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Interview : Eric Lalot et Jean Paul Roland présentent les Eurockéennes de Belfort 2012

Dossier réalisé par Olivier le 19 juin 2012

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« Recherche personne passionnée de musique, libre toute l’année pour parcourir tous les festivals du monde et rencontrer les artistes les plus talentueux de la planète rock. Look à part et esprit en marge très appréciés ! »

Une telle offre d’emploi semble complètement impossible, surréaliste, issue d’un film de Jim Jarmush ou d’une digression chroniquée du grand Lester Bangs. Pourtant, c’est exactement le métier et la fonction d’Eric Lalot, dit Kem, programmateur attitré avec son binôme, Christian Allex des Eurockéennes de Belfort. C'est en présence de son directeur, Jean Paul Roland, que nous avons eu la chance d'échanger avec les deux hommes les plus heureux du monde rock et de relayer les anecdotes, recettes et engagements citoyens – un festival est aussi un évènement identitaire d’une région ou d’un département – de ceux qui vont accueillir les 29, 30 juin et 1er juillet 2012 plus de 100 000 passionnés de rock et de musiques actuelles.

Kem, en quoi consiste le travail d'un programmateur de Festival ? Ça te prend combien de temps ?

Kem : Ça dure toute l’année. Nous dévorons, avec Jean Paul et Christian, les magazines, les concerts, les autres festivals de par le monde pour trouver nos groupes. On organise également un autre festival de découvertes, le GéNéRiQ, sur 14 villes, de Mulhouse à Dijon. Nous proposons des concerts dans des appartements, des salons de coiffure, des bureaux et des lieux inattendus pendant l’hiver.
Jean Paul Roland : Ça nous sert de laboratoire. Nous avons programmé la première date de Justice dans ce festival, la toute première date de Charlie Winston... Nous prenons les groupes tout au début. C’est le contraire des Eurockéennes. Pour revenir au métier de programmateur, c’est aussi une grosse partie technique, de réseaux et de négociations. Ce n’est pas parce que tu tapes David Bowie sur Internet que tu sais qui le vend ! Nous recevons des fiches techniques très spécifiques pour tous les groupes. Et quand tu reçois celles de Rammstein ou de Daft Punk, c’est costaud ! Rajoute l’administratif et tu obtiens un gros boulot à l’année.
Kem : Tu demandais pourquoi tel groupe passe dans tel festival, c’est en grosse partie pour le réseau et les relations que tu as avec les agents et les artistes.

Au départ, tu faisais quoi ?

Kem : Moi, au départ j’ai fait des études d’histoire-géographie ! Après, j’ai joué dans un groupe. J’ai commencé à tourner et j’ai organisé des concerts dans la région avec une petite association. Ensuite, je me suis fait embaucher dans une salle de concert de Mulhouse qui avait au départ 400 places puis est passée à 700 places et on a pu faire des trucs de plus en plus gros. Jean Paul était l'un des spectateurs et nous nous sommes rencontrés là-bas. Peu de temps après, on lui a demandé de réfléchir à une nouvelle organisation du festival des Eurockéennes et il a été nommé comme directeur. Il a choisi Christian d’abord et moi ensuite comme programmateurs, peu de temps après.
Jean Paul Roland : Moi, je travaillais en tant que Directeur Artistique et graphiste d'une collectivité, le Conseil général du territoire de Belfort. On s’occupait de la communication du festival depuis 1989 et sa création par le plus jeune président de ce Conseil Général, Christian Proust. À l’époque, nous utilisions le nom de Festival du Ballon (d’Alsace) et je suis vite devenu conseiller artistique auprès du directeur. À un moment, il y a eu une crise et une refonte du modèle du festival et j’ai proposé certaines choses. Ma fierté, c’était aussi de dire que le festival pouvait former, au-delà des techniciens, des directeurs artistiques et des programmateurs, très importants pour le succès des Eurockéennes. Et Kem, c’était le plus fondu de la région avec des connaissances de trucs improbables, comme le métal américain ou le hardcore, auxquels je ne comprenais rien !

Comment vous partagez vous le travail entre programmateurs avec Christian ?

