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Interview : François Floret présente La Route du Rock Collection Été 2012

Dossier réalisé par François Freundlich le 23 juillet 2012

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Comme chaque année, La Route du Rock de Saint-Malo parvient à réunir la meilleure programmation de musiques indépendantes en France dans un festival à taille humaine. François Floret, directeur et co-programmateur, nous livre sa vision de l'organisation d'un festival en 2012 : respectueuse, précise et sans concession.

Quel est votre rôle au sein du festival La Route du Rock ?

Je suis directeur du festival La Route du Rock et co-programmateur, avec Alban Coutoux, qui fait tout le travail de recherche sur les artistes. Alban propose les artistes susceptibles d'être programmées au festival et nous tranchons à deux. Nous sommes souvent d'accord mais c'est un rôle que j'aimerais réévaluer car je me suis laissé emporter par tout l'aspect juridique et économique du festival. Auparavant, je m'investissais plus personnellement sur la programmation. Il faut que cela soit unanime sinon le groupe n'est pas programmé.

Quel a été votre moment préféré de la Route du Rock 2011 ?

Je suis très fier d'avoir reçu Aphex Twin, un artiste qu'on cherchait à programmer depuis longtemps. Il y a toujours eu un problème de disponibilité ou financier par le passé mais quand nous avons su qu'il était disponible, nous avons foncé. Nous avons fait l'effort suffisant et avons éprouvé le même plaisir que pour certains grands noms reçus chaque année, comme Massive Attack en 2010. Quand nous avons ces stars, à nos yeux, qui jouent chez nous, nous avons l'impression d'être des gamins qui réalisent un rêve. Aphex Twin me fascine depuis des années, j'ai été scotché par ces tubes à l'image de Come To Daddy ou Windowlicker et par ses vidéos. Nous avons eu un peu peur des rumeurs sur le fait qu'il joue parfois en dilettante, qu'on ne le voit jamais, uniquement son visuel. Nous savions que ça allait être un show très visuel avec du morphing en direct sur l'écran. Cela ne m'a pas scotché car c'était redondant mais ses lumières et ses lasers étaient bien coordonnés. Globalement j'ai plus apprécié Aphex Twin au Pitchfork Music Festival qu'à la Route du Rock où j'ai eu plus de temps pour analyser le show, avec ce mille-feuille de drum'n'bass barrée, déstructurée, extrême et ce feu d'artifice d'images sur la fin. C'est un maître dans ce style : un grand moment.

Comment s'annonce cette Route du Rock avec des têtes d'affiches possédant une bonne notoriété : Spiritualized, The XX, Mazzy Star, Dominique A ?

Il y a Squarpusher également dans le même style qu'Aphex Twin. Cela s'annonce plus calmement que l'année dernière en termes de réservations. C'est plutôt mou et je suis assez étonné. L'an dernier, j'étais surpris de faire un bon score avec une programmation assez pointue. Cette année, j'avais l'impression que ça l'était moins, mais il y a moins de réaction du public. J'espère que cela va se réveiller. En termes de programmation, nous sommes fiers de tous ces groupes. Nous arrivons encore une fois à présenter tous les styles de familles des musiques indépendantes. Je pense que nous présentons ce qui est le plus intéressant actuellement. C'est pour cela que nous avons donné ce sous-titre “collection“ sur les éditions été et hiver : pour présenter ce qui nous paraît le plus excitant sur les six mois passés et à venir. Pour The XX, nous sommes un peu déçus que l'album ne soit pas sorti avant le festival comme c'était prévu initialement car cela aurait été plus important en terme de promotion. Nous nous consolons en nous disant que nous les présentons en quasi-exclusivité, même si ça n'aura pas le même effet sur la fréquentation. A l'édition hiver, ils avaient annulé pour des raisons familiales : la chanteuse était rentrée en famille dans la journée à cause du décès de son père.
Concernant Dominique A, je suis assez étonné du succès de son dernier album. Ce n'est pas forcément mon préféré mais il est un habitué de la Route du Rock : c'est sa quatrième fois. Il vient en position de tête d'affiche car il est maintenant très suivi. Je n'ai pas pu le voir aux Tombées de la Nuit à Rennes mais son concert était apparemment magnifique, que ce soit pour la création autour de son premier album La Fossette ou pour son nouvel album avec tous les musiciens. Je ne suis pas inquiet à propos de son show à la Route du Rock, ça va être du grand Dominique A. Mazzy Star font partie des grands noms historiques de notre famille musicale, que nous sommes très contents de voir chez nous. Cela va être un beau moment d'avoir leur retour en date unique ou presque chez nous. Hope Sandoval était venue il y a deux ans, elle revient avec son groupe qui m'a bercé et m'a fait rêver pendant plusieurs années. Je dis souvent que c'est une programmation d'enfants gâtés : nous compilons les live comme nous compilions, gamins, les chansons sur cassettes audio. Nous essayons de réunir des groupes que nous adorons et que nous avons envie de présenter à un maximum de gens. Ils font comme partie de la famille. Nous avons également de nouveaux groupes assez fabuleux comme Alt-J, Cloud Nothings ou Veronica Falls annoncés plus récemment.



