Paul Draper

C'est une naissance, plus qu'une renaissance. Paul Draper, ancien leader du groupe Mansun, sort son tout premier album en solo signé chez Kscope, Spooky Action, vingt ans après Attack Of The Grey Lantern, le premier opus du groupe originaire de Chester. La maturité, l'expérience de la production (The Anchoress, Skunk Anansie) et les épreuves personnelles ont conduit Paul Draper à tenter l'aventure en solo, en recyclant le passé. Cela faisait plusieurs années que des morceaux traînaient sans être complètement achevés, sans avoir trouvé leur aboutissement. Le musicien de 46 ans s'est finalement attelé à la tâche : un véritable travail d'arrangement pour donner une seconde vie à quelques titres avortés datant du début des années 2000.Attack Of The Grey LanternAttack Of The Grey Lantern Après deux EPs sortis au cours de l'année 2016, Spooky Action symbolise l'éclosion d'un projet de longue haleine. « Spooky » comme le nom de l'alter ego de son héros, Prince : la guitare Spooky Electric ; ou encore « Spooky Action », comme un terme scientifique tiré d'un livre d'Einstein. Peut-être cela renvoie-t-il inconsciemment au côté expérimental que l'on retrouve sur le premier titre Don't Poke The Bear, ou le caractère indéchiffrable de certaines compositions comme Jealousy Is A Powerful Emotion. Hybridation entre les deux premiers albums de Mansun, (Attack Of The Grey Lantern et Six), le premier album de Paul Draper revisite le son rock alternatif des années 90 avec le matériel électronique actuel.

La voix de Paul Draper n'a rien perdu de son pouvoir mélodramatique. Extrêmement chargée en émotion quand elle s'envole dans les aigus portée par un vibrato ample et déchirant, elle surprend. Et peut-être trop, d'ailleurs. L'oreille n'arrive pas à se poser tant l'écriture est épaisse, saturée. Entre deux envolées de la voix - Grey House - les bruits de machines se superposent aux grosses guitares occupant tout l'espace sonore. De tout cela ressort une impression de lourdeur qui dessert le style propre à Paul Draper connu depuis Mansun : un rock alternatif flirtant avec le glam rock, le rock progressif et la pop.

L'artiste a choisi des paroles significatives. Sans détour, elles symbolisent tantôt l'éloignement avec ses anciens acolytes de scène (Dominic Chad, Stove King, Andie Rathbone, Carlton Hibbert, Mark Swinnerton, Julian Fenton) - Friends Make The Worst Enemies, tantôt différents états d'esprits - Jealousy Is A Powerful Emotion, Feeling My Heart Run Slow. Souvent, Paul Draper nous perd, le long de morceaux singuliers, inclassables, délurés, exubérants. Don't Poke The Bear en est le parfait exemple en guise d'ouverture d'album. L'artiste a choisi de planter le décor avec une longue intro de plus de trois minutes avant de faire venir sa voix comme un cri au milieu de la tempête. Sensation d'une musique cathartique, une musique en fusion qui charme.

Autre univers, beaucoup plus pop rock des années 1990, Things People Want ou Can't Get Fairer Than That apaisent l'oreille, donnent des clés d'écoute, certes plus « classique » pour ne pas dire le terme qui fâche « commercial ». C'est dit. Avec des arrières goûts de Roxy Music, des petites touches de Depeche Mode (dans la voix, surtout), les mélodies sont plus claires. Paul Draper est peut-être davantage à l'aise dans ce style plus léger, moins complexe. À vouloir trop remplir, travailler et retravailler des titres extirpés du passé, Spooky Action ne respire pas, ou de trop courts moments - Feel like I Wanna Stay. On regrette qu'une musique d'orfèvre si riche et travaillée étouffe sous sa propre épaisseur.