C'est le jour de leur date parisienne au Nouveau Casino que nous avons rencontré Eddie Argos et Jaster Future, chanteur et guitariste d'Art Brut, afin de parler de leur nouvel album, Brilliant! Tragic!. C'est donc dans un joyeux bordel que les deux Anglais nous ont parlé de leur amitié avec Frank Black, le tout dans la bonne humeur qui les caractérise.
Pour commencer, une question extrêmement sérieuse : qu'en est-il de la résurrection de Top Of The Pops ?
Eddie : Figure-toi que pour notre plus grand plaisir, il y a eu une courte résurrection pour Noël sur BBC4. C'était de vieux enregistrements, des oldies. C'était cool, dommage que je ne puisse pas regarder BBC4.
Jasper : Eddie était tellement triste quand le show a été déprogrammé. Ceci dit, moi aussi j'aurais aimé qu'on aille à Top Of The Pops, c'était la classe cette émission (rires) !
Au niveau musical, que pensez-vous des groupes actuels ? Qu'écoutez-vous en ce moment ?
Jasper : C'est rare que j'écoute des groupes récents mais j'aime bien un girl band qui s'appelle quelque chose comme Priss, un truc comme ça, je ne sais plus exactement... Elles sonnent beaucoup comme ce que j'écoutais quand j'avais 18 ou 19 ans, à la fin des années 90. Actuellement, c'est mon groupe favori. Ces derniers temps, c'est très bizarre tout ce qui se fait musicalement ; c'est comme si le monde de la musique était en mouvement... Et tous sonnent comme s'ils jouaient dans une cave, à faire beaucoup de bruit. Je ne sais pas pourquoi...

Eddie, il me semble que tu aimes Jeffrey Lewis ?
Eddie : J'adore Jeffrew Lewis, vraiment. Il est formidable. On a fait de petites bandes dessinées pour accompagner l'album, pour présenter quelque chose d'original, et Jeffrey a dessiné une des planches pour nous, sur le Joker dans Batman, sur le comédien qui a joué le Joker il y a cinq ans. C'est vraiment réussi, tu verras.
Frank Black a produit pour la seconde fois un de vos albums. Comment travaillez-vous avec lui ? Est-ce qu'il vous donne des conseils ?
Eddie : Je crois que cette fois-ci c'était très différent de la première. Pour le précédent disque sur lequel il a travaillé avec nous, nous étions plutôt intimidés mais il a une manière d'être et de vivre qui te met vite à l'aise. Il a une façon très sympathique de dire les choses ; quand ça n'allait pas, il nous disait « Bon, jouez le morceau trois fois de suite et seulement après, on enregistrera ». Cette fois-ci, comme nous nous connaissions mieux et que nous avions lié amitié, ce n'était pas pareil, c'était un peu comme s'il faisait partie du groupe. Il prenait la guitare et disait « Tiens, essaie ça ».
Jasper : C'est enrichissant de travailler avec un mec comme lui car il nous apprend beaucoup. Cette fois, nous avons expérimenté de nouvelles choses, sur ses conseils. Il osait plus proposer des choses que la première fois, nous étions tous bien plus à l'aise.
Eddie : Frank n'est pas du genre à te dire « Tu as eu une idée stupide sur ce coup-là ! ». Pour le disque précédent, il aurait souvent eu à le dire... peut-être moins sur celui-là... quoi que... (rires). J'aime beaucoup travailler avec lui et je ne pense pas que lui-même travaille avec des personnes qu'il n'apprécie pas et dont il n'aime pas la musique. C'est mon producteur favori pour toutes ces raisons.
Et que vous a-t-il dit à propos de Brilliant! Tragic! ? Que pense-t-il de l'album ?
Jasper : J'espère qu'il l'aime quand même... (rires) Imagine : il le déteste, ce serait affreux (rires) !
Eddie : Non, plus sérieusement, il nous a dit qu'il l'aimait beaucoup et qu'il en était bien plus fier que du précédent. Je crois que c'est aussi parce qu'on sent un peu plus son influence sur ce dernier album.
Mais qu'apporte Frank à votre musique ?
Eddie : Je crois qu'en premier lieu, il apporte son expérience, autant en tant que musicien qu'en tant que producteur.
Jasper : Et puis, ne nous le cachons pas, du fait que ce soit Black Francis, on le prend toujours très au sérieux. Parfois, pendant l'enregistrement, je me disais « N'importe qui m'aurait dit ce que Frank vient de me dire, j'aurais trouvé que c'était une très mauvaise idée » . Mais comme c'était lui, celui-là même qui fait partie de ce petit groupe presque inconnu, les Pixies , alors j'essayais et au final, je me rendais compte qu'il avait raison. En fait, c'est un peu comme ça se passait avec mon père quand j'étais jeune.
Eddie : Parfois, nous partions sur l'idée de faire une chanson punk et Frank arrivait et nous disait « Non, là, je ne la vois pas comme ça. Ralentis tout ça, encore... oui, beaucoup plus lent ». Il avait l'air d'un fou !