Kem : Nous partageons beaucoup d’informations, même si nous avons chacun notre réseau. Depuis cette année, Christian est passé en indépendant et n’est plus employé du festival. Nous mettons une liste en commun, tête d’affiche ou pas, prenons chacun notre partie du planning, selon nos connaissances ou nos spécialités. Nous discutons parfois de choix qui paraissent plus ou moins bons pour le festival et cette discussion donne aussi du recul à chacun. Parfois, je suis persuadé du bienfondé de faire venir un groupe et, en en parlant avec Christian et Jean Paul, je peux me remettre en question ou, au contraire, imposer une évidence.
Jean Paul Roland : C’est ça qui fait l’éclectisme et l’esprit généraliste des Eurockéennes, ce travail en commun de Kem et Christian.

On a l’impression que, cette année, il manque quelques locomotives dans les différents festivals français. Vous vous en êtes pourtant plutôt bien sortis pour cette édition 2012...

Kem : On s’est vraiment battus ! Nous étions nombreux sur des groupes comme The Cure et seuls deux festivals en France les ont eus, dont les Eurockéennes. Beaucoup de facteurs ont joué en notre faveur : l’historique, nous en sommes à la 24ème édition, le fait qu’ils soient déjà venus en 1995... Ils nous ont demandé pas mal de choses comme le prix d’entrée ou qui jouerait avant et après eux. Au final, c’est Robert Smith qui décide et ils ont choisi de venir aux Vieilles Charrues et aux Eurockéennes.
Jean Paul Roland : Ce qu’on fait aussi, lors de nos discussions, c’est leur donner les noms de tous les petits groupes sur lesquels on mise, les plus petits et les moins connus. Ils sont souvent contents de voir que nous prenons des risques et essayons de lancer de nouvelles formations. Ça forme aussi la particularité de nos festivals. Mais, soyons honnêtes, ça reste une course à la tête d’affiche et, entre novembre et janvier, c’est une période difficile pour tous les directeurs et programmateurs de festivals ! Il faut comprendre que des cachets comme celui de Jack White sont élevés, c’est même sûrement très surévalué ! Mais il faut qu’un festival comme les Eurockéennes ait Jack White. C’est aussi ce qui construit notre identité.
Kem : Pour nous, ça a du sens Jack White sur la grande scène à 21h avant de terminer par Cypress Hill. Nous nous sommes donc battus pour l’avoir. Il avait certainement des offres du double de la notre pour d’autres festivals, on nous a raconté qu’il avait refusé le festival de Reading en Angleterre parce Paramore devaient jouer avant The Cure et qu’il déteste ce groupe !

C’est plutôt une bonne nouvelle d’entendre que ce genre d’artiste ne mise pas tout sur le cachet et que le Quatar ne pourra pas également venir s’offrir un festival qui amoindrirait tous les autres !

Kem : (rires) Tu as raison. Certains artistes et agents réagissent comme ça mais pas les plus grands, généralement.
Jean Paul Roland : La curiosité, en période crise, c’est une notion sensible ! Si on se trompe de tête d’affiche, on peut avoir 20 à 30% de perte de public. Une année, nous avions misé sur Jay-Z dans lequel nous croyions fortement et nous avons eu une grosse baisse de fréquentation. Les têtes d’affiche sont vraiment nos locomotives, pas seulement, mais quand même...

Des groupes comme Radiohead, Blur, At The Drive-In ou les Stone Roses ne se produiront dans aucun festival français à proprement parler cet été (en dehors des concerts aux Arènes de Nîmes, Nuits de Fourvière...). Certains artistes sont-ils en train de devenir inaccessibles pour les festivals français ?

Kem : Nous aussi nous attendions avec impatience At The Drive-In ! Nous avons vraiment essayé pourtant... Dans tous les groupes que tu cites, tous sont encore accessibles. À part peut-être Radiohead. Nous étions sur le coup cette année et ce n’était pas une question d’argent mais plus une question de lieux qu’ils voulaient insolites. Ils ont donc choisi les Arènes de Nîmes et quelques lieux comme une carrière à ciel ouvert à Montreux. Ils ont quand même choisi d'aller à Bilbao pour le BBK parce que là-bas il y avait beaucoup d’argent (rires) ! Quant aux Stone Roses, quand nous avons vu le cachet demandé, nous avons dit à l’agent que c’était exagéré. À contre cœur, parce que nous sommes fans.
Jean Paul Roland : C’est dommage, mais ce sont des reformations qui sont là aussi pour faire un coup. Ils savent qu’on ne les rappellera peut-être pas l’année d’après ! Dans le même genre, My Bloody Valentine n’étaient pas mal non plus concernant le cachet. On se méfie de cela parce qu’il nous faut de l’argent pour aller chercher le petit groupe qu’on a déniché à Austin, par exemple. Je suis très content de travailler avec Kem et Christian (ndlr : l’autre programmateur) parce qu’ils ont cette notion de défense de ces jeunes formations. Je pense que si nous n'avions pas eu Refuse, par exemple, Kem aurait fait une crise cardiaque ! Déjà que nous n'avons pas eu At The Drive-In (rires) !
Kem : L’agent des Stone Roses a pété un câble quand il a vu qu’ils remplissaient deux fois un stade en quelques minutes en Angleterre. Il a cru qu’en Europe et en France, ils feraient pareil...