Quels sont vos coups de cœur 2012 ?

J'ai du mal à sortir un nom car si Alban et moi décidons qu'un groupe est programmé, c'est qu'il nous a forcément fait chavirer. Ces trois groupes sont totalement différents. Chacun de ces styles nous parlent. Alt-J me fait penser à The Beta Band avec ce côté pop bricolé et barré. Des chansons très fraiches et pleines de contre-pieds. Veronica Falls sont plus classiques dans une pop assez énergique qui est typiquement un groupe Route du Rock. Ce n'est pas vraiment une surprise mais cela reste de grande qualité. Nous les avions mis de côté depuis un moment. Cloud Nothings font partie de ces groupes que nous défendons de plus en plus, énergiques et énervés. Ils restent fondamentalement pop mais avec quelques morceaux assez violents qui bousculent les schémas pop habituels. Personnellement j'aime moins les groupes que nous programmions anciennement à la Route du Rock : poppy, un peu trop pop à mes yeux. Quand c'est plus saignant, cela me plait plus à l'exception d'orfèvres comme Belle & Sebastian qui font de la vraie pop classieuse. Actuellement, j'ai plus besoin de cette hargne. The Walkmen en font partie : le dernier album est assez calme même si sur scène ils sont assez énervés. Il y a cette voix tragique, particulière. C'est également un groupe que nous voulions programmer depuis des années et que nous avons enfin réussi à attraper.

Beaucoup de groupes sont en exclusivité à la Route du Rock cette année, programmer The Soft Moon a par exemple été un gros investissement, pouvez-vous nous en dire plus ?

C'est un groupe que nous voulions déjà programmer l'été dernier sans que cela ne soit possible à cause de leur planning. Ils ne sont pas en tournée donc pour les faire venir, il y a des frais supplémentaires. Mis à part les cachets, il faut payer le transport, les hôtels et les quelques journées supplémentaires pour qu'ils ne fassent pas uniquement un aller-retour. Cela coûte globalement trois fois plus cher que s'ils étaient en tournée. Ce n'est pas une folie non plus comme The Cure, mais en tournée nous aurions payé 3000 ou 4000 euros, là c'est trois fois plus. Il s'agit d'un investissement mais nous les voulions vraiment : c'est notre côté enfants gâtés qui tapent du pied. Cela nous paraissait tellement évident le vendredi, juste avant Squarepusher, c'est un tout.

Comment compose-t-on l'évolution du timing de programmation d'une journée de Route du Rock ?