Jasper : Parfois, il prenait ma guitare, la désaccordait et je me disais que ça allait mal tourner. Et puis d'un coup, ce qu'il recherchait arrivait, le son qu'il voulait apparaissait et tout le monde disait « Ah mais c'était ça ?! OK, c'est super, tu avais raison ! ». Je crois que tout ça le fait rire car à la fin, il te regarde comme pour te dire « Tu pensais que j'étais un idiot, avoue ! » (rires) !

Eddie, j'ai lu que Frank Black t'avait donné des cours de chant...
Eddie : Oui, c'est vrai.
Cela signifie-t-il que tu aimerais « chanter » de plus en plus et te défaire de ton phrasé si caractéristique ?
Eddie : Non, pas vraiment, mais nous pensions que certains titres de cet album se devaient d'être mieux chantés alors que pour d'autres, mon chant habituel collait parfaitement. La façon dont ça s'est fait a beaucoup aidé. Nous étions à la fin d'une journée d'enregistrement et nous nous apprêtions tous à partir quand Frank m'a lancé « Je pense que tu devrais chanter cette fois-ci ». Jétais anxieux et intimidé d'essayer. Mais il m'a beaucoup aidé et a surtout été patient. Je suis content du résultat, je ne pensais pas du tout en être capable.
Jasper : C'était drôle pour nous de regarder Frank donner ce cours à Eddie. C'était un peu étrange aussi, surréaliste.
Eddie : Nous regardions les paroles de
Sexy Sometimes et Frank m'a dit « Vas-y, chante » et j'ai déclamé très rapidement « Everybody wants to feel sexy sometimes » d'une façon qui était tout sauf sexy. Et j'ai refait ça plusieurs fois et là, il a pris la feuille avec les paroles et a commencé à chanter et nous sommes restés enfermés pendant des heures... et j'ai enfin réussi. Toutes ces années où j'ai été très restreint vocalement étaient frustrantes pour moi. Maintenant, je me dis que je peux utiliser ma voix comme un instrument à part entière. Je le remercie pour tout ça car il ne s'est jamais énervé contre moi, même s'il avait des raisons de le faire. C'est un très bon professeur.
Jasper : Nous, nous regardions ça de loin. Nous écoutions Frank chanter nos chansons en jouant de ma guitare et j'avais envie de prendre une photo avec mon portable et dire la mettre sur internet en disant « Vous vous rendez compte du truc ?! ».
Ce titre d'album, Brilliant! Tragic! , que signifie-t-il ?
Eddie : C'était d'abord un titre accrocheur, comme
Bang Bang Rock'N'Roll l'avait été.
Jasper : Nous avions d'autres idées de titre avant de trouver celui-là, tu te souviens Eddie ?
Eddie : Oui c'est vrai, nous nous étions arrêtés sur un titre mais quand l'album a été terminé, nous avons pensé que ça ne sonnait pas du tout comme le nom choisi. Tu sais, c'est un album sur la mort et les funérailles, et même si parfois le ton est léger, il parle de choses plutôt profondes. Les paroles sont assez sombres, appelez-moi le « dandy dépressif » maintenant (rires).
Jasper : Nous allons peut-être devenir un groupe dépressif...
Eddie : C'est bien parti pour (rires) ! Donc ce
Brilliant! Tragic! collait bien au thème et sonnait bien à l'oreille.
Quelle a été l'évolution avec ce nouvel album, quels sont les changements que l'on peut constater ?
Eddie : Je ne pense pas que nous ayons changé, nous avons juste continué notre route. Nous avons vécu de nombreuses choses et nous en nourrissons notre musique.
Jasper : Nous sommes plus matures, nous avons deux ans de plus que la dernière fois (rires) !
Eddie : Tu es agressif ! Il faut que tu saches que je déteste ce mec, ce Jasper. Nous l'avons accepté dans le groupe parce que nous n'avions pas le choix et qu'il a vite appris les anciennes compositions.
Justement, c'est peut-être aussi parce que vous vous entendez très bien que votre musique évolue d'une façon aussi fluide ?
Jasper : Oui, ça doit jouer.

J'ai entendu dire que pour cet album, vous aviez travaillé d'une manière différente. Vous vous êtes beaucoup vus pendant une certaine période pour pouvoir travailler efficacement. Pensez-vous que cela se ressent sur l'album ?
Eddie : Oui, c'est beaucoup plus soutenu de cette façon. La dernière fois, nous avons d'abord enregistré des démos pour pouvoir travailler à l'amélioration des titres.
Jasper : Ce qu'il y a aussi, c'est que nous avons eu plus de temps cette fois donc nous avons eu le temps de faire évoluer les chansons. C'est beaucoup moins stressant de travailler comme ça. Nous avons tout de même eu plusieurs semaines de plus en studio et ça fait une énorme différence.
Eddie : Nous travaillons au départ séparément, j'écris les paroles de mon côté et après, nous y posons des mélodies.
