James Dean Bradfield

Le second album solo de James Dean Bradfield, quatorze ans après son premier essai The Great Western, est une sacrée surprise. Even In Exile est un album concept sur le musicien, homme de théâtre, professeur et activiste chilien Victor Jara, compagnon et défenseur de Victor Allende et victime comme lui du putsch militaire de Pinochet le 11 septembre 1973.

C'est dans ce contexte grave que James Dean Bradfield, homme de convictions ancré à gauche, s'est laissé guider par son compatriote et ami d'enfance le poète et écrivain Patrick Jones qui n'est autre que le grand frère du bassiste des Manic Street Preachers, Nicky Wire. En effet, et bien que Bradfield soit sensible depuis ses jeunes années au combat de Jara, c'est en découvrant les poèmes de Jones sur ce dernier que l'idée de cet album audacieux lui est venue.
Even In Exile, bien que s'inspirant de la vie d'un activiste et idéaliste chilien, n'est pas un album de protest songs comme on pourrait s'y attendre. A l'image de l'œuvre de Jara, féru d'arts et homme de paix, la tonalité est douce tout en mettant en exergue une certaine énergie nécessaire à tout répertoire engagé.


Soucieux de ne pas se réclamer d'un héritage qui n'est pas le sien, c'est dans un esprit d'hommage que Bradfield a œuvré afin de donner de l'écho à une personnalité bien peu connue dans nos contrées européennes.
Point de musicalités latines et avec seulement une reprise La Partidad largement mise au goût du jour, tout se construit autour des textes de Patrick Jones qui évoquent la vie de Jara au travers de lui-même et des personnes qui l'ont entouré. The Boy From The Plantation donne la parole à sa mère qui l'a initié à la musique, Without Knowing The End (Joan's Song) à sa femme Joan, artiste britannique qui porte encore à plus de 90 ans son héritage, et From The Hands Of Violeta à Violeta Parra, musicienne qui a été une de ses sources d'inspiration.

Musicalement parlant, l'album est tout en contrastes, James Dean Bradfield veillant à ne pas prendre le dessus sur les textes. Les guitares électriques et acoustiques dominent l'album et sont particulièrement au rendez-vous sur les titres le plus évocateurs comme Recuerda, The Boy From The Plantation et Without Knowing The End. Le compositeur des Manic Sreet Preachers a su puiser dans ses meilleures influences comme Rush ou The Clash, ces derniers s'étant également inspiré de la vie de Jara avec le titre Washington Bullets.


Le piano est le second invité de marque et apporte une certaine gravité sur les titres comme There'll Come A War, Thirty Thousand Milk Bottles et le magnifique Santiago Sunrise.
Deux instrumentaux se posent en interludes avec Seeking The Room With The Three Windows et Under The Mimosa Tree qui sont à l'image de ses œuvres à la fois douces et très entrainantes. Car Victor Jara n'était pas connu pour sa verve destructrice, bien au contraire ses chansons bien que porteuses de messages forts appelaient au dialogue et à la pacification.

En aucun cas un pastiche de musique contestataire, on se ravit à l'écoute d'un disque très moderne qui joue sur toute une palette d'émotions. On passe d'une pop rock catchy que le leader des Manic Street Preachers maitrise avec The Boy From The Plantation (premier single dévoilé) à des morceaux plus complexes et introspectifs comme There'll Come A War. Et si le niveau d'anglais est à la hauteur pour comprendre les paroles telles « They took your hands but they didn't seize your Tongue » à propos des tortures subies par Jara avant son assassinat ou « You'll never cross the river if you're scared of getting wet » sur son implication, on ressort d'autant plus convaincus de cette écoute.

Bien sûr, l'invitation est lancée pour découvrir ou approfondir sa connaissance de l'œuvre de Victor Jara dont les albums Manifesto et El derecho de vivir en paz n'ont pas pris une ride. En attendant que les gallois reviennent à leurs affaires, on ne peut que se réjouir de l'ingéniosité et de l'inspiration dont a fait preuve James Dean Bradfield pour ce disque, nous promettant ainsi de la haute volée pour le prochain album de sa formation.