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Mount Kimbie

Interview publiée par Adonis Didier le 3 avril 2024

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Il y a longtemps que l'on n'avait pas retrouvé le duo de musiciens touche-à-tout dans la capitale, six ans exactement et un concert à We Love Green dans le cadre de la tournée de l'album Love What Survives. Depuis, des expériences personnelles chacun de son côté, un disque MK 3.5: Die Cuts | City Planning chacun de son côté, et une réunification de la tribu à l'occasion du véritable quatrième album du désormais quatuor : The Sunset Violent, attendu ce vendredi 5 avril chez Warp Records.

Un album moins électro, plus dream pop, de quoi discuter guitares, désert de Californie, harmonies vocales, King Krule, et bien sûr Superbowl, alors que la veille Usher et Alicia Keys enflammaient la mi-temps d'un match superbement remporté par Kansas City en toute fin de prolongation.

Comment se passe cette journée à Paris ? C'est un comeback de Mount Kimbie, en quelque sorte...

Kai : C'est la première fois qu'on fait une journée presse en quelque chose comme huit ans...
Dom : C'est agréable d'avoir un nouvel album dont discuter. On se sent frais. Sinon, on est arrivés très tard hier soir, on a dîné, puis au lit. Et aujourd'hui ça a été interview sur interview. Mais on est allés dans un disquaire un peu plus tôt, traîner, et c'était cool. Comme je vis en Californie depuis huit ans maintenant, c'est toujours sympa d'être quelque part où les choses sont réellement vieilles. De voir les bâtiments, l'architecture, c'est rafraîchissant. Donc juste de marcher dans les rues, ça me fait plaisir. Votre dernier album avant The Sunset Violent c'était MK 3.5: Die Cuts | City Planning, où vous aviez chacun écrit une moitié du disque de votre côté. Ça a changé quelque chose dans votre approche musicale cet interlude ? Kai : En fait, The Sunset Violent nous donne le sentiment de poursuivre le fil de Love What Survives, l'album encore avant. MK 3.5: Die Cuts | City Planning c'était chacun de nous faisant un truc différent, dans notre coin, pour obtenir à la fin un album. Donc il n'y avait rien de bizarre pour nous de passer à ce nouvel album, parce que le dernier en date n'a jamais eu l'air de faire partie de la même lignée. Au final, le processus a été très similaire à celui de Love What Survives en 2017, il y a juste eu beaucoup de temps entre les deux.
Dom : D'avoir cette longue période de creux et de revenir écrire ensemble, ça a rafraîchi notre manière de voir les choses. Ça ressemblait moins à du travail, c'était juste nous qui jouions de la musique. Et ce nouvel album ressemble au début d'une nouvelle période pour le groupe, ça nous donne cette impression.

Pour l'écrire, vous êtes allés tous les deux à Yucca Valley, en Californie. Comment c'était ?

Kai : Tu peux voir à des kilomètres et des kilomètres tout ce qui t'entoure. C'est une drôle de vibe là-bas, le ciel est immense, tu te sens au milieu de nulle part. Et c'est chaud, et poussiéreux... très américain.
Dom : Très arrière-pays américain, à grande échelle. Tout est juste gros et grand. Grand ciel, grand désert, grosses voitures... Tu sais, tout est immense.

En préparant l'interview j'ai regardé où était Yucca Valley, et c'est juste à côté de Palm Springs, là où le Stoner a en partie démarré avec Kyuss et toute la bande autour de Josh Homme...

Kai : Oui, ça se comprend, c'est un bon endroit pour faire un album à guitares.

Et c'est pour ça que The Sunset Violent est autant porté sur les guitares ?

Kai : Il y a un peu de ça. C'est un peu l'œuf ou la poule cette histoire, parce qu'avant de se retrouver, on s'était beaucoup éloignés de Mount Kimbie, et j'ai passé du temps dans les clubs, à explorer d'autres univers musicaux. Et dans tout ça, j'ai de plus en plus pensé à la perspective d'écrire de la musique avec une guitare. Donc au final, ça collait bien avec Yucca Valley. En plus de ça, Dom vit à quelques heures de là, donc je ne sais pas ce qui a été le premier plan, entre le désert et la guitare. Et tout s'est mis en place comme ça, avec moi qui regardais à la fenêtre en jouant de la guitare.
Dom : Yucca Valley, c'était suffisamment loin de Los Angeles pour avoir la sensation d'être en dehors de tout, mais aussi assez proche pour ne pas être trop en dehors de tout. Parce qu'une fois on a essayé de louer un truc paumé dans la campagne, en Angleterre, et ça a été un désastre complet, on était juste trop coupés. Il y avait rien, pas de wi-fi, vraiment rien. Mais cette nouvelle expérience a été beaucoup plus cool, et nous a beaucoup aidés pour l'album.

