Chronique Single/EP
Date de sortie : 21.11.2025
Label :Nice Swan Records
Rédigé par
Adonis Didier, le 20 novembre 2025
Vers l'infini et au-delà ! Fuzz Lightyear débarquent dans la salle de jeu du punk anglais les pectoraux en avant, le regard assuré, le sourire carnassier : quatre anglais prêts à planter leur drapeau où ils veulent, et c'est souvent dans la gueule (du gouvernement). Contrairement à Buzz, le modèle est unique, fait main dans les bars les plus undergrounds de l'industrieuse Leeds (si tant est qu'il existe des bars pas underground à Leeds) par de petits artisans locaux du noise-post-punk : Ben Parry, Josh Taylor, Varun Govil et Alex Calder.
Une musique du circuit-court éditée par les génies de la découverte que sont Nice Swan Records, vendue directement du producteur au consommateur, et le producteur s'appelle ici Alex Greaves : le chaman noise, punk et électronique du nord de l'Angleterre, un mec avec des références sur le CV comme bdrmm, Working Men's Club, Yard Act, mais surtout Heavy Lungs et Gurriers. Deux noms qui sonnent comme une évidence à l'écoute de ce tout premier EP de Fuzz Lightyear, nommé comme la future autobiographie de Nicolas Sarkozy, Zero Guilt. Zéro culpabilité pour la jeunesse leedsienne, la même pour l'homme en talonnettes, et dans les oreilles le bruit des bottes, du kärcher, des matraques, et d'un cadenas découpé à la disqueuse dans un camp de migrants. White And Green et Sit Awake ouvrent les hostilités sans sommation : ça tape dur, ça crisse, la tête enfoncée dans une méga-bassine de mazout le groupe aura tout siphonné à la bouche, et tout recraché dans son énorme quatorze cylindres pour tanker transatlantique. Un moteur monstrueux rattaché par les essieux à une finesse sonore et atmosphérique signature d'Alex Greaves, la formule qui avait fait du premier album de Gurriers l'un des meilleurs disques de l'année 2024 fonctionne toujours en 2025. Et encore, le meilleur reste à venir.
Résultat des premières sessions du groupe avec le producteur en 2021, l'enchaînement de Aberfan et Berlin, 1885, transitionné par l'instrumentale noise ///, représente le cœur vibrant de l'EP, la pièce montée du grandiloquent mariage officié ici entre noise et post-punk, unis à jamais pour le meilleur et pour le pire. Aberfan, six minutes et trente secondes dédiées des larmes dans la gorge à la plus grande catastrophe minière de l'histoire britannique, six minutes et trente secondes de lentes montées angoissantes conclues en chute libre dans le bruit et la fureur de rails écrasés par la foudre, un tonnerre de Zeus dans lequel chaque dieu reconnaîtra les siens, et gare à vous si vous vous êtes trompés de chapelle. L'une des plus grandes chansons de punk de l'année enchaînée à deux minutes de nappes bruitistes et sursaturées, /// est un tunnel sous la mer du Nord qui débouche en vitesse lumière à Berlin, 1885, bienvenue en 2021 quand le monde ne jurait que par IDLES.
La théorie de la relativité musicale et des paradoxes temporels, le manifeste brutaliste de Fuzz Lightyear qui marque autant sa connexion à l'ancien monde qu'il affirme son entrée dans le nouveau. Le post-punk est mort, vive le noise-punk, et vive le Christ ressuscité : Christ Alive termine l'EP dans un déferlement de tôles froissées, d'acier entrechoqué, une dernière charge policière envers des manifestants qui n'ont qu'un mot à la bouche, Zero Guilt. Car la culpabilité est ici de l'autre côté, chez les gouvernements qui participent à la montée du repli sur soi, de l'intolérance et du fascisme, qui organisent le mal logement et le dérèglement climatique, qui par leurs actions et inactions ont conduit à la tragédie d'Aberfan, au partage colonial de l'Afrique à Berlin en 1885, qui sur l'autel de l'argent, du pouvoir et de la religion ont sacrifié presque autant de vies qu'il en court aujourd'hui sur la Terre.
Zero Guilt, le mot est lancé et la jeunesse manifeste à l'appel du tout premier EP de la carrière de Fuzz Lightyear, une brique rouge de noise et de post-punk envoyée dans les fenêtres du gouvernement britannique pour qu'enfin la honte et l'angoisse changent de camp. Sentez-vous coupable pour une fois, pensez à autre chose qu'à vous pour une fois, et peut-être que l'humanité aura une petite chance d'en sortir grandie. Parce que le point d'inflexion se rapproche chaque jour un peu plus, parce qu'il est peut-être déjà là, ce pâté tracé au crayon gris sur une copie double à carreaux, à partir duquel la question d'en sortir grandi ne fera plus face qu'à une seule éventualité : celle de ne pas s'en sortir.