logo SOV

Sorry

Interview publiée par Adonis Didier le 19 novembre 2025

Bookmark and Share
Quelques heures avant un showcase collé-serré chez Balades Sonores où le duo jouera, je cite, « fort comme au Trianon », l'occasion nous est donnée de discuter une petite demi-heure avec la moitié de la tête pensante de Sorry : Louis O'Bryen.

Louis O'Bryen et Asha Lorenz, réunis sous le nom de Sorry depuis 2014, ont sorti quelques jours avant cette rencontre leur troisième album COSPLAY, comme toujours depuis huit ans chez Domino Records. Un troisième album plus chaotique, plus authentique, rempli d'influences hip-hop et de samples divers, qui redéfinit en partie la manière de faire du rock en 2025, et un thème général costumé qui donnera à parler de Spider-Man et de Jack Sparrow, d'évolution humaine et musicale, de fesses et de Fontaines D.C. Et si vous vous demandez comment tout ça a tenu en une demi-heure, c'est juste en-dessous.

Pour une fois que je fais une interview après la sortie de l'album, j'en profite, comment ça se passe depuis la sortie ?

Bien, bien. On a fait quelques concerts dans la semaine, on a joué à l'ICA (ndlr : Institut des Arts Contemporains) à Londres, au Chalk à Brighton, et moi et Asha on va faire un showcase ce soir à Paris et demain à Berlin. C'est cool de jouer autour de la sortie de l'album, ça donne une meilleure perception de comment les gens l'apprécient.

Et ça se passe comment une journée de sortie ? C'est encore spécial pour un troisième album ?

C'est vraiment bizarre comme jour, parce que tu passes tellement de temps à bosser sur un album, à attendre que ce soit enfin prêt, et à un moment ça sort et... c'est fini, voilà ! Et il n'y a plus rien que tu puisses changer à ce moment-là. Par exemple, là, vendredi dernier quand l'album est sorti, je suis allé faire du vélo parce que j'étais un peu stressé, et le soir on avait le concert à l'ICA. Plutôt une bonne journée. Quand le premier album est sorti c'était en plein milieu du confinement, et même si pour le deuxième on a fait quelques trucs, là c'était une nouvelle expérience très agréable, de faire un concert dès la sortie, pour évacuer et juste profiter, sans trop réfléchir et tourner en rond.

Ce nouvel album s'appelle COSPLAY, avec un thème où chaque chanson se veut un peu être un cosplay, un déguisement. Tu rêvais d'être quelqu'un d'autre ou tu te déguisais quand t'étais enfant/ado ?

Oui, je voulais être Spider-Man, ce n'est pas très original. C'était le premier vrai truc, et plus tard, adolescent, je m'habillais en skateur et je faisais semblant d'en être un. J'ai fait un peu de skate, mais vraiment pas des masses. C'était ma manière de me cosplayer quand j'étais plus jeune, mais j'ai toujours eu un peu la trouille de me déguiser. Donc j'imagine que cet album c'est ma nouvelle manière de me déguiser, ce que je n'ai jamais vraiment osé faire enfant.

Je comprends, j'ai toujours rêvé d'être Jack Sparrow...

Tu n'as jamais essayé ?

A part une fois à Halloween, non !

Oui, ce serait bizarre de s'habiller comme Jack Sparrow hors d'Halloween !

Après, à Londres ou à Paris ça pourrait le faire. Dans une capitale on peut se permettre un peu ce qu'on veut, et Jack Sparrow c'était l'envie d'être aussi bizarre que je voulais, d'être plus moi-même en ayant l'air cool, ténébreux et aventurier ! D'ailleurs c'est que j'entends le plus sur COSPLAY, qu'Asha et toi vous vous déguisez mais qu'à travers ça vous êtes plus vrais que jamais, que vous êtes enfin vous-mêmes...

Oui, je pense que le nom de l'album est arrivé parce que les chansons partaient dans toutes les directions, dans des styles très différents, sans doute parce qu'on ne pensait pas à se diriger quelque part, on écrivait et on jouait juste ce qui nous passait par la tête et ce qu'on avait envie de faire, sur le moment. Donc on s'est retrouvé avec toutes ces chansons, et on était là « voilà c'est l'album ! ». Mais il n'y avait rien qui les reliait vraiment ensemble, donc on a pensé à ce thème et au fait que chaque chanson avait l'air de se déguiser d'une manière différente. Ça nous a donné la liberté d'explorer musicalement sans trop de limites, ce qu'on a souvent essayé de faire, mais cette fois avec ce concept on y est allé l'esprit tranquille, à fond, sans penser à maintenir une cohérence, sans s'enfermer dans un cadre.