C'est aussi pour ça que les paroles parlent autant de sable et de plages ?

Dom : Ce qui est marrant avec ce truc de sable, et cette chanson en particulier, A Figure In The Surf, c'est que je suis allé à Margate en Angleterre, et ils ont cette statue en bronze faite par Anthony Gormley, un homme qui se tient droit sur une plage. Et je ne savais pas que c'était là, parce que la dernière fois que j'y étais allé elle n'y était pas. De voir, par un jour de tempête, cette figure solitaire là dehors, devant la mer, c'est de là que sont venues toutes ces références, toute cette imagerie. Mais l'isolation du désert a aussi joué un rôle, et englobé tout ça.

De la même manière, la fin de l'album a un côté spatial qui m'a fait penser à Air. Vous êtes allés volontairement dans cette direction, ou c'est venu du hasard, du désert...

Dom : C'est arrivé assez naturellement. On n'a jamais été un groupe qui discute énormément ce qu'il va faire. On n'a pas tellement de plans ou quoi. C'est plus l'immédiateté des choses qui se passent qui définit le résultat, et le moment qu'on vit transpire naturellement dans la musique qu'on fait.

Comment vous avez composé l'album ? C'était Kai avec sa guitare, et toi qui réfléchissait aux paroles, un truc comme ça ?

Dom : A peu de choses près, oui !
Kai : Oui, des trucs se passent et tu as des petites réussites dans le tas sur lesquelles bâtir un momentum et t'amener quelque part. Sur ce côté spatial par exemple, une des premières chansons qui est venue c'était la dernière de l'album, Empty And Silent, avec King Krule. Et la partie de synthé qui joue tout le long de la chanson, c'était une ligne sur laquelle Dom travaillait, et je lui ai demandé si je pouvais avoir juste cette partie de clavier qui fait duuum du-duuum. J'ai joué de la guitare par-dessus, et c'est devenu très grand et spacieux. Ça voulait devenir grand, tu vois. Donc il y avait quelques rythmes et mélodies au début, dans lesquels on voyait un truc, et on a continué dans cette direction, parce que tu veux avoir cette expérience de revenir à quelque chose et de faire ouah ! De créer, et d'espérer qu'en y revenant plus tard tu vas te surprendre toi-même, parce qu'un truc s'est créé à ce moment-là dans la pièce sans que tu le réalises. Donc on essaye des choses, on chope ce moment, et on en fait autant qu'on peut dans ce moment-là.

Aussi, dans cet album, vous utilisez beaucoup les voix, les harmonies entre elles, si on compare à vos précédents disques. Qu'est-ce qui a vous motivé à utiliser autant les voix comme des instruments à part entière ?

Dom : Hum, c'est intéressant. Je sais pas trop pourquoi on a voulu faire ça. Enfin, en fait si, je sais, c'étaient les premières démos, on a pris des lignes de guitare très brutes que Kai avaient faites, et j'ai commencé à chanter des idées que j'avais par-dessus. A ce moment-là j'étais à Los Angeles, il était à Londres, et on s‘est tous les deux dit que ça marchait. Et j'imagine qu'une fois que tu en as fait une comme ça, tu te dis que tu vas chercher une bonne accroche, un bon couplet, et autant que tu peux. A travers cette manière de faire, on s'est retrouvés moi, Andrea (ndlr : Andrea Balency-Béarn), qui est dans le groupe aussi maintenant, et Kai, ensemble dans la pièce, à triturer les mélodies, les mots, les paroles, et le flot de tout ça.
Kai : Dans le studio, c'était comme revenir là où on s'était arrêtés. Et on s'est aussi rendu compte que Dom et Andrea sonnent vraiment très bien ensemble. Il y avait quelque chose dans la voix très brute de Dom, à côté de la voix très polie d'Andrea, qui rendait chacune des voix plus belles que séparément. Mélanger les deux, faire des va-et-vient avec une voix féminine et une voix masculine, ça donne aussi cette vibe qui fait référence à beaucoup de groupes auxquels on pensait, comme Sonic Youth, ou Stereolab, ce genre de trucs.
Dom : J'aime aussi comment les voix changent ou se mélangent de manière irrégulière. Genre ça va basculer sur Andrea comme ça au milieu de nulle part, et ça rend l'écoute plus excitante je trouve.

C'est marrant parce que Spotify m'avait proposé les Pixies juste après Dumb Guitar la première fois que je l'avais écoutée, comme si c'était vraiment le même genre de musique ! D'ailleurs on observe un gros revival des années 90 en ce moment dans la musique rock, c'est quelque chose qui vous a touché et influencé ?