Nous essayons de broder nos soirées de la manière la plus cohérente et progressive possible. C'est un vrai travail, j'espère que cela est perçu comme une spécificité. La tâche est souvent compliquée en fonction des disponibilités des artistes qui doivent jouer tôt, pour pouvoir repartir ailleurs le lendemain. Il faut négocier. A l'écoute d'un groupe, on se dit parfois que cela serait parfait s'il jouait avant un autre mais parfois le planning ne correspond pas et cela freine notre idée de logique artistique. Le public se pose parfois des questions sur la cohérence des horaires. Nous y avons généralement pensé bien avant : certains concerts seraient mieux à la nuit tombée, mais parfois le groupe ne veut pas ou ne peut pas. C'est malheureux mais nous sommes bien obligés de composer avec. Nous restons tout de même très précis en demandant par exemple à nos DJs résidents, les Magnetic Friends, de diffuser des morceaux en conséquence. Ils font la liaison parfaite entre chaque prestation, de manière personnelle ou drôle. Tout est pensé de 18h à 3h30 pour avoir un projet artistique complet et cohérent.

Quelles sont les nouveautés de la Route du Rock cette année ?

La nouveauté 2012 est qu'il n'y aura non plus un mais deux groupes sur la scène de la Tour. L'idée est d'ouvrir le festival avec un groupe sur la petite scène de la Tour, comme avec Yeti Lane le vendredi. Les portes ouvrent plus tôt que d'habitude pour que les premières personnes qui arrivent, généralement environ trois-cent, aillent devant une petite scène pour un groupe qui va jouer devant un public compact et peu nombreux. C'est plus sympa pour le groupe et le public que d'ouvrir sur la grande scène avec un public disparate. J'ai toujours dit qu'il n'y aurait jamais deux scènes à la Route du Rock, je disais ça dans l'idée de scènes « hypermarché de la musique » ou les gens choisissent entre deux groupes qui jouent en même temps sur deux scènes. Cela n'est pas notre démarche. Nous voulons que le public ait la possibilité de voir l'ensemble de notre programmation de l'après-midi à la Plage jusqu'à l'Escalier le soir, pour finir vers cinq heures du matin. Il faut que tout ce que nous proposons aux festivaliers soit visible, sous réserve de condition physique évidemment. De cette manière, il n'y a pas de choix cornélien à faire. Nous avons une deuxième scène pour avoir du live à la place de nos DJs résidents, par exemple sur les grands instants de changement de plateaux. Ce n'est pas possible de faire un live par changement de plateau, ou alors il faudrait ouvrir beaucoup plus tôt. Le timing est déjà très serré donc il serait difficile de rajouter des groupes à chaque changement de plateau dans cette configuration.
Une autre nouveauté est le réaménagement d'une partie du festival. L'espace billetterie, accréditations et pose de bracelets sera déplacé au sein du village camping. Cela évitera aux gens de faire un aller-retour vers le festival avec leurs affaires. Nous avons écouté les gens sur ce point et dépassé les raisons logistiques qui ne nous permettaient pas de le faire jusque-là. Tout sera centralisé à l'accueil camping et l'entrée du festival se fera également à ce niveau-là, plus en amont. L'ancienne entrée sera transformée en un espace appelé « la place des remparts » avec un maximum d'installations pour rendre le festival vivant : les fanzines, le merchandising, un bar, la restauration, les stands prévention et sécurité. Tout sera aménagé pour que ce soit un endroit de repos et de rencontres.
Cette année, la journée « Sport is not Dead » se déroule le dimanche. Il y aura du football, du rugby, du dodgeball sur la Plage de l'Eventail. Souvent je fais partie de l'équipe de football officielle de la Route du Rock. D'habitude cela se passait le vendredi : j'accueillais la commission de sécurité qui inspecte le festival le matin et j'enchainais ensuite avec le tournoi de football. Je n'avais pas le temps de manger et j'étais presque à l'agonie sur le terrain. Les gens n'étaient pas tous arrivés donc le tournoi était un peu confidentiel, avec peu de monde. En le déplaçant le dimanche, nous espérons qu'il y aura plus de festivaliers qui viendront. L'esprit sera sportif, sympa et bon enfant. Nous mettrons une sono avec de la musique du festival et quelques drapeaux Route du Rock. Cette année il y aura un partenariat avec Décathlon qui fournira des buts et des lots pour les gagnants. Décathlon sera aussi présent sur le camping, avec un stand de fourniture de matériel, tentes et vêtements de soleil ou de pluie.

