau australien, sont ravis. Malgré un état de fatigue avancé, ils ont su garder un supplément d'énergie pour slamer et pogoter sous les feux de la rampe. Trop fatigué, je rejoins le parking « champ de blé », pressé de ne pas rester bloqué dans une chenille automobile, et ne contribuerai donc pas au nouveau record mondial de 3941 participants de chenille humaine.

J'ai choisi l'option, comme un « vieux papillon », de m'envoler vers une contrée plus calme, repu et heureux de clore ce premier chapitre estival de la Route du Rock. Pour les plus courageux (et généralement plus jeunes), la nuit se poursuivra dans les douves du Fort, lieu de détente et d'aftershows fiévreux avec les sets DJ de Marie Davidson et Magnetic Friends.
artistes
    M83
    King Gizzard & The Lizard Wizard
    Squid
    Dry Cleaning
    Gilla Band
    Special Interest
    Jonathan Personne
    Marie Davidson (DJ set)
    Aoife Nessa Frances
photos du festival