Le chapiteau du Cabaret Sauvage à Paris est complet pour cette double affiche. Les deux groupes n'ont pas évolué sur les mêmes scènes, plutôt new wave des années 80 pour The Chameleons, et pré-Britpop des années 90 pour The Wedding Present, mais l'un comme l'autre sont arrivés au mauvais moment ou n'ont pas signé sur le bon label pour accéder à la célébrité. Avec le recul du temps les styles se confondent, et ils ont aujourd'hui plus en commun qu'il n'y paraît. Ils sont techniquement post-punk, ont des chanteurs charismatiques et cette même aura de groupes qui ont de la bouteille.
Quand j'entre dans la salle à 19h45, des musiciens sont déjà sur scène. Je ne reconnais pas le titre mais c'est trop carré et trop puissant pour être une simple première partie. Et pourtant ça joue avec toute la fragilité et l'humilité d'un groupe qui démarre. En me rapprochant, je vois que l'âge des membres du quatuor totalise bien deux siècles, et je reconnais alors
The Wedding Present. Un ami me dit que je n'ai raté que la première minute. Le groupe vient juste de faire son apparition et il a déjà pris possession des lieux. Il tient le public dans ses mains, l'ambiance est merveilleusement tendue, les guitares sont cristallines, la batterie légère et le chant assuré. Il a pourtant fait le choix osé de commencer son set par deux nouvelles chansons encore inédites mais qui laissent présager d'un très bon album à venir.
Après un aperçu du futur, retour vers le passé : cette tournée célèbre les trente-cinq ans de
Bizzaro. Le set prend une tournure plus brute, et le tempo s'accélère pour jouer les chansons d'un jeune groupe qui sortait son premier album sur une major après avoir autoproduit le précédent. La voix de David Gedge a évolué, originellement de tonalité plutôt nasale, elle s'est adoucie et a pris du grain tout en restant dans les basses. Je préfère cette version mûre qui fonctionne très bien avec ces morceaux plus directs.
Le light show prend des airs rétro avec des spots blancs qui clignotent en mode ultra minimaliste, du temps où les couleurs coûtaient plus chères et que les LED n'éclairaient pas grand chose. Dans un français hésitant et pourtant parfait, David introduit
No : “J'aime bien cette chanson parce que c'est comme jouer trois chansons à la fois”. Il ne fait pas que chanter, il joue véritablement les chansons comme au théâtre, sa guitare l'empêche de mimer mais il s'en rapproche. Le chanteur est le seul rescapé de la line-up original, le reste du groupe l'a rejoint l'année dernière et pourtant il y a déjà une vraie complicité sur scène comme sur le final dantesque de
Kennedy. David Gedge est tellement content de l'accueil parisien qu'il lâche qu'ils vont s'installer ici, et apparemment le groupe n'était pas au courant ! C'est en réalité la parfaite intro pour
What Have I Said Now?.
Les chansons de
Bizarro sont intenses et les parties de guitares finissent de manière épique. A tel point que David casse une corde sur
Bewitched. Le changement d'instrument lui permet de reprendre son souffle avant d'attaquer les neuf minutes de
Take Me. C'est culotté de jouer une chanson comme ça sur scène, et ils ont bien fait d'oser, le temps file, les guitares rugissent, le public est en transe. En toute franchise, il avoue que
Be Honest est sa chanson qu'il aime le moins en live, je ne saurais pas si la remarque est un clin d'œil au titre, parce que c'est le dernier de l'album ou s'il l'aime vraiment moins parce qu'il n'y a rien à redire. Un seul autre titre et pas de rappel, le concert se termine sur
My Favorite Dress, extrait de leur premier album. Hormis les deux nouveaux inédits joués en ouverture, le show aura véritablement été tourné vers le passé.
Avec ce double concert de groupes mûrs, l'entracte est propice à la rencontre de vieux potes. Mais on a à peine le temps de se donner des nouvelles que la cloche du bar sonne et que les premières notes de
Monkeyland résonnent. Ce n'est qu'un gimmick d'intro,
The Chameleons entament par
Mad Jack, le titre qui ouvre également
Strange Times, leur troisième et dernier album pré-séparation, car ils ont aussi ça en commun avec The Wedding Present : avoir splitté avant de se reformer, autour de leur chanteur et de leur guitariste dans le cas des mancuniens.
Le rendu est très propre et respecte le son très clair des guitares. Après des tournées consacrées à leurs deux premiers albums, ce set sonne plus authentique qu'une commémoration nostalgique.
Caution est une chanson à rallonge qui laisse les musiciens improviser et se chauffer comme l'a fait le précédent groupe avant eux. Cette double tournée n'est décidément pas un hasard.
Les grincements d'intro de
Monkeyland résonnent à nouveau dans la salle, et cette fois-ci c'est la bonne. Ce morceau me retourne, et aux cris dans le public je ne suis pas le seul à l'avoir placé dans ma playlist des essentiels. L'interprétation est puissante et directe, ce groupe de la seconde moitié des années 80 mérite son étiquette post-punk. Le tempo monte encore d'un cran sur
Looking Inwardly enrichi de nouveaux motifs de guitares.
Soul In isolation est un autre titre au final épique : d'une durée déjà de sept minutes en version studio, en live il s'enrichit d'extraits d'
Eleanor Rigby des Beatles ou de
There Is A Light That Never Goes Out de The Smiths, un groupe qu'ils ont eu l'occasion de croiser puisqu'ils ont opéré sur la même période à Manchester. L'intro de
Swamp Thing fait son petit effet et le Cabaret Sauvage marque le tempo.
Après avoir joué des morceaux de leur trois premiers albums, et oublié l'unique disque (qui n'avait pourtant rien de honteux) sorti pendant leur reformation, les anglais jouent une nouvelle chanson,
Where Are You?. Déjà sortie sur les plateformes numériques, elle figurera sur
Arctic Moon, à paraître l'année prochaine. Là où l'album de 2001 mettait en avant les guitares acoustiques, ce morceau est très électrique avec beaucoup de distorsion. Le refrain final est intéressant et joue sur la nostalgie via des accords mineurs. Le cinquième disque en quarante ans de carrière (dont trois dans les cinq premières années) est le signe que les Chameleons sont devenu un groupe de scène par la force des choses. Pour le dernier titre, Mark Burgess se libère de sa basse qui est récupérée par le claviériste. Il nous annonce une mauvaise nouvelle, nous allons tous mourir (pas ce soir), et il nous invite à faire le plein d'expérience pour partir après une vie bien remplie. C'est le thème peu joyeux mais hyper stimulant de
Second Skin. Les bras ouverts, le chanteur fait penser à Bono.
Il n'y aura qu'un petit rappel, avec leurs compositions à rallonge, les setlists ne peuvent comporter qu'une douzaine de titres.
Don't Fall est parfaite pour clôturer une belle soirée riche en émotion, le public est électrisé et rechargé à bloc, prêt pour le week-end.