Quels sont vos coups de cœur de la programmation de cette année ?

Kem : Il y en a beaucoup. Disons Poliça qui est une jeune artiste américaine avec une voie à la Cocteau Twins et un univers à la Massive Attack. Je l’ai vue sur scène à Austin suite à un buzz important et je n’ai pas été déçu ! Je suis également content d’avoir eu Refused qui est un groupe qui revient des années 90. Hardcore métal, ils ont cassé les codes dans ces styles, mais ont splitté tôt. Quand ils se sont reformés, j’ai fait des pieds et des mains pour les avoir. Je les ai vus au Primavera Sound Festival la semaine dernière et je suis vraiment heureux de les avoir et de pouvoir les faire découvrir !
Jean Paul Roland : Moi, j’aime beaucoup un réel ovni qui s’appelle Reggie Watts et que j’ai découvert par hasard dans un bar aux Etats-Unis en buvant une bière. Il propose une sorte de stand-up et de la comédie avec une énorme coupe Afro. Il joue seul avec des loop et une voix à la Steevie Wonder. Electric Guest ou Alabama Shakes qui sont vraiment des groupes de festivals – on se demande comment les autres festivals ne les ont pas programmés d’ailleurs (rires) ! – sont également mes coups de cœur de l’année.

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En parlant de stand up, vous programmez cette année un one man show avec le Comte de Bouderbala, comment est née cette idée ?

Jean Paul Roland : Tous les ans, nous programmons une conférence de presse au mois d’avril pour dévoiler la programmation et souvent nous arrivons à faire venir des artistes qu’on ne parvient pas ensuite à faire jouer pendant le festival ! L’année dernière, nous avons fait passer Thomas VDB qui est un pote et, cette année, à Paris, nous sommes allés voir le Comte de Bouderbala. Nous avons trouvé que son spectacle avait quelque chose de rock dans le rythme et nous lui avons proposé de jouer. Sur une grande scène en plus !

Vous avez maintenu des tarifs attractifs, 99€ en forfait pour les 3 jours, comment arrivez-vous à établir ce modèle économique ?

Jean Paul Roland : Nous avons cette volonté de tenir un festival accessible à tous, ou presque. On sait que le budget sera plus élevé pour un festivalier si tu inclues le transport, la restauration et les boissons – plus ou moins 50€ par jour – donc, nous faisons beaucoup d’efforts sur les tarifs pour que le festival soit toujours accessible. Notre jauge se base sur 65 000 entrées et si tu fais le calcul tu obtiens à peu près 33€ par jour par festivalier. Donc, notre festival est payé au moins à 50% par les entrées et à 20% par les mécènes et sponsors. Nous avons aussi des subventions, mais à un taux très bas, et cela sera de plus en plus le cas car les budgets des collectivités pour la culture sont de moins en moins larges. Et puis, nous ne voulons pas jouer sur un festival surbooké comme le font d’autres en France.

Les conseils Généraux et Régionaux financent beaucoup de festivals, mais on voit bien que la culture est un peu la dernière roue du carrosse ces dernières années, avez-vous peur que cela empire avec le temps ?

Jean Paul Roland : C’est vrai que nous n’avons, par exemple, jamais demandé d’aides à l’état et, il faut leur rendre cela, ils ne nous en ont jamais proposées ! Mettre deux logos pour 20 000€, ce n’est pas notre truc. On a vu des collectivités locales passer de 100 000€ à 45 000€ d’aides en quelques années. Le festival étant partie prenante d’une collectivité et ayant une telle identité dans le département, le conseil Général ne peut se passer des Eurockéennes. Nous réinjectons beaucoup dans l’économie locale, au-delà de la culture. Nous sommes le premier employeur du département au mois de juillet.
Kem : Le Conseil Général l’admet ; quand ils investissent 1€ dans le festival, il y a 7€ de retombées sur le département.