Comment se compose votre emploi du temps pendant le festival ?

J'ai beaucoup d'obligations qui ne me déplaisent pas car j'adore rencontrer du monde de tous les horizons pour parler de mon festival. Il y a d'abord un gros travail de préparation, surtout en ce moment en juillet. J'arrive généralement sur le site le jeudi. Je commence par faire visiter le site aux enfants des centres aérés du coin, car j'adore les enfants : je suis un papa poule. J'explique comment fonctionne un festival aux gamins qui ont environ une dizaine d'années, comme les miens. Ils sont fascinés de voir tout cela de l'intérieur, de découvrir les coulisses... J'offre deux heures de mon après-midi avant de leur proposer un goûter. C'est très sympa. Le vendredi, je rencontre généralement tous les élus invités des collectivités de Saint-Père et Saint-Malo, du ministère de la communication, du conseil général et régional. Nous leur expliquons comment tout fonctionne, pourquoi nous avons besoin d'argent et où va cet argent. Cela permet d'avoir de vraies discussions sur le terrain et les élus adorent la visite du site. Je ne fais pas de grands discours ou de conférence de presse : je réponds surtout à leurs réflexions et j'ai parfois des coups de gueule. Par la suite, pendant le festival, j'essaye de surveiller l'ensemble de l'aménagement en tant que directeur. J'ai une totale confiance dans mes équipes donc je ne suis pas très inquiet. Malgré tout, il peut y avoir des prises de décision rapides à opérer donc je reste enfermé dans mon bureau une bonne partie du début de la soirée de vendredi pour m'assurer que tout est bien enclenché. Une fois que je sens que tout va bien, je me détends un peu et je vais voir quelques concerts. Je descends dans la foule. Certains aiment bien aller voir les groupes en backstage, je m'en fous un peu : je préfère avoir du son plein la gueule comme tout le monde dans la foule. Je reste tranquillement au niveau de la tour régie pour découvrir les groupes au naturel. Le vendredi je suis détendu, le samedi encore plus et le dimanche je suis vraiment tranquille. Entre temps, je fais beaucoup de relations publiques avec les partenaires. J'accueille et je discute avec les partenaires privés et publiques.



Vous parlez sûrement beaucoup de la situation du Fort de Saint-Père avec les élus...

Je leur montre les problèmes sur le terrain. La communauté de Saint-Malo Agglomération a décidé il y a deux ans de débloquer un crédit de 500 000 Euros pour faire des travaux dans le fort, spécifiquement pour la Route du Rock. Il s'agit entre autres de drainer le sol. Mais cela ne se fait pas pour le moment, pour des raisons administratives ou politiques. Bien sûr, nous en avons marre que nos festivaliers pataugent dans la boue : cela ne fait rire que les anglais. Le Fort n'est pas du tout adéquat en termes de confort. Dans un premier temps, cet investissement devait être confié directement à Rock Tympans pour gagner du temps. J'avais réuni des amis ingénieurs pour y travailler l'an dernier, pour l'édition 2011. Pour des raisons obscures ou politiques, la maîtrise d'ouvrage a été donnée à la mairie de Saint-Père qui suit des procédures administratives classiques prenant beaucoup plus de temps, comme des appels d'offres publiques. Ces travaux de drainage du sol pour éviter les lacs pendant le festival auront lieu mais, hélas, pour l'édition 2013. Dans la foulée, des enfouissements d'électricité et sanitaires auront également lieu. Je cherche avant tout à respecter le public et j'ai honte depuis quelques années de recevoir le public dans ce lieu. Quand nous entendons les gens s'indigner et dire que nous ne faisons rien : s'ils savaient le temps depuis lequel nous nous battons pour que quelque chose se passe... Il y a enfin un budget voté, nous touchons au but mais c'est long.
La Route du Rock est vraiment attachée au lieu du Fort de Saint-Père en espérant réellement toucher au but avec ces travaux. Malgré tout, si je n'avais pas eu certaines assurances, nous serions déjà en train de chercher un autre endroit. Il va encore falloir s'armer de patience même si cela fait des années que nous le faisons. J'espère que cela ne sera pas l'année de trop et que les gens en ont finalement marre de patauger. Ça peut jouer aussi sur la fréquentation, les gens ne voulant peut-être plus être mal reçus. Mon rêve serait qu'avec un coup de baguette magique, nous puissions à nouveau camper dans les douves du fort, que tout soit propre à l'intérieur pour qu'en cas de pluie, cela s'évacue correctement. Pourquoi ne pas également couvrir une partie de l'espace ? Plus on investira, plus cela dégagera des budgets pour peaufiner l'accueil des festivaliers.

