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Yard Act

Interview publiée par Laetitia Mavrel le 9 avril 2024

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De retour à Paris au Cabaret Sauvage pour présenter Where's My Utopia?, second album de Yard Act qui déchaîne les passions parmi les fans et la rédaction de Sound Of Violence, nous rencontrons en amont du concert Sam Shjipstone, notre ami guitariste toujours prompt à répondre à nos questions malgré la fatigue et les kilomètres engouffrés de nuit dans le tour bus. Nous évoquons avec lui la particularité de ce disque, la relation du groupe avec ses fans malgré cette belle prise de risque musicale et le live qui représente l'atout majeur de Yard Act, de nouveau sur les routes pour une longue tournée qui les mènera en Europe et en Amérique.

Tout d'abord, je te félicite pour les concerts : vous n'avez cessé depuis les débuts de vous produire dans des salles de plus en plus grandes, en passant de petits clubs à des salles prestigieuses en Angleterre. Mais avant tout vous avez maintenu une fanbase solide et fidèle. Que penses-tu de cette progression ?

Oui ça fait vraiment plaisir de monter en grade s'agissant des salles où l'on se produit. J'avais quand même un peu peur quand on a sorti The Trench Coat Museum en single, je me suis dit que peut-être certaines personnes n'apprécieraient pas car on s'écartait de ce son très post-punk britannique avec lequel les gens nous ont associé lors du premier disque, mais auquel on ne se sentait pas forcément liés en fait. Le nouveau disque affiche un son clairement plus pop et je me suis vraiment questionné sur la loyauté de notre public justement. Mais maintenant que c'est sorti, oui je crois bien qu'il est resté (rires).

A popos de Where's My Utopia?, votre producteur est Remi Kabaka (ndlr : producteur britannique qui a entre autres travaillé avec Gorillaz) qui est connu pour son excellent travail et son imagination. Est-ce qu'il est à l'origine de l'expansion de l'univers Yard Act ?

Je ne veux surtout pas sous-estimer sa participation car il a joué un rôle important, mais pas aussi important que cela, il n'a pas façonné seul la personnalité de nos chansons. En fait, beaucoup de nos démos étaient déjà un peu façon "Gorillaz" en fait. Quand il a travaillé sur The Trench Coat Museum, on ne savait pas si elle serait sur le disque mais le résultat était tel qu'on a vite compris que tout l'album devait bénéficier de sa collaboration. Ce que l'on craint à ce niveau de carrière c'est de se retrouver coincés, à sec dans son inspiration, et une personne comme Remi est idéale pour donner un nouvel élan aux choses. Il ne cesse d'avoir des idées. Ce qui est drôle c'est qu'il nous a dirigés avec des mots, pas avec les mains sur la console. C'est un homme très inspirant.

Le disque propose de nombreux styles, se nourrit de beaucoup d'influences diverses et variées. Les angles d'approches sont eux aussi très différents. Est-ce que vous aviez tous les mêmes idées ou a-t-il été difficile de rendre homogène le résultat ?

Nous avons commencé avec déjà dans nos bagages au moins dix démos quasi finalisées. Ce qui nous importait surtout c'était de bien définir leur personnalité et qu'elles fassent sens d'un point de vue narratif. Dès le départ on visualisait ces différents angles dont tu parles. Cela étant, l'objectif était que l'on prenne du plaisir à le faire et que ça sonne tout aussi fun. Il n'y a eu aucune dispute à propos du choix du tracklisting, c'était très naturel. Par exemple, pour Fizzy Fish, qui sonne beaucoup plus rock que les autres, à la base on voulait faire une chanson dub, on voulait un son dub. Mais là, on n'a pas vraiment réussi (rires) !

J'annonçais dans une de mes chroniques que cet album est clivant et il est vrai que là où certains trouvent sa direction artistique très intéressante, d'autres boudent son éloignement du son post-punk que tu as cité précédemment. D'ailleurs, en France, nous utilisons un terme anglais pour dire qu'un disque va s'apprécier avec le temps, « un grower ». Est-ce que tu penses que c'est le cas ? (ndlr : Sam a beaucoup ri à l'écoute de cet anglicisme !)

Je pense qu'une fois que tu as anticipé les différents changements de tonalité de l'album, il devient automatiquement plus riche. Oui, je crois qu'il faut l'écouter plusieurs fois pour l'apprécier à sa juste valeur, plus que The Overload. Tu as raison, et je suis ravie que les médias le voient ainsi car cette approche beaucoup plus pop est audacieuse, tout en n'étant pas un véritable album pop par définition bien sûr.

Un élément qui ne change pas chez Yard Act est l'honnêteté et la lucidité des paroles. A ce propos, est-ce toujours la seule plume de James ou est-ce que vous participez tous ?

Non, c'est seulement James qui écrit les paroles. Bien que dans l'album, on doit créditer Ryan qui a changé un mot dans la chanson We Make Hits. C'est important de le préciser (rires) !