Quel est le budget des Eurockéennes ?

Jean Paul Roland : Il oscille entre 5,2M€ et 5,6M€ avec 1,6M€ de budget artistique. Nous avons un peu baissé la voilure, volontairement, pour rester sur un budget maîtrisable. Les Vieilles Charrues sont autour de 10M€ et Rock en Seine proches de 6M€.

Les rapports ont-ils évolué entre vous et les maisons de disques et les artistes depuis quelques années ?

Kem : Aujourd’hui, nous n’avons presque plus de rapports avec les maisons de disques. C’est très difficile, en dehors des rapports avec les potes que nous avons en interne, d’avoir ne serait-ce qu’un disque d’un artiste ! Il nous arrive de devoir aller acheter les disques des artistes que nous programmons. Ça devient assez pénible. Bien sûr, nous sommes surtout en rapport avec les agents, même si nous essayons d’accueillir personnellement tous nos artistes. Nous ne voulons pas être simplement des acheteurs de prestations. C’est pour cela que nous proposons des créations avec certains artistes comme Dyonisos, Camille ou Philippe Katerine.
Jean Paul Roland : Nous savons bien que c’est difficile pour les labels, même s'ils dégraissent et que leurs bâtiments sont toujours aussi beaux, mais si tu regardes en Angleterre, le NME parle des rumeurs de festivals dès novembre. Ici, si on voit un compte-rendu d’une demi-page dans le Rock&Folk du mois d’août, c’est le maximum ! Parfois, c’est nous qui apprenons à la maison de disques qu’un de ses artistes vient chez nous. Franchement, vu les retombées et le succès d’un festival comme les Eurockéennes, nous avons l’impression que les médias, la TV en premier, ne s’intéressent pas à nous en France. La présence de Sound Of Violence et d’autres, aujourd’hui, prouve, heureusement, qu’il y a encore des médias de passionnés qui couvrent les évènements importants mais nous sommes toujours un peu surpris de ne pas avoir plus d’exposition.
Kem : Ce que je ne comprends pas, c’est qu’un Directeur Artistique de label ne se dise pas : « Il y a des festivals importants en France, il faut que j’envoie des disques à ces gens-là pour qu’ils puissent écouter mon artiste et peut-être craquer sur lui » !
Jean Paul Roland : Parfois, il faut faire du copinage et appeler un pote dans le label pour lui dire qu'un de ses artistes passe chez nous et lui demander s'il peut en parler dans ses réunions. C'est dingue, non ? À part les guides des festivals dans la presse quotidienne régionale ou certains magazines, on ne peut pas dire que nos médias nationaux nous courent après ! En Angleterre, ils ont compris. Le NME vend plus quand il parle des rumeurs de Reading ou de Glastonbury. Ils provoquent l’intérêt du public. Aux Vielles Charrues, il y a 210 000 personnes, au Paléo, ils ont vendu 250 000 billets en une matinée. Tu vois le truc de fou ! Alors que nous sommes presque plus connus qu’eux, les rédactions locales nous accordent une importance moindre.

Existe-il un quota de groupes Français à respecter pour les festivals ?

Kem : Non. Mais, c’est notre volonté de programmer au moins 30% de Français. Sans se l’imposer d’ailleurs. Quand tu écoutes le dernier album de Hubert-Félix Thiéfaine, par exemple, tu te dis que tu ne peux pas passer à côté de cet artiste, même si ça fait quinze ans qu’il n’est pas venu chez nous.
Jean Paul Roland : Alors que nous sommes plutôt vus comme un festival à tendance anglo-saxonne ! C’est vrai aussi que nous sommes très sollicités pas les groupes français qui désirent souvent passer par les Eurockéennes.

Pourquoi le slogan de cette année, Ring Rock ?

Jean Paul Roland : Je ne sais plus qui a trouvé celui-là... Je crois que c’est moi. Il est lié à l’image de l’affiche avec Mohammed Ali.

Il existe une peur commune à tous les festivals, l’annulation de dernière minute ! Ça vous est arrivé à vous aussi ? Quel est votre plan B dans ces cas-là ?