Essayez-vous d'atteindre Portishead en invitant BEAK> ou Arcade Fire en invitant Owen Pallett ? Est-ce qu'au final ce n'est pas vexant de les voir choisir l'argent des gros festivals pour leurs groupes à succès ?

Bien sûr que cela fait mal au cœur. Nous ne les invitons pas spécialement pour ça, mais d'abord pour ce qu'ils font. Nous avons d'ailleurs failli réinviter BEAK> mais ils ne pouvaient pas cet été. Portishead ou Arcade Fire ont évidemment leur place chez nous et nous ne comprenons vraiment pas pourquoi ces groupes préfèrent une logique financière à une logique artistique. C'est le cas pour beaucoup d'artistes. Pour illustrer la situation avec une anecdote : nous n'avons jamais compris comment PJ Harvey avait joué aux Vieilles Charrues l'an dernier. Nous lui avions fait une proposition deux ans auparavant, mais elle avait refusé de jouer dans le Fort parce qu'elle ne voulait pas jouer devant trop de monde. Elle voulait jouer au Palais du Grand Large pour un cachet assez énorme mais, bien sûr, on ne peut pas se permettre de faire jouer PJ Harvey pour ces sommes dans un tel lieu. S'il y avait bien un groupe que nous n'imaginions pas aux Vieilles Charrues, c'est bien Portishead. Je ne tape pas sur ce festival, ils ont le droit de faire jouer Portishead, mais je n'apprécie pas que nous ne puissions pas les avoir également. L'année où Arcade Fire sont passés aux Vieilles Charrues, ils auraient pu venir chez nous, mais nous n'avons pas eu le droit de les faire. C'est un truc qui me gêne. Ils étaient disponibles, nous avions fait la bonne offre mais c'est une histoire d'exclusivité. J'espère que nous les aurons un jour ! Ces histoires d'exclusivité, c'est crétin car ce n'est pas la Route du Rock qui va déshabiller les Vieilles Charrues. Pour Arcade Fire, le Fort serait surement complet à 12.000 personnes. Cela n'empêchera pas les gens de venir les voir aux Vieilles Charrues avec d'autres groupes encore plus connus. Je ne vois pas l'intérêt puisqu'en plus nous sommes un festival ami. Nous les connaissons tous très bien : nous allons chez eux, ils viennent chez nous... Certains autres festivals sont paranoïaques, voulant absolument les têtes d'affiche en exclusivité pour ramener plus de monde. D'autres font ça pour le prestige comme les Transmusicales qui veulent garder cette image de découvreurs : ils sont très à cheval sur les exclusivités. Nous nous en foutons : nous n'avons ni les moyens financiers de le faire, ni la prétention. Bien sûr, si un groupe sur lequel nous avons mis plus d'argent comme The Soft Moon, pour lesquels nous avons payé expressément les billets d'avions, veut faire une autre date en France, nous le prendrons mal. Nous n'interdirons pas à l'autre festival de le faire mais nous demanderons de partager les frais.