Jasper : Oui mais ça, c'est parce que nous ne nous aimons pas beaucoup.
Eddie : Et que nous avons du mal à nous supporter aussi (rires) !
Et vous alors, vous en pensez quoi finalement de cet album ?
Eddie : Je crois que c'est mon préféré mais j'ai probablement dit ça pour les autres auparavant. J'en suis très fier en tout cas.
Jasper : Moi, je ne te conseille pas de l'acheter... (rires). Je l'aime beaucoup parce que je trouve que depuis que nous travaillons avec Black Francis, nous avons changé notre style, notre musique peut maintenant prendre plusieurs directions et ces possibilités sont intéressantes. Nous aurions pu passer nos vies entières à enregistrer encore et toujours les mêmes albums puisque le premier avait bien marché mais nous avons voulu changer un peu de direction et nous ne regrettons pas. Même si une partie de notre public n'aimera peut-être pas cette évolution, nous avons choisi de prendre ce risque, c'est trop facile de toujours faire la même chose.
Eddie : Nous aimons bien ce genre de challenge.
Pour la première fois, Fred (ndlr : bassiste du groupe) chante les chœurs. Comment vous est venue l'idée ?
Eddie : Elle est très timide et c'est juste parce que Black Francis lui a demandé qu'elle a accepté, on ne peut rien lui refuser !
Jasper : Il s'avère qu'elle est très douée, nous devrions peut-être envisager qu'elle chante en lead vocal pour le prochain album !
Eddie : Ou tu devrais essayer Jasper !
Jasper : Mauvaise idée, je suis très mauvais. Je n'ai pas chanté une seule note sur cet album et tant mieux pour tout le monde.
Eddie, ton écriture est toujours aussi inspirée. Tu aimes traiter de sujets ayant trait à ta propre vie mais d'où te viennent ces idées ? Qu'est-ce qui fait qu'à un moment, tu te dis que tu tiens un bon sujet de chanson ?
Eddie : Je ne sais pas vraiment. J'ai l'impression que j'y arrive quand je suis bourré. Je prends mon téléphone et j'écris ce qui me passe par la tête. C'est peut-être bête mais ça fonctionne. J'aime me poser des questions dans ces moments-là. Vraiment, je ne procède que comme ça : le vin est ma fibre artistique (rires) !
D'où vous est venue l'idée d'écrire une chanson sur le Sealand (ndlr : le Sealand est un micro-état installé sur une ancienne plate-forme militaire. La population moyenne n'y est que de cinq habitants) ?
Eddie : C'est un peu bizarre comme idée, je l'admets. J'étais sur Internet avec un de mes amis et il en est venu à me parler du Sealand. Je n'en n'avais jamais entendu parler alors je suis allé faire des recherches sur Wikipedia. J'ai tout de suite trouvé l'histoire fascinante.
Jasper : Nous avons rencontré le fils du Roi du Sealand. Nous lui avons fait écouter la chanson et il a adoré que nous parlions de cette nation que personne ne connait. Il est venu nous voir à un de nos concerts, c'était amusant. Je crois qu'il était un peu intimidé lorsque nous l'avons présenté au public et que nous avons chanté la chanson.

Et il y a à nouveau une chanson qui parle d'Axl Rose. Eddie, tu sembles beaucoup l'aimer !
Eddie : Oui, énormément.
Ce n'est pas la première fois que vous faites une chanson sur une personne en particulier, je pense notamment à Emily Kane, sur votre premier album. Est-ce que l'une de ces personnes est déjà venue pour vous dire ce qu'elle pensait de la chanson en question ?
Eddie : Emily Kane était venue à l'époque et elle avait l'air effrayée que je puisse écrire un truc sur elle aussi longtemps après notre rencontre. Elle n'arrêtait pas de me dire « Pourquoi as-tu écrit cette chanson ? Pourquoi ? ». Alors je lui ai juste répondu « Mais parce que je t'aimais » et elle m'a ri au nez, elle pensait que je me moquais d'elle. Donc j'ai un peu pleuré. Non, je mens, c'est une blague. Nous avons aussi écrit des trucs sur Morrissey. Ma copine a déjà travaillé avec lui et un jour, alors qu'on passait à la radio, elle lui a dit « Tu aimes Art Brut ? Tu sais qu'ils ont écrit sur toi ? » et il a répondu, en buvant sa vodka « Ah, c'est le truc qui passe à la radio là ? Pas ma tasse de thé ».
Jasper : Plusieurs fois pendant nos concerts, nous avions fait croire qu'Axl Rose était dans le public. Nous lui dédicacions le titre en montrant un endroit de la salle où il était supposé être et tout le public se retournait... nous étions morts de rire.
Et vous, aimeriez-vous que quelqu'un écrive une chanson sur vous ?
Eddie : Quelqu'un l'a déjà fait mais c'était à propos d'une danse que j'avais eu avec un homme un soir où j'étais bourré. Je lui ai dit que ce n'était pas possible de sortir cette chanson, c'était trop embarrassant.