Vendredi dernier, le Point Ephémère accueillait une soirée dédiée au label anglais WIAIWYA
(Where Is At Is Where You Are) avec la venue de trois de ses groupes emblématiques : Freschard, Darren Hayman ainsi que The Wave Pictures.
La pluie a peut-être aidé mais la salle du quai de Valmy est déjà abondamment remplie à 20h30 quand un musicien parisien,
Wilfried, entame un minuscule set acoustique de trois chansons. Dans la tradition des chansons françaises à texte, le chanteur adapte ses ballades éléctro-pop avec une nonchalance à la limite de la provocation, mais les compositions sont vraiment à la limite du simplisme. Sur la troisième chanson il oublie les notes et ne parvient pas à se dépêtrer, et propose alors in extremis un quatrième morceau histoire de ne pas repartir sur un échec. Sa véritable mission ce soir sera d'assurer un DJ Set entre les groupes et en fin de soirée.

C'est à une jeune française,
Clémence Freschard, de prendre le relais accompagnée des trois membres de The Wave Pictures ainsi que de Stanley Brinks, l'ex-chanteur de Herman Düne. Les ballades langoureuses évoluent entre blues et folk, bien rehaussées par le talent de David Tattersall qui parvient à insérer quelques belles lignes mélodiques de guitares entre les couplets de la chanteuse. Stanley Brinks est en retrait et attaque à l'occasion un court solo déstructuré sur sa guitare, échangeant de brefs regards avec le leader des Wave Pictures. Il ne chantera que sur une seule chanson, en duo, et c'est bien dommage car sa magnifique voix est infiniment au-dessus de celle de Clémence Freschard, qui ne possède ni coffre ni accent anglais. Au niveau du style on se situe exactement dans la veine minimale et tranquille de Herman Düne, et reconnaissons que des morceaux comme
And The Rain ou
Chees And Crackers sont tout de même bien écrits.

Le Point Ephémère est noir de monde quand
Darren Hayman, chanteur folk plus que prolifique, arrive seul sur scène accompagné d'une basse qu'il a transformée en guitare. L'Anglais débraillé au look de doux rêveur ne prend même pas la peine d'enlever son écharpe et son manteau avant d'entamer ses ballades mélancoliques devant le public qui l'acclame. Hayman aime les lettres et soigne ses textes, se voyant plus comme l'héritier des conteurs que comme une rock star. Ses morceaux extrêmement simples ne sont que l'habit sobre qui enveloppe ses histoires, histoires qu'il ne se prive d'ailleurs pas de prolonger entre deux interprétations. Bavard à l'extrême, il pose son point de vue sur de nombreuses choses avec un sens aigu de l'absurde et de la dérision, suscitant rires et curiosité chez le public pendu à ses lèvres. Il cherche ses mots, fait dans l'humour british trash avant d'entamer un nouveau morceau, toujours fragile et souvent triste, allant parfois jusqu'à pousser l'a capella durant de très longues secondes. L'Anglais est dans le message, la parole, parfois même plus que dans la musique elle-même, et il faut admettre que peu de chansons sauront marquer la mémoire d'une empreinte indélébile. Peut-être le prix à payer pour une productivité aussi impressionnante. Ce qui est sûr est que le personnage, le bagout et le style marquent.

Il est 22h30, la foule est toujours aussi compacte, la chaleur et la tension montent encore jusqu'à l'arrivée de la tête d'affiche de la soirée,
The Wave Pictures, lesquels viennent défendre ce soir en avant-première leur huitième album,
Great Big Flamingo Burning Moon. Le trio attaque pourtant tranquillement avec
Before This Day et son riff rockabilly, mais la foule est déjà chaude, sans doute car le volume sonore est très nettement supérieur à celui des formations précédentes. Le premier solo que lâche Tattersall n'arrange rien et provoque une nuée de cris enthousiastes chez les spectateurs probablement étonnés d'entendre ces envolées démentielles surgir d'un guitariste à l'allure tellement sobre. Ceux qui ne le connaissaient pas encore le comprendront vite, le chanteur anglais aime la guitare et ne se prive pas quand il s'agit de servir une bonne dose de décibels avec un don inné du compromis entre technique et mélodie. Le son monolithique du groupe ne dérangera personne tant les chansons sont efficaces et bien construites. Tattersall, apparemment surpris par l'ambiance électrique de la salle, arrive malgré son caractère plutôt timide à haranguer la foule et lorsqu'il annonce une chanson de nouvel album il hurle aussitôt après
« Yeeeeeah ! New songs ! » et attaque
The Telephone, un single accrocheur survitaminé.
Jonny Helm, le batteur, chante une version d'
Atlanta bien plus musclée que la version studio, et avec un grain de voix étrangement proche de celui de son comparse. Le déluge de distorsion reprend avec le morceau éponyme du nouvel album, et l'on perçoit peu à peu la patte de Billy Childish, l'artiste exubérant et idole du trio qui a écrit l'album. Chansons courtes, sons bruts, tempo rapide, voilà la recette de ce huitième opus qui ne trahit en rien la rigueur esthétique des Londoniens. Tattersall ne s'arrête plus et surenchérit dans la rapidité et l'improvisation, avec une concentration et un renfermement qui contrastent étrangement avec la foule, il n'est pas de ceux qui s'inventent un personnage. Après une belle pause où le batteur a de nouveau la part belle (
Now You Are Pregnant), le groupe s'attire une nouvelle salve d'acclamations quand il annonce une reprise de Creedence Clearwater Revival : ce sera
Green River, l'un des plus grands tubes du groupe américain. La cohérence des styles est totale, et The Wave Pictures sait honorer ses héros sans les recopier. La recette du concert qui décolle n'a pas de secret pour eux et c'est assez logiquement que le show se conclut par
Leave The Scene Behind et son refrain dévastateur qui sera repris par la majorité de l'audience survoltée.
Les Anglais quittent la scène sous un brouhaha d'applaudissements mais ne tiennent pas dix secondes avant de revenir interpréter
Sinister Purpose, une autre reprise de Creedence Clearwater Revival également présente sur leur dernier album. Prévue ou improvisée, ce sera la sublime
Sweetheart qui fera guise de clôture au concert, avec une version attaquée a capella par les trois musiciens, sans même se servir des micros. Les instruments reviennent tout doucement sur le deuxième couplet, avant de voir revenir Stanley Brinks et Clémentine Freschard qui les accompagneront sur la fin, comme les accompagnent d'ailleurs l'intégralité de la salle. Égrenant
« I wish I didn't have to go », il n'y avait pas meilleur choix possible.