Avez-vous réussi à programmer tous les groupes que vous visiez cette année ?

Je ne me souviens plus vraiment, j'ai une mémoire sélective. Nous en avons essayé beaucoup comme !!! que nous aurions bien aimé avoir à nouveau. Je préfère les oublier : cela fait moins de frustration. Je ne voudrais pas que l'on pense que les groupes présents soient des choix par défaut alors que ça n'est pas vrai. Nous avons quand même eu ce que nous voulions. Cela faisait longtemps que nous voulions revoir Spiritualized, nous tentions tous les ans. C'est toujours une histoire de disponibilité et d'argent. Nous avons fait énormément d'efforts pour avoir Lower Dens, un groupe qui n'était pas forcément disponible, tout comme Chromatics. Avec The Soft Moon, ce sont les trois groupes pour lesquels nous avons fait beaucoup d'efforts. Nous attendons également Stephen Malkmus depuis longtemps, il fait partie de la famille : c'est logique de le voir enfin chez nous. Il fait partie des vieux de la vieille. On me demandait l'autre jour si je trouvais normal d'avoir des groupes connus comme Dominique A, The XX ou Mazzy Star à la Route du Rock. Je n'ai pas compris pourquoi, il n'y a pas que des groupes inconnus et pointus à la Route du Rock. Ce n'est pas parce que notre marque de fabrique est de présenter une musique assez innovante et des découvertes que nous ne pouvons pas présenter des groupes confirmés depuis des années, en tête d'affiche ou non. Nous nous faisons autant plaisir avec Massive Attack, Aphex Twin ou The Cure. Si cela reste cohérent, il y a de la place pour la découverte mais aussi pour leurs grands frères.

Il y a plusieurs sites encore cette année : le Fort, la Plage, le Palais du Grand Large, l'Escalier... Que pensez-vous des soirées électroniques à l'Escalier ? Visent-elles vraiment un public de festivaliers de la Route du Rock ou plutôt d'habitués des boîtes de nuit ?

S'il y a bien un club qui mérite d'être associé à la Route du Rock, c'est l'Escalier. C'est un club qui prend des risques sur le plan artistique dans la musique électronique. Ils ont programmation assez pointue à l'année avec des artistes internationaux. Il y a quelques années, on ne pouvait pas intégrer de concerts à l'Escalier l'été puisqu'ils ne pouvaient pas ouvrir après cinq heures du matin. Depuis deux ans la législation européenne le permet. L'hiver, il y a un peu moins de monde donc il est plus facile de trouver une cohérence avec la soirée précédente. L'été en août à Saint-Malo, il y a beaucoup de jeunes qui viennent danser, donc il y a deux ambiances : c'est un peu plus rugueux avec des gamins qui s'embrassent dans les coins. Mais c'est comme ça, il faut vivre en société ! D'avoir Michael Mayer ou Jamie XX dans cette discothèque c'est un plus en termes d'image. Ce n'est pas ça qui va remplir l'Escalier plus qu'à l'habitude en été mais c'est une façon de dire au public que la soirée ne s'arrête pas à 3h30 : les festivaliers peuvent continuer leur week-end mémorable. Nous proposerons plus de navettes cette année pour qu'ils le puissent.

Le Palais du Grand Large proposera également des concerts, uniquement le samedi...