Les paroles de James sont toujours très ouvertes, sans tabou à propos d'être dans un groupe de nos jours et les difficultés qui vont avec : les deals avec les gros labels, la pression de vendre beaucoup et rapidement, d'être confronté à l'échec commercial et risquer de retrouver son ancien boulot. C'est typique de Yard Act. Est-ce que vous pourriez vous éloigner de ce style, écrire à propos de sujets plus légers, si on vous le demandait par exemple ?

Oui je comprends tout à fait ce que tu veux dire. En fait, la raison première pour avoir sélectionné ou non telle ou telle démo pour l'album résidait dans les paroles. Ça prouve à quel point James souhaite mettre en avant la qualité des textes, il faut que cela soit cohérent sur la totalité du tracklisting. Et oui, son écriture est souvent cynique et je doute qu'on devienne un jour assez commercial pour qu'il perde cette façon de composer.

Cela dépend aussi de ce que l'on entend vraiment par succès commercial, est-ce que cela se définit en nombre de vente ou en taux de satisfaction des fans ?

C'est drôle mais j'ai lu récemment une étude qui traitait du contenu des paroles dans les charts au Royaume-Uni ces quarante dernières années. Et l'étude révélait trois tendances : les paroles sont devenues plus personnelles, comportent plus de colère et sont beaucoup plus « simples ». Je crois que l'on a coché les deux premières cases : nos paroles sont plus personnelles, plus en colère, mais pas plus simples. Tu le comprends surtout quand tu déplies la pochette du disque et que tu vois la longueur que prennent les paroles des chansons !

Parlons à nouveau du live et de ce que les spectateurs vont découvrir ce soir sur scène. J'ai eu la chance d'assister à votre concert à Cardiff il y a quelques jours et j'ai été réellement surprise. On y retrouve deux choristes et danseuses (ndlr : Daisy et Lauren, comédiennes qui ont joué dans les vidéo clips du groupe), et James se fait malmener tout du long par elles. Qui est à l'origine de cette petite mise en scène ?

En fait, James, Daisy et Lauren sont à la base des comédiens et les filles des danseuses, c'est le fruit de leur collaboration ! Ce qui se passe sur scène a déjà évolué depuis le début de la tournée au Royaume-Uni, ils ont toujours plein d'idées. Ça va probablement encore changer. Le truc à déterminer est la façon dont elles doivent malmener James (rires).

Cela ressemble à une petite pièce de théâtre...

Oui, tout à fait ! James ne supporte pas de faire toujours la même chose sur scène, il doit toujours se renouveler. Alors que moi c'est le contraire, je peux faire exactement la même chose tous les soirs mais le vivre comme si c'était nouveau.

C'est exactement ce que tu m'avais dit à Rock en Seine en 2022, au moins cela n'a pas changé !

C'est vrai, il faut également éviter de tomber dans l'ennui quand on joue aussi souvent et longtemps, c'est essentiel.

En 2022, le site setlist.fm évoquait 130 concerts de Yard Act, un an et demi plus tard vous en êtes à 206...

Wouah ! Déjà ? c'est incroyable...

La tournée actuelle passe par le Royaume-Uni, l'Europe et l'Amérique. Y'a-t-il de nouvelles villes que vous allez visiter ?

Hier, c'était notre premier concert à Nantes, et je crois que nous n'avons pas encore joué à Lisbonne.

Je suis curieuse de savoir comment le public américain vous perçoit. J'ai déjà entendu des personnes parler des groupes britanniques comme « exotiques », est-ce que tu perçois une différence entre vos fans américains et européens ?

Je ressens chez les Américains une plus grande curiosité musicale. Notre deuxième album a reçu un accueil plus positif chez eux qu'au Royaume-Uni, je pense que les auditeurs ont peut-être une oreille plus éclectique. Je vais pousser un peu mon analyse : la musique britannique a une très grande notoriété à l'étranger, et c'est encore beaucoup lié à son histoire. Les Britanniques ne se rendent peut-être pas vraiment compte de cela, ou pas assez. Chez nous, le public nous met toujours beaucoup plus de pression, et alors on ne se rend plus compte de la qualité de son travail avant de se produire à l'étranger. A un moment on risque de perdre cette qualité.

Est-ce alors plus agréable pour un groupe britannique de se produire en dehors du Royaume-Uni ?

Non, je ne parlais pas de la réaction du public, mais plutôt du contexte. Par exemple, en ce moment chez nous, toutes les salles de 200 personnes luttent pour survivre, beaucoup ferment. Tout le réseau qu'on avait est en train de disparaitre. C'est dû au contexte économique, au fait que les gens ne vont plus en concert comme avant, ça devient trop cher ! Et pourtant ces salles sont essentielles, leur disparition va avoir un grave impact sur les futures générations de musiciens...

Pour terminer, dis-nous quelle est la chanson que tu préfères sur votre nouveau disque ?

J'aime beaucoup Blackpool Illuminations, mais elle n'est pas facile à jouer sur scène. En revanche j'aime beaucoup jouer A Vineyard To The North car elle a une fin assez puissante, j'adore la dynamique de cette chanson.