Dans cette vibe, pour avoir récemment réécouté toute la disco de Sorry, ce que j'ai trouvé le plus proche de COSPLAY, ce sont vos premiers EPs, les Home Demo/ns, avec une touche nettement plus hip-hop et plus de bidouillages...

Oui, c'est vrai. Je n'y avais jamais vraiment pensé, mais c'est vrai que quand tu es jeune, quand tu commences à faire de la musique, tu fais juste ce que tu as envie de faire sans te prendre la tête. Et quand la musique ça a commencé à devenir plus sérieux pour nous, avec le groupe et tout, on a peut-être trop réfléchi, trop cherché à garder une cohérence et un style. Mais pour COSPLAY on est plus ou moins retournés à nos racines, en passant beaucoup plus de temps sur l'album. Même si on a enregistré beaucoup de trucs live, même si la structure est très live, on a passé beaucoup plus de temps sur la production, en produisant nous-mêmes, ce qui revient un peu à ce qu'on faisait à l'époque des Home Demo/ns.

Donc c'est ça la solution pour vous, de vous lancer dans des chansons sans forcément penser qu'il y aura un album ?

Je dirais qu'on savait quand même qu'on faisait un album, mais sans savoir où ça allait. On a commencé à écrire juste après la sortie de Anywhere But Here et jusqu'à presque aujourd'hui, ce qui fait près de deux ans et demi, c'est énorme. On a commencé en écrivant quelque chose comme dix chansons, on en a jeté huit, on en a écrit toujours plus et on en a viré encore plus. A partir de là on mettait tout ce qu'on avait dans le pot, et c'est pour ça que l'album est ce qu'il est, ce produit de son processus créatif, assez bordélique et sur le long terme.

Et passer deux ans et demi à écrire sans rien sortir, c'était gérable dans ta vie ? L'argent, tout ça ?

Oui, parfois on a dû faire quelques boulots, des petits trucs. Mais on vit tous les deux chez nos parents, on... J'ai bougé à une époque, mais depuis je suis retourné chez mes parents. On a eu de la chance d'avoir nos parents qui vivent à Londres pour pouvoir se concentrer sur l'album, et même si on a dû bosser de temps en temps, on a pu rester focus sur la musique.

Oui, je sais que pas mal de musiciens déménagent à Brighton ou ailleurs pour pouvoir se loger plus facilement...

Oui, et encore, Brighton, ce n'est pas si peu cher par rapport à Londres. Ça l'est un peu, mais à ce compte-là autant bouger à Sheffield, dans ce coin-là. J'ai quelques potes qui ont fait ça et c'est beaucoup moins cher. Mais tout le groupe est à Londres, tout notre environnement musical, toute la scène musicale et tous nos amis sont à Londres, donc c'est compliqué de s'éloigner de ça, ça ne donne pas très envie.

Pour aborder un sujet peut-être difficile, je sais qu'il y a eu des tensions dans le groupe après le deuxième album, aussi pendant la tournée US, il y a des gens qui doutaient qu'il y ait un troisième album... Tu penses que ça vous a aidés d'avoir dû gérer ces tensions, que c'est ça qui a rendu COSPLAY plus vrai, plus honnête, plus direct ?

Je pense qu'on a toujours eu un son plutôt direct, mais oui je suis d'accord que ça nous a rendu plus honnêtes, entre nous et sur l'album. Moi et Asha on se connaît depuis tellement de temps qu'il y a parfois des problèmes inévitables, des tensions qui grossissent, et parce qu'on bosse tous ensemble, c'est parfois plus facile de juste fermer les yeux et de passer dessus. Et parfois on arrive à un point de rupture. On s'est retrouvés dans une sorte de crise qui a nous a poussé à régler ces problèmes, et au moment d'écrire COSPLAY, ça a rendu les choses moins tendues. On se sentait plus libre, plus ouvert l'un par rapport à l'autre, avec moins de trucs enfermés à l'intérieur, et c'est sans doute ça qui se ressent sur l'album.

En zoomant sur les chansons, ma préférée est sans doute Life In This Body, et dans celle-là tu chantes « les gens vont me vendre que tout le monde change » (ndlr : people will sell me everybody changes). Est-ce que tu as beaucoup changé depuis le début de Sorry ?