Historiquement, un partenariat avec Sony Ericsson nous permettait de programmer trois après-midi au Palais. Les concerts dans l'auditorium sont assez chers et peu rentables donc quitte à ne pas gagner d'argent, nous ne voulions pas en perdre. Sans partenaire, nous avons décidé de rester au Palais mais sur un après-midi uniquement. Il s'agit d'un lieu important pour nous : une autre proposition artistique. Ces artistes ont besoin de cette proximité avec un public assis, pour présenter avec délicatesse leurs créations. Tout est réuni pour que cela soit magnifié : le son, la lumière, la grande scène. Ces artistes plus fragiles ont besoin de plus d'attention pour toucher le public. On assiste à de très beaux concerts chaque année avec des conditions parfaites. L'auditorium a été refait à neuf avec 1050 places, soit 300 de plus. Il y a maintenant des sièges en cuir avec climatisation individuelle donc c'est le grand luxe. Nous débuterons avec Memoryhouse, un groupe de pop électronique assez calme, reposant et subtil, avec une voix féminine d'une beauté lunaire. Cela fait partie des artistes que nous aimons et qui nous bercent régulièrement. Il y aura évidemment Dominique A, qui sera le grand rendez-vous du samedi au Palais pour jouer son album La Fossette. Il s'agit du premier album qui l'a fait tant connaître et qui a tellement révolutionné la chanson française. C'était un électrochoc, un OVNI il y a vingt ans. Il l'a bien sûr retravaillé dans son exécution. Il jouera également au Fort le vendredi soir pour présenter son nouvel album qui marche tellement bien. Le Festival des Tombées de la Nuit à Rennes est à l'origine de cette création. Nous ne faisons que profiter du travail de ceux qui sont à l'initiative de ce très beau projet.

A propos de la pluie qui a marqué les deux dernière éditions : existe-t-il une cellule météo à la Route du Rock ? Est-ce que vous angoissez quelques jours avant ?

Il y a quelques années, oui, c'était l'un des paramètres qui m'angoissait. On a justement bien vu ce qu'il s'est passé aux Tombées de la Nuit à Rennes début juillet. Le festival a été massacré par la météo. Des orages qui durent habituellement un quart d'heure ont duré une heure et demie. Tous les spectacles dans les jardins publics ont été annulés : c'était une vraie catastrophe. J'ai voulu leur envoyer un SMS pour les réconforter mais il y avait une panne du réseau Orange... J'avais donc une réelle angoisse de la météo : les gens me disaient d'arrêter de visiter tous les sites internet de météo, pensant que j'allais faire une névrose. Finalement, je me suis rendu compte qu'aucune prévision n'est fiable, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Maintenant je me dis « alea jacta est ». En Bretagne, on ne sait jamais : en se levant le matin, le ciel est bleu et une heure plus tard il peut être sombre. Tout change très vite en bord de mer donc cela ne sert à rien de se prendre la tête. S'il fait beau, tant mieux, s'il pleut nous commençons à être habitués même si c'est lassant. Il y aura bien un jour où nous passerons le festival sans une goutte.



Quel est le budget de cette année ?

Le budget est stable : nous n'avons pas forcément de rallonge privée ou publique. Il y a une petite baisse du Ministère de la Culture. J'espère que cela va changer avec le nouveau gouvernement. En privé il y a également quelques frilosités dues peut-être à la crise. Le budget est identique à celui de l'année dernière. Nous aimerions évoluer et garantir l'avenir car notre taux d'autofinancement est élevé. Mon but est de rendre le festival le plus sûr financièrement possible pour dégager des bénéfices qui permettront d'évoluer et de s'améliorer sur l'accueil qui est l'un des objectifs principaux, en plus de l'artistique. Sur ce dernier point, nous ne pouvons évidemment pas concurrencer les autres festivals compte-tenu des cachets. Nous tentons de jouer sur nos avantages, nos atouts comme l'accueil des artistes qui sont reçus comme des rois. Ils s'en parlent par la suite entre eux. Nous misons sur notre identité et notre public fidèle.

Pour un festival à taille humaine comme la Route du Rock, quelles sont les difficultés pour exister face aux mastodontes du milieu ?

