Art Brut

2005, un OVNI nommé Eddie Argos, ne sachant pas chanter et le revendiquant nous hurle que lui et son groupe Formed A Band et qu'ils en sont heureux. C'est alors tout ce qui compte à ses yeux; le projet, décalé et fantasque nous embarque et Art Brut nous délivrent Bang Bang Rock 'N' Roll , un album drôle où le très charismatique Anglais, de son accent cockney à couper au couteau, nous raconte ses amours adolescentes (Emily Kane) ou encore ses problèmes de performance intimes (Rusted Guns Of Milan), le tout servi par des guitares incisives et une rythmique soutenue. On est charmé : c'est naïf, très second degré dans les paroles mais aussi extrêmement efficace et entêtant. S'ensuivent deux autres albums moins imaginatifs qui ne permettent pas au groupe de réitérer la surprise chez les auditeurs.

Brilliant ! Tragic ! est donc le quatrième album d'Art Brut et, pour la seconde fois, c'est Mr Black Francis qui est à la production en plus d'avoir pris le temps de donner des cours de chant à Eddie Argos, lequel indique dans la presse qu'apprendre à chanter pour un quatrième album, c'est plutôt bien mal pour lui. Seulement voilà, ce qu'on aimait chez vous, Mr Argos, c'est justement votre désinvolture façon Mark E. Smith (The Fall), votre je-m'en-foutisme déclarant « Yes, this is my singing voice and it's not irony ». Fort heureusement, les anciennes habitudes subsistent, comme le prouve le premier single, Lost Weekend, où le chant perd en justesse mais gagne en efficacité au fur et à mesure que défilent les quatre minutes.
Enregistré à Salem, dans l'Oregon, Brilliant ! Tragic! est vu par ses membres comme leur meilleur album... nous n'irons pas jusque-là ; ils ont certes fièrement relevé la tête mais voulant toujours mieux faire et voulant de plus en plus maîtriser leur musique, ils s'éloignent de la naïveté des débuts en essayant de réinventer leur art punk. Ils perdent ainsi en spontanéité et en fraîcheur.

Cependant, ne crachons pas dans la soupe, d'excellents titres figurent au programme, comme Bad Comedian qui commence sur un tempo assez lent mais va crescendo, s'imposant ainsi comme l'un des temps forts de cet album. Une fois encore, le leader des Guns, Axl Rose, est à l'honneur ; Eddie Argos le dépeint comme le bon pote que l'on aimerait tous avoir à ses côtés dans un titre éponyme un peu dingue, drôle, très immédiat et beaucoup plus dans un style qui leur sied et leur semble naturel.
A vrai dire, le principal problème de ce disque, c'est justement la volonté de bien faire : chanter plus juste, faire des titres plus étoffés. On se retrouve alors avec un Ice Hockey qui traîne en longueur et manque de vigueur. Parfois, l'équilibre semble être trouvé, comme en atteste Is Dog Eared, titre flirtant avec le post-punk des dernières réalisations de Wire, mais six minutes sans réelle évolution instrumentale, c'est trop et le morceau s'essouffle. On regrette qu'Eddie Argos veuille à tout prix chanter, on aimait ses déclamations brutes !
Heureusement, les musiciens nous montrent qu'ils en ont encore sous le pied et quand vient Martin Kemp, on se rend compte que court, punchy et efficace sont les domaines où ils excellent. Le songwriting est toujours aussi improbable que dans le passé : les amours déçues (Bad Comedian ou Lost Weekend) ou la voyance (I Am The Psychic) ; un point de vue décalé, drôle et rafraîchissant.

Si le groupe s'est ici assagi, nous sommes encore loin du slogan « Art Brut ! Top Of The Pops ! ». Brilliant ! Tragic ! s'avère être en dents de scie ; même si la comparaison avec leur premier LP est malvenue, on ne peut s'empêcher d'y penser tant il a marqué les esprits. On retrouve ici une partie du panache d'antan, lorsque le groupe semblait se faire plaisir sans penser à la technique... Désapprenez encore un peu et vous tiendrez le bon bout !