Oui, clairement. Je peux seulement parler pour moi, mais je vois Sorry vraiment par étages, par chapitres dans ma tête. On a commencé à dix-sept ans, on a signé chez Domino Records quand on en avait 18, donc les deux premières années c'était un tourbillon. On ne comprenait rien à ce qu'il se passait, parce qu'on avait dix-huit ans. A cet âge, tu penses que tu comprends ce qui se passe, mais non tu ne comprends rien, et trois ou quatre ans après on a sorti 925, c'était le COVID-19, on rentrait dans notre vingtaine mais il y avait toutes ces ténèbres dans nos vies, tous ces événements négatifs. Je pense que tout le monde à ce moment-là était du genre triste, surtout nos potes à Londres, on avait tous vingt-deux ans et c'était le moment où on était censé profiter du monde, vivre à fond, mais c'était impossible. Donc depuis cette époque il y a cette tristesse qui s'est... envolée je dirais, c'est sans doute le plus gros changement. Mais c'est dur à dire, je suis sûr que dans deux ans je regarderai en arrière et je me dirai « mais qu'est-ce que j'ai dit comme conneries ! ». Tu penses toujours que tu sais ce qu'il se passe, et deux ans après tu te retournes et en fait pas du tout. Donc il faudra que tu me reposes cette question dans deux ans ! (rires)

En parlant de questions, comme je n'ai aucune imagination, ma prochaine question c'est la ligne suivante de la chanson. Tu as beaucoup changé, mais est-ce que tu as aimé toutes les versions de toi-même ? (ndlr : détournement de « I have loved every version of you »)

Non, pas de moi, clairement pas ! Mais des versions d'autres personnes, oui ça m'est arrivé. Il faudrait être fou pour toujours s'aimer. Je suis pas sûr que, dans une vie, ce soit une bonne chose que tu puisses aimer toutes les versions de toi-même.

Maintenant, à propos de la dynamique des chansons, j'ai un collègue qui a écrit dans sa chronique sur notre site « Sorry composent comme on monte un film : cut, zoom, ralenti »...

Oui je l'ai lue celle-là ! J'ai bien aimé, ça faisait vraiment sens de parler de montage de film dans notre approche.

Du coup je me suis demandé, quelles sont vos inspirations en-dehors de la musique pour écrire et produire ?

Il y a plein de choses qui m'inspirent. Je suis souvent inspiré par les relations entre les gens, là où Asha lit beaucoup plus que moi par exemple. Mais oui, de la lecture, des films, honnêtement la façon dont je découvre le plus de musique c'est via les films ou dans des vidéos, parce que quand il y a autant de sentiments connectés à une chanson ça aide à s'y attacher. Donc je dirais que les choses qui m'inspirent ce ne sont pas des inspirations spécifiques mais plutôt tout ce qui évoque une émotion et que je peux traduire en... création, chanson, appelle-ça comme tu veux. Une pensée, un sentiment, que ça provienne d'un ami, d'une situation, d'un film, n'importe quoi.

Dans votre manière de créer et de référencer l'inspiration sur cet album, à Asha et toi, il y a aussi les samples. Est-ce que vous avez plutôt construit autour d'un sample, ou simplement rajouter des samples par-dessus les chansons à la fin ?

Ça dépend des chansons, vraiment. Par exemple, pour Love Posture, qui est probablement la plus hip-hop du tas, tout a été créé autour du sample. Mais parfois on utilise aussi les samples juste parce qu'une phrase nous a inspirés et qu'on voulait la mettre dans l'album. Comme un outil d'écriture simplement, qu'on utilise selon le besoin, l'envie, la bonne idée. Je préfère éviter qu'on s'enferme dans une formule, dans un schéma trop évident.

J'avais lu une interview d'Asha, je crois, où elle disait que plein de gens dans le rock copiaient sans référencer, là où le hip-hop reprend d'anciens textes ou d'anciennes instrus et construit avec en les assumant. C'était l'idée, d'intégrer cette manière de faire aussi dans un disque rock ? Même si le disque en lui-même est difficilement relié à un style...

Oui, c'est le truc qui nous vient vraiment du hip-hop. Quand le hip-hop a commencé, c'était tellement révolutionnaire de sampler et c'était il y a trente ou quarante ans. Il n'y avait pas que le sampling de révolutionnaire, mais c'était vraiment un truc primordial qui maintenant a pris de l'âge, et qu'on a cherché à rafraîchir en l'adaptant à un univers entre le hip-hop et le rock indé. Ceci dit, pas sûr qu'on ait complètement réussi, à voir dans le futur si on fait mieux.

En revenant rapidement au côté film, vous avez fait cinq vidéo clips, un pour chaque single, qui ont été produits par Asha et Flo Webb via leur duo flashaprod. Les vidéo clips, avec Ashan vous y pensez quand vous écrivez les chansons, ou c'est à la fin vous vous posez et vous vous demandez comment réinterpréter les chansons avec un autre média ?

