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Ride

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 25 mars 2024

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Cinq ans après This Is Not A Safe Place, Ride sont de retour avec un septième album studio. Interplay est le disque le plus abouti depuis leur reformation. Andy Bell, guitariste-chanteur du groupe (tout comme Mark Gardener), était de passage à Paris à la mi-mars pour venir parler de ce nouveau disque. Nous avons eu la chance de le rencontrer et de discuter de la genèse de l'album, de l'influence des années 80 sur le groupe et des trente ans de Carnival Of Light. Retour sur ce moment.

This Is Not A Safe Place a été publié en 2019. Il a fallu cinq ans pour qu'Interplay sorte. Pourquoi cela a-t-il pris autant de temps ? En dehors du COVID-19, aviez-vous envie ou besoin de prendre du temps pour écrire le disque exactement comme vous le souhaitiez ?

L'histoire a commencé à Paris, parce que le dernier concert que nous avons donné avant le COVID-19 s'est passé ici. Nous étions allés aux États-Unis, puis nous avons fait la tournée au Royaume-Uni et enfin nous sommes venus en Europe en janvier et février. Et à cette époque, le COVID-19 commençait tout juste à apparaître ici et là. Nous sommes donc rentrés à la maison après avoir donné le concert parisien qui a eu lieu le 13 février. Je me souviens très bien de la date car ma femme et moi avons passé la journée à Paris, le lendemain, le 14 février (Sourire). Et puis, lorsque je suis rentré à la maison, je voulais vraiment donner une suite à l'album avec un EP. C'est ce que nous avions fait pour l'album précédent, Weather Diaries. Nous avions sorti un EP intitulé Tomorrow's Shore sur lequel figurent des rythmes et des mélodies accrocheurs. Ces chansons étaient issues des mêmes sessions que l'album. Je me suis dit que nous allions refaire ça et que ce serait vraiment bien avec This Is Not A Safe Place car il nous restait encore quelques chansons que nous n'avions pas terminées. Nous avions également prévu de sortir un album live. Nous avions enregistré tous les concerts de la tournée européenne, dont notamment un exceptionnel à Barcelone. Nous avions donc prévu de le mixer et de le sortir. En tout cas, c'est ce que je voulais faire. Nous nous sommes donc retrouvés vers la fin du mois de février à Londres. À ce moment-là, le COVID-19 n'existait pas, du moins pas pour nous. Nous avons eu une réunion avec le management et le groupe, j'ai proposé de sortir un EP ainsi qu'un album live, et Mark a dit qu'il ne voulait rien faire de tout ça. Il construisait son studio depuis très longtemps et tenait à le faire fonctionner. Il avait encore besoin de six mois. Nous avons donc décidé de mettre un terme à tous ces projets et de donner à Mark le temps de démarrer le studio. Et c'était en fait très important pour nous aussi, parce que nous avons utilisé ce lieu pour faire ce nouvel album. Mark a donc eu fort à faire pendant six mois. Et bien évidemment, le COVID-19 a commencé à se mettre en place puisque nous étions en 2020. Nous avons commencé à pouvoir utiliser le studio en 2021, une fois que le confinement a commencé à être levé. Mais Mark et Loz (ndlr : Loz Colbert, batteur du groupe) ont des partenaires qui devaient se protéger très fortement. Ils devaient donc être très prudents. Loz, en particulier, a dû passer une période de quarantaine après avoir été avec nous, avant de pouvoir retourner dans sa famille. C'était donc compliqué et cela signifiait que nous ne pouvions travailler que sur des périodes courtes en 2021. Nous avons donc commencé à faire quelques enregistrements au studio, simplement des jams, essayions des synthés et enregistrions des trucs, mais nous ne tentions pas vraiment de préparer un disque. Et puis, après un certain temps, nous nous sommes retrouvés dans une impasse avec cette méthode. Nous avions l'impression que nous pouvions faire des jams à l'infini, mais si nous voulions faire quelque chose qui pouvait devenir plus que cela, il nous fallait commencer à vraiment travailler des chansons et c'est ce que nous avons commencé à faire. Nous avons donc décidé d'engager un ingénieur pour nous aider, parce que Mark s'occupait également de cette partie-là. Nous avons donc fait appel à Richie Kennedy, qui était un des assistants présents sur This Is Not A Safe Place. Il s'est rapidement emparé de tout ça et m'a demandé de lui faire une playlist Soundcloud de tous les enregistrements qui ont été faits dans les dix-huit derniers mois. Il voulait tout écouter. Nous lui avons donc préparé une grande playlist même si nous n'avions pas tout mis, et il a commencé à trouver du potentiel. Par exemple, Last Frontier était l'une des chansons que nous avions oubliées. Il a trouvé qu'elle était bonne, mais que nous pouvions l'améliorer. Ensuite nous avons commencé à apporter nous-mêmes des chansons. Et encore une fois, c'est Richie qui nous a poussés à changer de studio. Nous avions besoin de changer de décor parce que je pense que nous avions finalement passé trop de temps dans cet endroit. Nous avons alors déménagé dans un autre studio pour terminer les enregistrements. Nous avons passé une semaine ou deux très intenses à tout assembler, puis nous avons mixé l'album. Le mixage a été très rapide parce que nous avons trouvé la bonne personne pour le faire (ndlr : Claudius Mittendorfer). Le processus a donc été long, mais naturel. Ce n'est pas comme si nous avions mis tout au rebut et recommencé. Nous l'avons juste construit lentement.