Dom : Un point important pour nous était de faire un album qui ne sonnait pas comme un retour en arrière d'aucune sorte. Mais je pense qu'il y a un truc à voir des jeunes bouger sur des tempos toujours plus rapides. Quand je vais dans des clubs, je vois des gamins qui veulent entendre des rythmes et des beats rapides, et ce qu'ils écoutent est vraiment bon. Il y a une énergie bouillonnante que je trouve brillante. Et bizarrement, certains trucs du rap de ces dernières années ont un peu influé sur le flow de certaines de nos paroles, c'est quelque chose que j'arrive à entendre.
Kai : Ça nous a probablement aidés à ne pas tomber dans trop de nostalgie des nineties. Parce que l'album est un mélange de plein de choses, il y a aussi des influences eighties dans la production, ou le matériel dont on s'est servis. Plus une grosse dose d'années 90. Et avec l'approche particulière de Dom en tant que chanteur, qui est assez contemporaine, ça nous évite de nous enfermer dans un monde unique et cadenassé.
Dom : Il y a aussi que c'est cool d'avoir des chansons qui ont un groove. Une vitesse, un tempo naturel sur lequel tu as envie de bouger. Pas mal de ce qu'on a fait avant ne marche pas trop pour ça, et on n'y pensait pas à l'époque. Mais d'avoir une batterie qui tourne tout du long ça peut être fun, parce que tu as juste à verrouiller le groove, et c'est tout, et après tu construis autour, tu rajoutes. C'est un album moins métaphorique que Love What Survives, mais un peu plus humain je trouve.

Dans cette tendance humaniste, vous avez rajouté deux membres au groupe...

Dom : Oui, Marc (ndlr : Marc Pell, batteur) et Andrea jouaient déjà avec nous en live depuis des années, mais ils ont clairement été plus impliqués dans l'écriture, et on a aussi ajouté un cinquième membre pour la tournée à venir. Simplement, ça nous aide à jouer nos chansons, parce qu'il y a un peu trop à faire là-dedans ! (rires)

Vous avez écrit l'album à Yucca Valley, puis vous êtes partis ensuite l'enregistrer en Angleterre ?

Dom : Oui, on est allés en Angleterre, on s'est un peu enfermés, on est allés au studio d'Andy Ramsay, le batteur de Stereolab, à Bermondsey (ndlr : banlieue sud de Londres), et on en a aussi beaucoup fait dans le studio de Kai, à Tottenham (ndlr : banlieue très nord de Londres). On a en quelque sorte travaillé autour du planning d'Andrea, parce qu'elle étudie, et aussi de Marc, avec les cours qu'il donne et ses autres groupes. Donc on a bougé les chansons du désert jusque dans Londres, et là on les a enrobées si on peut dire. Kai et Dilip (ndlr : Dilip Harris, producteur) ont fait beaucoup de travail sur les dernières étapes pour définir le mix final. Donc la majorité du disque a été fait à Londres, excepté les premières idées, les bases de chansons qu'on a trouvées à Yucca Valley.

Et d'avoir ajouté des membres à l'écriture, c'était pour avoir un résultat plus orienté live ? Parce que ça fait quelque chose comme cinq ans que vous n'avez pas joué avec Mount Kimbie...

Kai : C'était déjà l'idée avec Love What Survives. On a écrit l'album et ensuite on a eu Marc et Andrea qui l'ont enregistré avec nous. Mais c'était nous qui avions écrit chaque partie. Et ensuite, en tournée, les chansons se développaient un peu plus à chaque set, et au bout de quelques mois on se disait « mince, ça aurait été trop bien d'avoir enregistré cette version de la chanson ! ». Et donc cette alchimie dans le groupe, on voulait réussir à la représenter sur disque plutôt qu'avoir des regrets après, en incluant leur opinion et leur aide plus tôt dans le processus.

En parlant des membres de Mount Kimbie, est-ce qu'Archy (ndlr : King Krule) est officiellement le cinquième membre du groupe maintenant ? Parce qu'il est impliqué à chaque fois que vous faites un vrai disque !

Kai : Il est toujours invité, oui ! S'il voulait venir tourner tous les jours avec nous, il serait plus que bienvenu ! Et s'il voulait rejoindre le groupe pour un moment, il serait plus que bienvenu aussi ! N'importe quand, si Archy veut se pointer, il se pointe. Ceci dit, il a ses autres projets qui le gardent bien occupé, mais oui, on peut l'appeler l'autre membre, le cinquième membre ! Il ne se pointe juste pas souvent ! (rires)
Dom : Il vient jamais aux répétitions oui ! (rires)

Pour cet album aussi, vous avez reçu des messages vocaux à quatre heures du matin, comme pour Blue Train Lines ?

Kai : Alors, oui ! Pour Boxing il a envoyé ça au milieu de la nuit, juste la piste qui jouait dans le fond du téléphone, avec lui qui chantait par-dessus.

D'ailleurs, Archy, est-ce que ce n'est pas ce côté violence contenue de l'album, ce Sunset Violent finalement ?