Les difficultés sont liées à l'artistique comme nous l'avons vu avec Portishead ou Arcade Fire, même si pour ces deux cas, nous avions fait les bonnes propositions financières. Si nous nous approchions des cachets des mastodontes, nous aurions plus de chances. Nous pourrions faire plus de communication autour de l'événement. Plus le public voit l'événement avec du matraquage, plus il est interpellé et se dit que cela peut être intéressant. Le but est de devenir plus présent pour un festival confidentiel comme le nôtre. Nous avons besoin de ces têtes d'affiches pour nous faire connaître. Pour les groupes en découverte, par contre, ce n'est pas un problème. Il nous faut un certain nombre de spectateurs : l'an dernier avec 19.000 personnes, nous avons réussi à dégager 20 000 à 30 000 euros de bénéfices, ce qui a permis d'éponger le passif. Nous sommes désormais presque à l'équilibre. Le rêve serait de payer des impôts...

Quel est votre festival préféré, à part la Route du Rock bien sûr ?

Je suis plutôt casanier mais j'apprécie les Eurockéennes de Belfort par exemple. J'aime un peu la programmation mais beaucoup l'ambiance et la convivialité. Cela fait quelques temps que je n'y suis pas allé mais j'espère y retourner l'an prochain. Là-bas, les gens sont fiers de leur festival et se fédèrent autour de l'événement. Je les envie car ce n'est pas le cas chez nous. Il y a le Primavera Sound Festival évidemment, c'est la classe même si je n'y suis pas allé : je me rends plutôt à Benicassim. J'aime bien le Pitchfork Music Festival qui est un événement plutôt classieux qui nous ressemble. C'est d'ailleurs l'équipe technique de la Route du Rock qui y travaille. Ils ont voulu retrouver l'ambiance Route du Rock et ont embauché notre directeur technique et son équipe. Nous avons un peu l'impression de nous y retrouver. J'aime aussi le Festival des Inrockuptibles, les Transmusicales de Rennes…

Attachez-vous autant d'importance à la promotion via les webzines par rapport aux autres médias ?

Nous n'avons pas vraiment de stratégie presse. Nous n'avons pas d'équipe fixe : cela change tout les ans. Nous répondons à tous ceux qui s'intéressent au festival : petits, moyens ou gros. Il n'y a pas de passe-droit entre TF1 et un webzine. Je refuse parfois certaines demandes crétines de télévisions voulant que j'adopte une posture ou que je dise certaines phrases : je dis ce que j'ai à dire.

Comment voyez-vous le futur de la Route du Rock ?

Nous n'avons pas vraiment de plan de carrière, nous faisons ça depuis vingt-deux ans de manière spontanée en faisant les comptes à la fin. Nous regardons ensuite comment continuer et avec qui. Nous peaufinons quand même un minimum, sans être totalement punk non plus ! Il est toujours difficile de savoir comment évoluer. Il est déjà compliqué d'organiser les collections hiver et été, surtout l'été. Nous nous fixons déjà sur ce que nous avons. Nous avons commencé l'édition hiver en 2006 grâce à une bonne année 2005 avec The Cure qui a ramené 30 000 personnes. Par la suite, nous pouvons changer aussi, nous pouvons nous lasser. Tant que l'envie de défendre ces musiques est là, que nous sommes suivis, nous sommes contents. Nous vivons un rêve de gosse. Le jour où nous n'aurons plus de public, nous nous poserons des questions. Par exemple, quand nous voyons que le niveau des réservations est moyen, nous nous demandons si nous ne sommes pas has-been.
Au final j'aime à dire que la Route du Rock est un wikipedia-festival. Nous écoutons les gens puis le festival évolue et mute tout seul. Nous sommes là pour catalyser les idées du public, de nos stagiaires, de tout le monde. Nous avançons rapidement, sans forcément nous définir sur cinq ans. A partir du moment où nous conservons 100% de l'ADN Route du Rock, cela me va. L'important est qu'il n'y ait pas de compromis et que nous ne fassions pas n'importe quoi uniquement pour ramener du monde. Sur ces points nous ne nous forçons pas : nous avons ça dans les tripes. Je suis aussi exigeant dans la vie, même si certains doivent parfois le supporter !