L'EP n'a donc jamais vu le jour...

Non, il n'y a jamais eu d'EP. Nous avons uniquement sorti un album live autoédité. Cela s'est fait uniquement sur bandcamp. Ce n'était donc pas tout à fait la sortie que j'avais en tête initialement, mais c'était plutôt cool. Nous l'avons juste sorti pour les fans.

Sur la pochette de votre précédent disque, il y a une main qui semble demander de l'aide ou peut-être vouloir s'enfuir d'une possible guerre. Le premier morceau de Interplay, qui fut également le premier single, s'intitule Peace Sign. Est-ce qu'il y a une forme de continuité entre les deux albums ?

Eh bien, j'ai envie de te répondre oui, parce que c'est une très belle idée. J'adore ce lien que tu as établi. Mais rien n'a été fait consciemment en ce sens.

Est-ce un disque plus politique que les précédents ?

Non, je pense que cela a toujours existé. Je veux dire que nous avons eu beaucoup de contenus politiques. La chanson Charm Assault a été écrite sur l'ascension de Boris Johnson avant qu'il ne devienne premier ministre. Il n'était alors que le leader du parti conservateur. La chanson All I Want a été écrite sur la politique de Theresa May lorsqu'elle était ministre de l'intérieur. Elle a fini par devenir premier ministre elle aussi, plus tard. Mais lorsqu'elle était Ministre de l'Intérieur, elle a introduit l'environnement hostile, qui visait à faire en quelque sorte que les immigrants se sentent mal accueillis au Royaume-Uni. C'est une tactique délibérée qui est très cruelle et dystopique. Dans cette chanson, on parle de 1932, mais pour être honnête, les choses actuelles ressemblent de plus en plus à 1932. Si vous regardez ce qui se passe sur la planète entière, vous avez les mêmes échos partout. C'est devenu très sombre et brutal. Aussi, je pense que nous nous sentons assez libres de commenter la politique sur cet album. Je pense que les paroles de Mark véhiculent bien les messages politiques.

Monaco a déjà été jouée en concert l'année dernière. Vous l'aviez donc préparée depuis longtemps ?

Oui, nous l'avons jouée en en janvier 2023 alors que nous étions en tournée avec The Charlatans en Amérique. Pendant cette tournée, lors des soundchecks, nous jouions des chansons comme Peace Sign et nous commencions déjà à travailler toutes les chansons à l'époque. Nous avions donc ces titres en réserve depuis longtemps. C'est la partie finale de l'album qui a pris beaucoup de temps.

Last Frontier est en quelque sorte un hommage à Joy Division et à New Order...

Le titre de l'album est un mélange de deux chansons de Joy Division : Interzone et Shadowplay. Je pense que depuis les débuts de Ride, nous avons toujours eu un véritable amour pour Joy Division et New Order. C'est donc toujours un peu présent. Et je plaisante parce que le titre n'a rien à voir avec ça (Rires). Mais nous avons remarqué récemment, quand Loz Colbert a trouvé son titre, que Interplay était un super mot, parce qu'il en dit long sur la façon dont nous travaillons ensemble. Mais je dois dire aussi que c'est cool parce que ça sonne comme un album de New Order.

Est-ce qu'il signifie qu'il s'agit d'un disque plus collaboratif ?

Je ne sais pas s'il est plus ou moins collaboratif que n'importe quel autre de nos albums. Mais je pense que si l'album a une histoire, il concerne ce sujet. Il n'y a donc pas vraiment d'histoire extérieure à raconter. Sur This Is Not A Safe Place, nous avons commenté des choses extérieures et peut-être que nous le ferons à nouveau, mais là c'est vraiment à l'intérieur de notre petit monde. Oui, j'ai l'impression que l'album est tourné vers l'intérieur et que nous nous regardons nous-mêmes. Et je pense que le fait que nous ayons réussi à faire un album dans une période difficile mérite d'être célébré. C'est la raison pour laquelle ce titre résonne en moi.

