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School Of Language - Old Fears
Chronique Album
Date de sortie : 07.04.2014
Label : Memphis Industries
45
Rédigé par Hugues Saby, le 1er avril 2014
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Vous aimez Sebadoh ? Moi aussi. Pour des personnes, telles votre serviteur, peu familières avec l'art de Field Music – dont David Brewis, deus ex machina derrière School Of Language, est une des moitiés aux côtés de son frère Peter - pas facile d'approcher un album pareil. La première écoute est déroutante, très. Les morceaux apparaissent décousus, partant dans tous les sens, et il est complexe de savoir exactement ce que l'on est en train d'entendre. Alors, on se raccroche à ce qu'on peut. En l'occurrence, à la voix. La première chose à laquelle j'ai pensé en écoutant Old Fears, c'est que la voix de David Brewis me rappelait singulièrement celle de Lou Barlow, chanteur de Sebadoh. Nous y voilà. Ses falsettos ultra travaillés sont la porte d'entrée du disque, un moyen de pénétrer le fabuleux univers musical qui s'apprête à nous péter à la figure.

Car une fois que l'on entre, il est impossible de sortir de ce labyrinthe mental qu'est le nouvel opus de School Of Language. Mieux : on comprend progressivement pourquoi il est inutile d'avoir une première approche, superficielle ou partielle, du disque. Il ne sert à rien d'écouter les titres séparément. Old Fears est un album total, entier. Ce que ne devrait jamais cesser d'être un disque : un tout cohérent. Une œuvre, en résumé. Et cet album en est une, au sens premier du terme.
Je n'aime pas le terme d'album concept, qui suppose un aspect monolithique, centré sur un seul thème, décliné au fil des morceaux. En l'occurrence, on est très loin de l'uniformité. Si Old Fears est bien une totalité, il n'est en rien monodirectionnel. Bien au contraire, c'est une profusion, un éclatement, un canevas mental qui nous entraîne au cœur des neurones et des états d'âme de son auteur. Et dans ce dédale psychédélique et particulièrement prolifique, c'est la voix qui est notre fil d'Ariane. Dans Matrix, Cypher a cette phrase d'anthologie : « Buckle your seatbelt Dorothy, cause Kansas is going bye bye ». Autrement dit, attachez vos ceintures, car vous allez en prendre plein les oreilles. Et accrochez vous à la voix de David Brewis, car le voyage vaut sacrément le détour.

Pour autant, la voix n'est qu'un des éléments qui font la force de ce disque. Comme l'eau, la terre, le vent et le feu, qui donnent naissance à toute vie sur Terre, il y a dans ce disque quatre éléments fondamentaux, qui insufflent la vie. La voix, si perceptible et si nécessaire à l'approche de l'album, n'arrive paradoxalement que plus tard dans la composition de l'œuvre. La base de tout, c'est la rythmique. Et elle est absolument incroyable. Elle forme elle aussi un fil conducteur sur l'ensemble de l'œuvre, et nous conduit de morceau en morceau, qui se fondent les uns dans les autres malgré leur diversité et leurs différences. David Brewis nous emmène d'un état d'âme au suivant dans ce qui s'apparente à un panorama mental, brossant des tableaux par touche, sans jamais oublier la grand dessein final. Et tout cela grâce à une ligne de base composée d'une batterie, impeccable de précision, et d'une basse électro fuzz qui se mêlent et nous emmènent absolument où elles veulent. Ce subtil canevas se déploie, change, et permet à la voix, le troisième élément, de se reposer en douceur pour mieux déployer ses ailes et s'élever vers des endroits célestes.
Le dernier élément, qui vient parfaire l'ensemble, ce sont les effets. Effets de guitare, effets de synthé... Ils sont brefs, discrets, mais absolument fondamentaux. Jaillissant de nulle part, une guitare au funk dévastateur, un saxo rutilant, ou encore un piano mélancolique viennent s'ajouter au paysage ébauché, toujours au bon moment, pour parfaire la vision d'ensemble, le « masterplan ». La perfection, on l'approche aussi dans la production, sidérante de maîtrise. Le travail sur le son est fabuleux, déconcertant même. Dans son approche sonore, transcription haute fidélité d'une émotion précise, le travail de David Brewis évoque celui de Björk sur l'album Homogenic, où un seul son de synthétiseur est capable de transporter l'auditeur dans des états émotionnels d'une profondeur insensée.

