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Dog Race

Return The Day EP

Dog Race - Return The Day EP
Chronique Single/EP
Date de sortie : 06.06.2025
Label :Fascination Street Records
45
Rédigé par Adonis Didier, le 5 juin 2025
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Bedford, Angleterre. Le milieu de rien. Un long canal, remonté seulement par les cygnes et l'entraînement des jeunes rameurs en uniforme. Un héron guette patiemment sur la berge, caché dans la brume qui recouvre le paysage hivernal. Des rangées d'arbres irréels et informes apparaissent et disparaissent de la grande masse blanchâtre, de cet air opaque et froid qui recouvre la ville six mois par an. Un pont, de la buée sur les vitres d'un pub, une lumière chaude, des odeurs de friture, de viande grillée, de bière renversée sur une table, mais quelque chose m'empêche d'y entrer. Derrière moi, une explosion. Une explosion qui n'existe que dans ma tête, propagée par la brume glacée depuis un point que je ne vois pas mais que je devine, que je sais. Le son m'appelle depuis l'ancienne église, depuis ses tombes si vieilles que même les morts en ont oublié l'existence, depuis les pierres, les vitraux, les arches, et cette cloche qui ne sonne que d'un silence glaçant l'alignement des aiguilles. Comme si tout le son du monde avait été remplacé par un autre, derrière cette porte, à l'intérieur de l'église, le son de cette jeune fille à la robe rouge, aux cheveux noirs, assise devant son piano, la tête droite regardant fixement vers la nef l'unique rayon de lumière qui filtre en spirale depuis la tour de l'horloge.

J'aurais voulu demander si elle était réelle, mais comme elle ne semblait pas le savoir elle-même, j'ai simplement écouté. La musique de Dog Race, celle d'une Angleterre perdue dans la brume, à cette heure du jour et de la nuit où la réalité s'efface, à cette heure du jour et de la nuit où le soleil et la lune s'embrassent et en oublient de nous dire quelle heure il est. La claustrophobie d'une immensité, d'un espace si grand et si blanc que l'on ne sait plus quoi peindre dessus, mise en musique par deux enfants de Bedford, Katie Healy et son frère Jed Finkelstein, ainsi que le reste de la course de chiens : James Kelly à la guitare, Will Macnab à la basse, et Dillon Willis aux claviers. Une rencontre entre les graves gothique de Joy Division et les envolées pop lyriques d'Arcade Fire qui commence à un endroit inattendu et fascinant, là où le tonneau rencontre le blaireau. Where The Barrel Meets The Badger lance le premier EP de la carrière de Dog Race sur une longue montée en colimaçon guidée par le chant spectral de Katie, la batterie implacable de Jed, le cliquetis des aiguilles de basse et dans cette lenteur habitée la folie de quelques notes de guitare, une guitare prise de démence face à l'immobilité du destin, face à la réalisation d'une fin inéluctable et du grand vide qui s'ouvrira un jour on ne sait où, on ne sait quand, sur on ne sait quoi.

Dog Race comme les deux faces d'une même pièce, The Leader noie son désespoir existentiel dans la danse et les nappes de synthé, un single impeccable combinant à merveille la nature fantomatique du quintet avec la puissance du rock et l'abandon de soi de la new wave. Mais à trop s'abandonner aux démons de minuit, on veut que le jour revienne et avec lui les couleurs, on veut que Return The Day (Colours) nous ramène à ce jour où tout allait bien, alors qu'on court, poursuivi par une basse qui broie la route comme un chien de l'enfer, hanté par ces notes de guitare glaçantes, cette voix de fausset légère comme les vents de la tempête, grave comme un regard aux jours d'enterrement. Et ce refrain fait de visions d'un Arcade Fire gothique réveille un feu bleuté et noir recouvrant le monde de sa lueur blafarde, de Bedford jusqu'au Wyoming en seulement quarante clins d'œil, 40 Winks To Wyoming. Une longue procession traînant de tristesse en incertitude, de doute en effroi, de terreur en résignation, une trace dans un champ de brouillard dont la seule issue restera éternellement It's The Squeeze, le single qui a lancé la carrière du groupe, déjà produit par Ali Chant sur son label Fascination Street Records, et une chanson qui a depuis mis le nom de Dog Race sur les tablettes de tous les dénicheurs de talent du pays.

S'en est suivi un passage dans tous les festivals indé d'Angleterre et d'ailleurs, une session chez FIP pour les TransMusicales de Rennes, et finalement ce premier EP Return The Day, déjà l'un des meilleurs de l'année pour l'un des groupes les plus prometteurs d'un post-punk inclassable, lyrique, new wave, image de tuyaux d'orgue montant en spirale dans les tours de pierre noire d'un gothique flamboyant à l'abandon, cathédrale glorieuse et oubliée dans une lande brumeuse, gelée, gardée seulement par les moutons et les chiens errants. Return The Day par Dog Race, l'expression d'un sentiment du siècle, celui que le monde est immense et que l'on n'y voit pas à deux mètres, une course de chiens aveugles perdus dans un fog surnaturel et pollué, la truffe saturée de tout sauf de l'odeur de leur maison. Et peut-être aurait-il mieux valu pour eux qu'ils n'en aient jamais eue, maintenant qu'ils errent sans but et se cognent entre eux à la recherche d'un souvenir flou qu'ils ont eux-mêmes inventé.
tracklisting
    01. Where The Barrel Meets The Badger
  • 02. The Leader
  • 03. Return The Day (Colours)
  • 04. 40 Winks to Wyoming
  • 05. It's The Squeeze
titres conseillés
    The Leader, Where The Barrel Meets The Badger
notes des lecteurs