Kem : Tout dépend de l’annulation et de la date de l’annulation. Je ne te cache pas que si The Cure annule au dernier moment, on est mal ! En 2009, Joey Starr se retrouve en prison et NTM est programmé quelques semaines après. Nous attendons un peu, mais nous sentons le vent tourner et Joey mal parti pour sortir à temps ou avoir une conditionnelle pour jouer aux Eurockéennes. Branle-bas de combat, cinq jours avant le festival, nous décidons de les remplacer et de choisir Cypress Hill. Ils font des dates à droite à gauche et nous parvenons à contacter l’agent qui nous renvoie vers le manager qui est avec le groupe en Allemagne... mais il sont trop défoncés pour nous parler ! Nous avons du attendre le lendemain. Finalement, nous leur proposons le festival et ils nous répondent qu’il faut beaucoup d’argent. OK. Mais, ils ont un autre problème, un gars qui joue avec eux mais qui est Cubain et qui n’a pas de visa ! Avec Jean Paul, nous mettons le réseau en marche. Nous retrouvons un ami à Los Angeles qui a un ami de l’UMP en place là-bas qui peut peut-être nous arranger le truc, David Martinon (ndlr : consul de France à Los Angeles à l’époque) ! C’est un mec de l’UMP qui nous a sauvé la mise dis donc, nous lui avons envoyé une lettre de remerciement au nom du festival et du hip-hop parce qu’il nous a sauvés l’histoire en une nuit ! Je te passe les tickets d’avion pour tout le groupe en première classe qui nous ont coûté une fortune mais, au final et après un week-end à se faire des cheveux blancs, nous nous en sommes sortis et Cypress Hill a joué aux Eurockéennes en remplacement de NTM.

Quelle histoire !

Jean Paul Roland : Voilà l’exemple du boulot d’un programmateur et d’un directeur de Festival. Mais, tu sais, ça nous est arrivé de faire la même chose pour les autres festivals. Une fois, nous avons même réglé un problème pour les Vieilles Charrues...

A ce propos, quelles sont vos relations avec les autres festivals ?

Jean Paul Roland : Je suis le co-président d’une association de festivals dans le monde qui s’appelle De Concert. Nous nous réunissons plusieurs fois par an, entre potes et directeurs de festivals mais pas seulement, et nous partageons une sorte de Think Tank où nous échangeons sur la sécurité, les groupes, les logiciels... Chaque année, nous faisons une compilation de titres avec les programmateurs de tous ces festivals (25 au total ; http://www.deconcert.org) où tous les petits groupes qui nous ont marqués sont proposés. Un exemple, GaBlé, les fous de Normandie, ont pu jouer au Danemark avec notre association. Pour l’anecdote, nous sommes nés lors du deuxième tour de l'élection présidentielle de 2002 et le problème Jean-Marie Le Pen. À l’époque, tous les corps de métier (ou presque) s’étaient engagés pour barrer la route du Front National aux Présidentielles. J’ai pris mon téléphone et j’ai appelé les autres directeurs de festivals pour leur demander si nous ne pouvions pas appeler à voter Républicain. De là, nous nous sommes tous rencontrés sur nos valeurs et cette actualité et avons continué, depuis, à travailler ensemble. La communication, les programmateurs, les techniciens... comme une grande famille.

Vous avez donc transmis un message politique par le biais de vos festivals respectifs ?

Jean Paul Roland : Disons plutôt un message citoyen. Mais, oui, nous avons concrètement appelé à voter contre Le Pen !

Souvent, la question de la politisation du rock, comme à une certaine époque, se pose et c’est une prise de position de moins en moins commune que la vôtre dans ce monde-là...

Jean Paul Roland : Tu as raison. Et c’est peut-être là, également, que certains festivals se démarquent. Nous avons déjà soutenu les travailleurs d’Alstom, les Vieilles Charrues l’ont fait pour les intermittents du spectacle... C’est là aussi que les festivals comptent dans leurs régions. Régions où nous vivons et travaillons.

En 2011, Kem, tu disais que tu voulais absolument avoir les Beastie Boys. En 2012, alors que c’était peut-être la meilleure année pour leur retour, s'est produit le drame avec la disparition d’Adam Yauch. Tu avais pris des contacts avant que sa maladie n’empire ?