Dom : Honnêtement, c'est assez étrange parce qu'on avait pas trop d'idées pour le titre, et dans toutes les paroles on a vu cette phrase de Dumb Guitar qui collait tellement bien. Sans trop savoir pourquoi, mais ça marchait, ça allait avec le son du disque, tout en étant ouvert à interprétations.
Kai : On ne fonctionne pas trop en se disant qu'on choisit tel accord parce qu'il veut dire ça, et tel accord parce qu'il représente ça. On essaye d'accéder à quelque chose qui est légèrement hors de portée d'une explication rationnelle, et donc le titre de l'album a tout un tas de significations, mais sans que l'on puisse clairement l'exprimer et l'expliquer.
Dom : C'est un choix instinctif. Comme pour la pochette, on avait plein d'options dans le travail de T-Bone Fletcher, et c'est l'instinct qui nous a guidé pour choisir celle-là, comme pour le titre.

C'est vrai que le titre colle vraiment bien, avec ses parties sombres et étranges, et en même temps plein de passages beaucoup plus mignons et hyperpop, comme la ligne de synthé qui pop-pop à la fin de Fishbrain...

Kai : Oui, on a vraiment essayé d'aller chercher dans ces petits trucs de pop qu'on adore.
Dom : L'idée était d'entendre l'immédiateté de ce qu'on ressentait, de ce qu'on pensait sur le moment. Comme piqués en intraveineuse dans le disque.

Au passage, c'est amusant que Mount Kimbie ait commencé ancré dans l'électro, ce style post-dubstep avec lequel on vous a saoulé pendant des années, pour finir dans une presque dream pop, là où tous les groupes de rock des années 2000/2010 ont passé leur temps à aller vers toujours plus de musique électronique...

Dom : Il y a eu beaucoup de circonstances qui ont fait que, mais jouer live a aussi vraiment influencé notre manière de voir les choses. On s'est mis à rechercher la capture de cet instant, de l'action live dans un enregistrement.

J'arrive aux questions finales, et en réécoutant MK 3.5: Die Cuts | City Planning, j'ai trouvé presque inattendu que vous reveniez, sur The Sunset Violent, à un album à la structure très classique. Quand aujourd'hui l'écoute musicale tourne autant autour du streaming, du clubbing, de TikTok, des singles en « fast-music », c'est quoi la place d'un album en 2024 pour vous ?

Kai : C'est compliqué. Parce que même en tant que fan de musique, je n'écoute plus autant d'albums que j'ai pu le faire, et en même temps, en tant qu'artiste, ça me semble complètement essentiel de pouvoir collecter les idées et les mettre en forme dans un album. Je vois toujours ça comme la meilleure manière de le faire, et la seule qui permette de créer quelque chose de plus grand, qui te permet de t'étendre. Et il te reste à espérer que ton album soit celui qui sorte la tête du bruit et de la masse. Mais c'est compliqué pour tout le monde. Même quand j'ai envie de me mettre juste sur un album, il faut toujours combattre tous les autres trucs parasites qui t'entourent. Mais je continuerai de penser que c'est le meilleur outil pour briller et te montrer. Ça dépend un peu du genre, mais pour nous, ça marche.

Oui, parce qu'il y a des DJs qui se fichent de sortir un album, et qui font juste tourner leur musique d'un club à l'autre, et qui n'imaginent pas les choses autrement...

Kai : Oui, comme tu as en musique des choses où un disque avec juste deux ou trois chansons va être le plus approprié. Et c'est dur d'expliquer pourquoi, mais c'est le meilleur format pour certains genres de musique. La musique classique aussi c'est un peu particulier, mais pour les formes de musique les plus populaires, l'album permet encore de faire quelque chose qui transcende la simple chanson ou le single.

Donc vous n'allez pas tenter une nouvelle forme de média incroyable la prochaine fois ?

Kai : Il ne faut jamais dire jamais, l'idée n'est pas de s'accrocher au passé. L'idée, c'est d'engager les gens dans notre musique de la manière la plus efficace, et jusqu'à ce qu'on trouve mieux, je continuerai à faire des albums. Parce que j'ai encore pas trouvé mieux que ça à mon sens.

Dernière question, mais c'est vraiment parce que j'ai regardé le Superbowl la nuit dernière... Dom, comme tu as plein d'amis dans le rap game US, tu aurais envie de jouer à la mi-temps du Superbowl, en invité ?

Dom : J'adorerais écrire quelque chose pour une pub du Superbowl ou un truc du genre !
Kai : Oui, on est disponibles pour l'année prochaine ! (rires)

Attention, il faudra peut-être danser et porter des tenues improbables !

Kai : Non mais c'est bon, ça va le faire !
Dom : Oui, on peut le faire, ne t'inquiète pas ! (rires)