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Laetitia Sadier

The Trip

Laetitia Sadier - The Trip
Chronique Album
Date de sortie : 13.09.2010
Label : Drag City/PIAS France
35
Rédigé par Chloé Thomas, le 15 octobre 2010
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Bien qu'impossible à définir, la voix de Laetitia Sadier est immédiatement reconnaissable. Et parce que c'est d'abord à Stereoloab qu'elle est associée, Sadier chantera toujours avec une voix étiquetée Stereolab, qu'elle le veuille ou non, et quelle que soit la formation dans laquelle elle se produit; son groupe Monade, ou en solo comme ici. Il s'avère elle n'a jamais eu l'envie de partir dans une direction complètement différente, et même pour cette première expérience en solitaire, on reste dans l'esprit du groupe matrice du post-rock des années 1990.

Reconnaissable dès les premières mesures donc, Laetitia Sadier n'en est pas moins méconnue, en tout cas en France. Cela suffit d'ailleurs à justifier qu'on la chronique ici, puisque, bien que française, c'est en Angleterre qu'elle travaille et qu'elle trouve d'abord son public. Mais même outre-Manche, elle n'est pas exactement populaire et sa célébrité ne dépasse pas des cercles assez élitistes. C'est que Stereoloab propose une musique pas des plus faciles d'accès, et que dans ses side-projects, Sadier a conservé la même exigence.

Pour certains, The Trip sera donc un peu abscons. Pour les autres, il sera, au moins, un peu abstrait. L'album semble être un objet conceptuel, c'est sûr, et cela en irritera plus d'un. Mais attention, il reste pourtant très écoutable même sans être féru de post-moderne, post-rock, post-musique, post-tout; le son est pop et ludique, doux, les ambiances agréables. Là-dessus, Sadier ajoute un songwriting, en anglais la plupart du temps, avec un french accent des plus chics, par lequel elle raconte de petites histoires mélancoliques où il est question de routine assassine, de départs à la dérive et de libérations. Curieusement, elle ne cesse de jouer sur une discordance entre ses phrases et le phrasé de sa musique, discordance d'autant plus remarquable qu'elle prend corps au sein même d'harmonies parfaitement maîtrisées. On évolue alors dans une inquiétante étrangeté à la fois stimulante et un peu effrayante.

L'album est construit autour de trois pistes très courtes et instrumentales (la 3, la 7 et la 9), lesquelles servent de points de repos entre des chansons aux couleurs pop-rock mais enrichies aussi d'un travail sonore qui s'apparente à du bruitage et leur donne une profondeur inattendue, là même où la pop reste souvent, et presque par définition, superficielle. La chanteuse ose aussi deux titres en français. Le premier, Un Soir, Un Chien, une reprise des Rita Mitsouko, est un des plus beaux moments du disque. Entre le parlé et le chanté, se tisse un récit érotique, sensuel (jusque dans le jeu sur les sons purs d'un mot vidé de sens, "ouistiti, ouistiti", érigé en refrain absurde), qui rappelle Gainsbourg ou Kat Onoma. Ici Sadier se pose en héritière d'un certain rock français, assez intello, faisant du poétique la valeur ajoutée nationale à un genre anglo-saxon.

Ceci Est Le Coeur est en revanche le témoin des faiblesses de cet aspect poétique poussé presque trop loin, ou en tout cas devenant trop difficile pour rester pop. « Ceci est le coeur de Laetitia, et dans mon coeur il y a un désert rouge » : quoique son texte soit bourré de références, on a l'impression qu'elle l'improvise en même temps qu'elle chante, avec une naïveté très enfantine; c'est intéressant, mais ça peut laisser un peu dubitatif. Pour le reste, Sadier reste dans la langue de Shakespeare, ce qui est peut-être d'ailleurs en lien avec cette familière étrangeté de sa musique, qui est aussi celle de l'idiome de l'autre qu'on maîtrise sans toutefois pouvoir jamais faire sien.

L'album se termine par une surprise, une reprise inattendue d'un standard : c'est Summertime, le thème le plus interprété sans doute de l'histoire du jazz (sans être d'ailleurs jazz à l'origine). Sadier ne chante que le premier couplet, lentement, précisément, accompagnée d'un piano obstiné, mécanique. Elle en fait un morceau tout sauf jazz, sans passion, sans énergie apparente, mais, à l'image de l'album, mélancolique, doux-amer, à la fois très familier et très étrange. Est-ce une version pop ? Pas tout à fait. A vouloir vraiment la classifier, on ne pourrait que dire que c'est une version Sadier, si discrètement particulière.
tracklisting
    01. One Million Year Trip
  • 02. Fluid Sand
  • 03. Our Interests Are The Same
  • 04. Natural Child
  • 05. Statues Can Bend
  • 06. By The Sea
  • 07. Unfasten
  • 08. Un Soir, Un Chien
  • 09. Another Monster
  • 10. Ceci est le coeur
  • 11. Summertime
  • 12. Release, Open Your Little Earthling Hands
titres conseillés
    Un Soir, Un Chien, Statues Can Bend, Summertime
notes des lecteurs
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