Ce n'est d'ailleurs pas la seule similitude entre School Of Language et l'artiste islandaise. Certains samples vocaux – comme sur Moments Of Doubt - font par exemple penser à Medulla. Il est toutefois vain de rechercher les influences dans la musique de Brewis. Trop nombreuses, trop subtiles, trop digérées, magnifiquement réinterprétées. Mille noms traversent l'esprit à l'écoute de l'album : ici Kraftwerk pour un son de synthétiseur (Old Fears), là les Beatles pour un écho psychédélique (Small Words). Arcade Fire (So Much Time) ou James Mercer pour l'urgence et la délicatesse des voix, ou bien encore Real Estate pour l'entremêlement des guitares, et même Erik Satie pour certains arpèges de piano littéralement hypnotiques voire M83 pour le bouleversant autant qu'inattendu solo de saxophone de fin (You Kept Yourself). Difficile, on le voit, de tirer des conclusions de tout ça. La seule référence qui paraît sensée, c'est Soulwax. Au-delà des styles, très différents à l'arrivée, on retrouve ce même art de dégoter le son parfait dans un but précis, mais sans jamais se perdre dans la profusion sonore inouïe de l'ensemble.

Dans la description de Old Fears, le label de School Of Language parle de pureté. C'est exactement cela. David Brewis est un artisan qui façonne ses morceaux, y taille d'infinies facettes d'une rare finesse, et polit le tout jusqu'à la perfection musicale. Écouté au casque, le disque impressionne par la qualité de la production, tout simplement irréprochable. Dans ses interviews, David Brewis confesse que Old Fears retrace les origines de son premier groupe, Field Music. Il évoque sa timidité, à la limite du comportement antisocial, et comment il a appris à la gérer. Il n'est donc pas étonnant qu'il ait tout réalisé lui-même sur le disque, à l'exception du solo de saxophone sur le dernier titre de l'album.
L'isolement et la solitude pourraient être les thème centraux de l'œuvre, s'il n'y en avait qu'un. Mais elle est en réalité beaucoup plus complexe qu'un vulgaire album concept. Proche de la non finitude, le disque est une succession de tableaux composés note à note, décrivant le monde intérieur d'un introverti maladif et son apprentissage des sentiments, jusqu'à un dénouement semble-t-il heureux. Tout - basse, percussions, instruments, voix - mène d'ailleurs à You Kept Yourself, le plus beau morceau du disque, qui parle du moment où Brewis réalise qu'il n'existe point de salut dans la solitude.

Ce nouvel album de School Of Language est donc un long et tortueux cheminement neuronal parmi les états d'âmes, du plus joyeux au plus mélancolique, éclairé par un brio dans la composition qui dépasse l'entendement. Il suffit pour s'en convaincre d'écouter Dress Up, morceau léger en apparence, mais dont les premières notes de guitare et de percussions, qui donnent immédiatement envie de sortir du lit et de s'habiller pour sortir (dehors ? de soi ?) illustrent ce don de transcrire en musique un instant T, quelle que soit l'intensité ou le caractère anodin de cet instant. Brewis touche pour cela à tous les styles sans jamais s'enfermer dans la caricature de l'un ou l'autre, usant de ses instruments comme de pinceaux pour peindre devant nos yeux ébahis un tableau fulgurant de justesse et de profondeur, bluffant par sa capacité à saisir l'infiniment petit tout en nous conduisant sans qu'on s'en aperçoive, à l'infiniment grand.

Un disque d'une sensibilité absolue, et d'une musicalité rare. Un petit chef-d'oeuvre, qui a d'autant plus de valeur qu'il restera sans doute entre les oreilles de quelques initiés. Sur ce, je vous laisse, je vais réécouter l'intégrale de Field Music.
tracklisting
    01. Distance Between
  • 02. A Smile Cracks
  • 03. Suits Us Better
  • 04. Between the Suburbs
  • 05. Old Fears
  • 06. Dress Up
  • 07. Moment of Doubt
  • 08. Small Words
  • 09. So Much Time
  • 10. You Kept Yourself
titres conseillés
    Between The Suburbs - Dress Up - You Kept Yourself
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