Il y a davantage de claviers sur Interplay. Est-ce parce que Richie est avec vous maintenant ?

Ce n'est pas vraiment à cause de Richie, c'est juste parce que nous avions des tas de synthétiseurs avec nous. Le studio de Mark est rempli de synthétiseurs. Il en a une vingtaine. Lors de la première période de jam du disque, nous jouions avec. Par exemple, Peace Sign a été créé par Loz à la batterie, Steve (ndlr : Steve Queralt, bassiste du groupe) à la basse et moi au synthé. Mark était à la table d'enregistrement. Donc nous nous amusions avec nos cinq meilleures chansons et tout est venu comme ça. C'est vraiment le genre de choses que nous faisions au début. C'était simplement pour s'amuser.

Pensez-vous que le disque est plus puissant, plus direct et peut-être plus physique que le précédent ?

Je trouve qu'il est difficile d'avoir du recul par rapport aux autres albums. Mais je peux dire que je l'ai écouté en entier en janvier, alors que j'étais en tournée aux États-Unis. Et bien entendu, je le connais bien, mais depuis que nous l'avions terminé, je ne m'étais pas assis et je ne l'avais pas écouté en entier après un long moment. Je l'ai donc passé très tard le soir, au casque, à volume très élevé. C'était une très bonne expérience. Je me suis senti vraiment époustouflé. En repensant à ce moment-là, je dirais que oui, c'est très physique et très puissant. La batterie fait vraiment avancer les choses et beaucoup de morceaux ont des guitares très puissantes, comme sur Portland Rocks.

Peux-tu nous en dire plus sur Light In A Quiet Room? J'aime beaucoup le silence entre les deux parties et tout le bruit qui surgit ensuite lorsque ça redémarre...

Oui, c'est un peu comme s'il y avait deux parties. Nous voulions laisser autant de silence que possible. La chanson est partie d'une idée que Loz avait lancée. Il est arrivé avec un morceau de musique et un titre et je lui ai dit que j'aimerais le travailler. Ce que ce titre m'a suggéré, c'est d'être à la fin de sa vie. Light In A Quiet Room, c'est comme la bougie qui représente la vie de quelqu'un sur le point de s'éteindre. Je m'imagine donc à la fin, en train de repenser à ma vie, et quel genre de pensées traversent mon esprit. On ne pense pas qu'on va devoir mourir, mais il est évident que tout le monde meurt un jour. L'idée était donc de laisser un mot d'adieu, un mot d'adieu imaginaire, alors que vous étiez sur le point de mourir, en regardant dans un avenir lointain avec cette idée de ce qui se passe ensuite qui est la transition vers l'au-delà. Nous avions déjà une chanson de ce type. Elle s'appelait Smile, et c'était une sorte de lettre d'amour d'un adolescent suicidaire expliquant que parce qu'il a été quitté, il aller se suicider. Nous avons finalement abandonné la chanson, mais sa fin ressemblait à ça. Nous avions en quelque sorte cette chanson très douce à la Spacemen 3. Et puis à la fin, lors de l'au revoir, la chanson se terminait, et elle est revenait avec un bruit énorme. Nous avons repris cette idée.

Essaouira est également très atypique. Peux-tu nous en dire plus ?

C'est la chanson qui ressemble le plus à nos premières sessions. Le son et la structure et une partie du morceau proviennent tous de la version originale, qui est en fait une sorte de jam en studio assez typique. Pour celle-ci, je jouais avec un Fender Rhodes, et tout passait par ma pédale de guitare. Je frappais un accord, comme ça et boom. Je passais de la reverb à un delay, pour créer une sorte de paysage sonore. Steve est en quelque sorte au cœur de la chanson avec le son de sa basse et Loz joue presque comme un breakbeat de jungle par-dessus. Pour nous, c'est un peu comme de la musique que nous avons toujours aimée. Ça me rappelle quelque chose qui aurait pu se trouver sur le label Warp il y a vingt ans.

La jouerez-vous sur scène ?

Nous allons essayer. On souhaite jouer toutes les chansons de l'album. Peut-être pas dans le même concert, mais oui, peut-être cinq ou six chansons de l'album chaque soir. C'est un véritable défi parce que je ne sais pas, pour certaines chansons, comment elles sonneront sur scène. Ce serait cool de faire un concert de l'album Interplay, mais je pense qu'il faudrait le faire uniquement pour les fans hardcore. Peut-être que nous ferons ce concert mais nous préviendrons que nous allons uniquement jouer seulement l'album et ceux qui ne veulent pas l'entendre ne viendront pas (rires).

