Il est de ces soirées où l'on se retrouve dans une salle de concert en ignorant tout du groupe qui s'y produit. Comment ? Avec leurs longues années de pratique et pour certain les premiers signes de la presbytie qui pointent, les journalistes de Sound Of Violence ne connaissent pas tous les grands noms de la scène britannique et irlandaise, surtout les formations avec déjà quatre albums au compteur, dix ans de carrière et qui se produisent dans des salles de plusieurs milliers de personnes dans leur contrée ?
Le sarcasme est inutile. Votre chroniqueuse plaide coupable et c'est donc attirée par les retours plus que positifs parmi ses proches et à la lecture de la chronique du dernier opus
False Lankum paru il y a presque un an qu'elle se rend au Trabendo pour découvrir les irlandais Lankum, accompagnée de 699 autres spectateurs, beaucoup déjà initiés au folk expérimental des dublinois (nous remercierons au passage Aline et Michelle qui nous ont sympathiquement briefé grâce à un article de trois pages issu de Télérama, soigneusement conservé dans une pochette plastifiée).

Reconnaissons également que par manque de temps la discographie n'a été que partiellement balayée avant cette soirée. C'est donc une rencontre cash, face to face, sans aucun filtre qui se profile. Ce sont les risques du métier et ce qui apporte bien souvent ce petit piment qui rend notre activité palpitante. Les lecteurs adeptes de Lankum doivent donc se douter à la lecture de ces premières lignes que le choc a été de taille. Non, Lankum n'est pas un énième groupe de folk traditionnel irlandais, oui son style extrêmement personnel et expérimental ne permet aucun positionnement médian : on adore ou on déteste, et c'est cet aspect anguleux et complexe qui rend leur musique encore plus fascinante.
Le groupe donne ce soir la première des deux représentations rescapées de la tournée qui initialement s'étendait dans tout l'Hexagone. Un communiqué paru il y a quelques semaines annonçait qu'afin de préserver leur bien-être mental, la majorité des concerts étaient annulés sans date de report. Paris et Rouen étant maintenus, nombre de fans se sont retrouvés sur la touche. Notre rôle n'étant pas de juger l'opportunité d'une telle décision, nous tenterons plutôt d'encourager les spectateurs éconduits à être patients car Lankum ayant conscience de l'amour que leur porte le public français, leur retour se fera dès que possible. En attendant, les Parisiens et toute une petite tribu d'Irlandais présente (certain d'entre eux un peu moins anonymes que d'autres, Grian Chatten de Fontaines D.C. étant avec nous pour encourager ses compatriotes) profitent de la grande dextérité de ces quatre musiciens hors du commun.

Assis en rang d'oignons, à leurs pieds les multiples instruments joués (de la guitare au violon pour les plus communs en passant par divers types d'accordéons, une flûte, une vièle, une cornemuse irlandaise et de nombreuses boîtes à samples), Ian Lynch, Daragh Lynch, Cormac MacDiarmada et Radie Peat vont durant une heure et demie produire un set intense au sein duquel figurent nombre des titres issus du dernier album
False Lankum et le retour de quelques autres plus rares et chéris par le groupe comme
Lullaby. Seulement une douzaine de morceaux car la musique de Lankum se veut immersive et profonde, leur univers ne pouvant se résumer en trois minutes. Les histoires narrées par Lankum, bardes modernes, sont le reflet de la vie sur leur belle île verdoyante, loin du côté un peu tonitruant et festif que peut porter la musique folklorique traditionnelle.
C'est ce mélange audacieux qui rend la musique de Lankum étonnante. Cependant, force est de constater que son approche n'est pas si aisée : nombre d'esprits peu sujets à la contemplation ou à la méditation peuvent rapidement s'agacer de ne pas se laisser noyer sous un déluge de rythmes. Notons que le groupe se produit sans aucune percussion, marquant le tempo avec leurs propres pieds ou à l'aide d'une boîte à rythmes somme toute discrète sur quelques morceaux. Le chant et les variations apportées par les multiples couches d'instruments, pour la plupart très artisanaux, sont le souffle et les constantes du concert.
Les membres de Lankum n'hésiteront pas à s'adresser au public, remerciant chaleureusement les présents de l'accueil, se remémorant leurs premiers pas à la Philharmonie il y a quelques années et s'amusant de la réaction un brin perplexe du public à ce moment-là. Tout cela avant un retour gagnant à Petit Bain l'an passé et le bon accueil de leur dernier disque. On devinera néanmoins sur les visages un peu tirés que nos amis ont bien besoin de repos, ayant assuré des concerts d'une toute autre envergure chez eux. Cependant, c'est avec malice que la pression retombe et les blagues avec les Irlandais présents dans la salle ainsi que les anecdotes fusent.

Ian Lynch nous racontera alors la genèse de leur reprise
The Old Man Drag des Pogues, ce dernier vêtu d'un magnifique tee-shirt arborant la face délicieusement ahurie du héros national. Lankum étaient présents il y a six ans lors de la soirée en l'honneur de Shane MacGowan, alors très affaibli mais toujours d'attaque s'agissant de réunir ses amis. Figuraient à la liste des invités Johnny Depp, Nick Cave et Bono (sympathiquement qualifié de « cunt », ce qui honnêtement ne nous étonne pas) ainsi que le président de l'Irlande venu offrir à Shane une récompense pour sa carrière. Bien que l'évènement leur parût cocasse, le groupe y avait alors interprété
The Old Man Drag à sa sauce épurée, tendant vers le cosmique, et c‘est cette même version qui nous est jouée ce soir. On ressent beaucoup d'émotion parmi les musiciens et une fin de concert avec un « faux rappel » qui nous offre alors
Bear Creek, titre plus enjoué qui clôture la soirée sur une belle touche de folklore irlandais un peu plus familier du grand public.
C'est sur cette note joyeuse que le concert se termine. Lankum est réellement un groupe à part, composé de musiciens extrêmement doués et inventifs qui offrent une nouvelle lecture de leur musique traditionnelle, la faisant parfaitement rentrer dans le 21ème siècle.