Je dirais qu'Asha va souvent avoir une idée au milieu de tout, on va être en train d'écrire une chanson et avant même qu'on ait enregistré quoi que ce soit, elle va avoir une idée visuelle pour un vidéo clip ou autre chose. Le vidéo clip, c'est une part importante de nous aussi parce qu'on a grandi avec ça, à regarder MTV en boucle et toutes ces chaînes-là. C'est une manière de continuer à construire les chansons, à créer un monde plus étoffé, plus visuel autour. Donc on essaye en général d'y penser le plus tôt possible, quand les idées viennent.

Techniquement j'avais une question sur le vidéo clip de Jetplane, mais je ne peux pas demander à qui appartiennent les fesses ! (rires)

Non, on n'a pas le droit de le dire, c'est une amie qui a un boulot important et qui ne veut pas se faire virer !

Sur Jetplane, d'ailleurs, dans cette chanson vous vous moquez des popstars et du show-business mégalo... ça te dérangerait tant que ça de devenir une méga popstar ? Un peu la trajectoire Fontaines D.C. ?

A mon avis, ce serait compliqué pour nous. Je suis pas sûr qu'on le gérerait très bien, pour être honnête. Mais je me plaindrais pas non plus ! Ce serait un tourbillon dans nos vies, et probablement pas dans le bon sens. Ça finirait sûrement très mal.

Mais imaginons un jour quelqu'un vient vous voir et vous dit « hey, j'ai un plan de dingue, j'ai la DA et tout ce qu'il faut pour faire de vous des putains de stars ! », qu'est-ce que tu dirais ?

Je dirais probablement oui, mais Asha dirait non ! (rires)

Tant qu'on parle de Fontaines D.C., vous avez fait la première partie de leur tournée au Royaume-Uni et en Irlande en fin d'année dernière. Comment ça s'organise un truc comme ça ?

On les connait depuis un bout de temps et je dirais qu'on est relativement proches d'eux. Je suis assez pote avec Georgie, la copine de Grian, et Asha est plutôt pote avec Grian. On les avait rencontrés à l'époque parce qu'on jouait après eux pendant une tournée de shame. Il y avait Fontaines D.C., Sorry, puis shame qui jouaient. Et on se souvient d'avoir vu Fontaines D.C. à l'époque et de s'être dit « ouah, putain ce groupe ça va devenir énorme ! ».

Et comment c'était de jouer devant autant de gens en première partie ?

C'était cool. C'était une expérience intéressante. C'était aussi utile pour nous parce qu'on a joué beaucoup de ce nouvel album, beaucoup de chansons qu'on venait juste d'enregistrer, et il nous restait en quelque sorte à les finir, à les fignoler. Ça nous a bien servi de les tester un peu sur la route, en particulier dans des arenas de ce genre. Ça nous a fait voir certaines chansons sous un nouvel angle.

En parlant de ça, il y a beaucoup de choses empilées les unes sur les autres dans l'album, plein d'instruments, des samples, c'est un beau chaos. Vous avez réfléchi à comment ça allait pouvoir se jouer en live au moment d'écrire ?

Oui, à force d'écrire des chansons on a fini par intégrer de plus en plus cette partie, de se dire qu'est-ce que ça va donner en live. Quand on a écrit le premier album, on l'a très peu joué en live, après c'était le COVID-19, le deuxième album un peu la même chose, mais pour celui-là on a essayé d'écrire des chansons un peu plus fun, punchy. Je veux dire, dans nos têtes en tout cas elles sont plus fun, comme Waxwing ou Jetplane. Donc je dirais qu'on pense beaucoup plus au live aujourd'hui qu'il y a quelques années. Et à aucun moment vous ne vous êtes dit « oh merde, comment on va jouer cette chanson en fait !? » ? Oh, si si, mais on a trouvé des trucs, parce qu'on fait ça depuis tellement longtemps maintenant... Ça m'inquiète moins, même s'il y a encore des petits moments de ce genre. Love Posture par exemple, on ne peut toujours pas vraiment la jouer en live, ça va être une chanson compliquée à rentrer dans le set, mais on va trouver un moyen !

Je me demandais donc comment vous préparez une nouvelle tournée ? Comment vous répartissez qui joue quoi, ce qui est enregistré sur bande, etc...

En général on fait plein de répétitions pour caler ces trucs-là. Les gars ils ont déjà joué toutes ces chansons en live, pour le disque et tout, donc avec toutes les fois où on a joué ces chansons ensemble pendant l'écriture, l'enregistrement, les répétitions, tout finit par arriver naturellement, tout le monde sait ce qu'il a à faire.

Dernière question, pour la tournée vous préparez des costumes pour être à fond dans le thème COSPLAY ?

Oui, on pourrait bien essayer ça. On n'aime pas s'habiller et avoir une tenue de scène autant qu'on devrait, mais on va essayer de casser cette barrière et de s'y mettre pour l'occasion. COSPLAY en chair et en os, j'espère !