Kem : Cela faisait des années que je rêvais d’avoir les Beastie Boys. Depuis que je suis aux Eurockéennes, avec Christian, mon binôme, nous tentons le coup. Fin 2011, nous avions engagé les négociations, mais, Adam étant déjà malade, nous n'avions pas pu aller très loin. Une fois, il y a quelques années, nous avons failli les avoir et ça a clashé...
Jean Paul Roland : Sabotage !
Kem : Il y a quelques groupes comme ça pour lesquels une sorte de malédiction plane au-dessus de nous et d'eux...
Jean Paul Roland : Neil Young est un autre des artistes que nous n’avons jamais réussi à avoir. Une année, il était à l’affiche et il s’est coupé la main juste avant le festival.

Pour vous, quel est le meilleur Festival du monde ?

Jean Paul Roland : Après les Eurockéennes, je ne vois pas (rires) ! Kem : Celui où je vois le plus de trucs, c’est le SXSW à Austin, sans problème. Même si ça se passe sous la forme de showcases et dans une ambiance un peu B2B, c’est là que j’ai découvert le plus de groupes. Mais, le festival qui pourrait le plus nous ressembler, ce serait sûrement le Primavera à Barcelone.
Jean Paul Roland : Tu ne peux pas savoir le nombre de festivals que voit Kem, rien que sur une année ! C’est vrai que le SXSW est vraiment à part, 2000 groupes en cinq jours ! C’est vraiment un truc de fou furieux. Et même si tu rates des groupes, tu es dans le bain amniotique de la musique et du rock. Il y a aussi le Paléo en Suisse qui reflète le futur des festivals, tout est soigné, de l’accueil à la nourriture. Ce n’est peut-être pas ce que nous voulons devenir mais c’est sûrement ce que deviendront les festivals. En résumé, il y a trois sortes de festivals : ceux d’hiver où tu découvres les groupes ; ceux d’été où on regarde la machinerie et, il y a maintenant une nouvelle famille, ce sont les festivals avec showcases et rencontres professionnelles.

Expliquez-nous pourquoi, à une époque, il était interdit de filmer et prendre des photos dans les concerts et festivals et pourquoi, maintenant, tout le monde peut filmer et poster sur Internet le soir même ? Les nouvelles technologies, comme les téléphones ou les mini-caméras sont donc impossibles à contrer ? Les artistes ont assoupli leurs positions à ce sujet ?

Jean Paul Roland : C’est vrai que tout a changé. En 1992, Bob Dylan a failli nous faire un procès à cause d’un photographe qui avait outrepassé son accréditation. Depuis qu’ils ont vu une armée d’appareils électroniques atterrir dans les mains des festivaliers, ils ont compris que de se retrouver sur Internet le soir même, c’était peut-être une bonne chose au final. La limite, c’est entre les appareils dits amateurs et professionnels. Même pour nous, quand nous entendons parler d’un groupe, nous allons sur Internet pour le voir. Donc ça nous sert un peu. Et puis, un festival, ce sont aussi des mini vacances et, en vacances, tu prends des photos !

Pour terminer, vous laissez une grande place aux associations citoyennes dans votre festival et notamment, cette année, à l’association Tous à Table qui propose à des personnes désargentées de manger à des grandes tables pour quelques Euros. C’est quelque chose qui vous tient à cœur de cette place faite aux actions solidaires ?

Jean Paul Roland : Je suis très content que tu aies vu ça dans le programme ! Oui, c’est quelque chose qui nous importe beaucoup et, au delà de cette première expérience avec Tous à Table dans notre site Rock Solidaire, nous faisons tous les ans de la place à des associations qui accueillent les handicapés avec des citoyens qui racontent les concerts aux aveugles et des boucles auditives enterrées pour les malentendants. Nous avons des chaises à porteur pour que les gens en fauteuil roulant aillent au milieu du public à hauteur d’homme, des lieux et des kits pour changer les roues des fauteuils roulant... L’année dernière nous avons accueilli plus de 500 festivaliers handicapées. L’action solidaire, c’est dans notre ADN.
Kem : Quand je vais dans les festivals autour du monde, je ne ramène pas que des idées de groupes mais aussi des idées de restaurant ou d’actions solidaires.
Jean Paul Roland : Notre métier, c’est de créer une ville éphémère. Pour cela, nous sommes neuf permanents à l’année et plus de mille pendant le festival !