Le morceau qui termine l'album, Yesterday Is Just A Song, est une conclusion assez étonnante, notamment avec son côté cinématographique et sa mélancolie. Comment l'avez-vous composé ? Et saviez-vous, lorsque vous l'avez terminé, qu'il viendrait clôturer l'album ?

Non, pas du tout. J'ai fait une démo et je l'ai donc apportée au groupe. J'ai travaillé sur une version avec Steve et Loz, et cela ressemblait à du Big Star avec de grands accords ouverts, de grands mouvements de batterie et un super jeu de basse. Et je me suis dit que ce serait vraiment un morceau top pour Loz Colbert sur scène. Richie Kennedy a cependant, d'une manière un peu controversée, trouvé qu'elle ne devrait pas être comme ça. Elle devrait plutôt être la ballade de l'album. Interplay avait besoin d'un moment de douceur et de tendresse, et je pense que ça devait être cette chanson. Richie avait un concept pour elle, il voulait qu'elle soit composée d'une voix et d'un synthé. Mais il voulait qu'elle soit enregistrée en direct, et j'ai donc dû faire toutes les versions. Il voulait qu'elle soit jouée, jouée et chantée en direct en même temps. Je faisais donc dix versions par jour, il y en avait tellement que tout le monde partait dîner ou faisait autre chose pendant que je travaillais dessus. C'est vraiment difficile de chanter et de jouer, surtout au clavier, une chanson entière comme celle-là, mais, oui, c'est devenu vraiment beaucoup plus que ce qu'elle était au départ. Elle est assez mélancolique à la fin. Je pense que cela aurait pu être caché s'il s'était agi d'un gros morceau de rock. J'ai finalement accepté de la faire comme Richie voulait, mais il fallait que ça ressemble à Ghosts de Japan. Nous avons écouté beaucoup de musique des années 80 en studio : Japan, Simple Minds, Depeche Mode, Tears For Fears, U2, Echo And The Bunnymen... Nous nous sommes donc beaucoup inspirés de cela.

Carnaval Of Light aura bientôt trente ans. Qu'est-ce que ça te fait ?

Je trouve beaucoup de bonnes choses dans ce disque aujourd'hui. Je n'aimais pas ça à l'époque, mais récemment, on m'a confié la tâche de vérifier les tests pressings des rééditions. J'ai vérifié les pressages des EPs, de Nowhere et Going Blank Again. Et puis ce fut le tour de Carnival Of Light. J'ai passé une journée à écouter l'album. Lorsque tu vérifies les test pressing, tu dois vraiment écouter tout le temps. Tu ne peux pas te préparer une tasse de thé, tu dois rester assis et écouter. J'ai donc été obligé d'écouter et d'apprécier ces disques. J'ai eu l'impression que celui-ci sonnait bien. La production est vraiment bonne. Et j'ai apprécié beaucoup plus de choses que je ne l'aurais fait auparavant.

Mark a déclaré qu'il voulait jouer des nouvelles chansons sur scène et qu'il il n'aime pas vraiment ce genre de concert anniversaire pour un album. Et toi ? Tu préfères jouer de nouvelles chansons, ou tu aimes surtout les anciennes ?

J'aime jouer Nowhere et Going Blank Again. Je ne suis pas sûr qu'il y ait la même demande pour que nous jouions Carnival Of Light ou Tarantula. Mais les deux premiers albums sont très amusants à jouer, et quand nous le faisons, nous y ajoutons toujours de nouvelles chansons à la fin. J'aime donner aux gens ce qu'ils veulent entendre.

Peux-tu nous en dire un peu plus sur la pochette ?

Notre management nous a aidés à trouver un artiste, à qui nous avons demandé d'interpréter la musique, et nous avons tous réagi à la même image qu'il nous a proposée. Cela ressemble un peu à une œuvre d'art numérique à l'aspect glitch. Et je pense que c'est ce qui nous a plu. Je n'ai pas de raison profonde de l'aimer, c'est purement esthétique, mais c'est absolument fantastique quand on la voit en taille réelle. J'imagine qu'il s'agit d'une œuvre d'art magnifique, et ça me rend très heureux. Surtout quand on voit les couleurs de la pochette intérieure et du disque. L'ensemble fonctionne à merveille.

Peut-on s'attendre à voir Ride en concert en France cette année ?

Je pense que vous pouvez vous attendre à voir Ride jouer en France au début de l'année 2025. Nous serons aux Etats-Unis en mai. Nous allons jouer dans des festivals tout l'été, et puis il y aura le Royaume-Uni à l'automne. Je pense que l'Europe ce sera pour le début de l'année prochaine.