Ce soir les Chameleons nous invitent à une soirée de Noël. J'ai failli ressortir mon pull avec un lutin et un renne au nez qui s'allume, mais j'ai renoncé.

En revanche, comme pour les déjeuners chez Mamie, la soirée commence tôt et quand j'arrive à 19h10,
Swell Maps ont déjà commencé leur set. Je connaissais Swell, le groupe de post-folk américain du regretté David Freel, je connais bien Maps, un anglais qui fait une musique électronique inventive et délicate, mais je n'avais jamais entendu parler de Swell Maps. Et pourtant, je suis amateur de punk vintage !
En revanche, Nirvana, Sonic Youth, Pavement ou Dinosaur Jr avaient écouté leur musique et aimaient les citer comme influence. Si on peut croire les histoires de ces vieux punks, ils sembleraient donc qu'ils aient atteint une certaine notoriété de l'autre côté de l'Atlantique. Mais il reste des preuves manifestes de leur statut de groupe culte, comme une Peel Session et des albums sortis chez Rough Trade Records autour de 1980, puis réédités par Mute. Ils ont un sacré CV et aucune intention de raccrocher.
Entre les classiques de leur répertoire ils jouent quelques morceaux de leur album
C21 qui sortira en février 2026. Difficile de distinguer les nouveaux morceaux des anciens, ils restent tous dans la même veine : basse, batterie aussi simple qu'efficace, et un joyeux bordel dans la disto des guitares. Ils ont gardé quelque chose de juvénile qui rappelle les morceaux de Warsaw (ndlr : le groupe avant Joy Division). Ils donnent l'impression d'être là uniquement pour s'amuser et leur joie est communicative. A la différence des jeunes que l'on peut voir au Supersonic, ils ne jouent pas comme si leur vie en dépendait et sont donc bien moins appliqués. Cette génération de punks ne croyait pas au futur, mais ils ont un passé, et profitent du présent.
Hugh Cornwell qui prend leur suite, a également un sacré pédigré puisque c'est le cofondateur de The Stranglers dont il était le chanteur jusqu'en 1990. Accompagné d'un bassiste et d'un batteur, les arrangements sont resserrés et intimistes. Le premier morceau sonne comme un vieux blues électrique avec la voix rocailleuse qui va avec. Il enchaîne sur
Nice 'n' Sleazy, et le nombre de téléphones qui sont sortis des poches pour la filmer lève tout doute sur le fait que c'est bien une chanson des Stranglers.
Le son bien épais sur la basse et la guitare font oublier qu'ils ne sont que trois sur scène. La voix se chauffe et l'ambiance monte. Sous le couvert d'une allure tranquille, l'expérience et le charisme de Hugh Cornwell ne laissent aucun doute sur son statut de chanteur de groupe mythique. Il alterne chansons de son répertoire solo avec celles des Stranglers. Il prend une petite gorgée de Cristalline, alors que le batteur commence le rythme de
Golden Brown. Hugh a un petit sourire entendu, et tout le monde a reconnu la chanson avant la fin de la première mesure. Sa version est très belle et un peu jazzy. Ils ne jouent pas de guitare pendant les couplets, la section rythmique en devient d'autant plus importante, en revanche pendant les parties instrumentales, les solos de guitares sont très puissants.
Sa version de
Always The Sun est également très différente de l'originaire ou de celle que jouent maintenant les Stranglers, mais elle n'est pas moins touchante que celle que le groupe a jouée à
l'Olympia il y a un an. Pendant
Duchess et ses accents plus post punk, je repense au
dernier concert de Gang Of Four dans la capitale et j'ai un petit pincement au coeur à l'idée de ne plus pouvoir les voir alors même qu'il y a deux versions des Stranglers qui tournent encore.

Le public a été bien chauffé, et cette soirée s'avère déjà très satisfaisante avant même la venue de la tête d'affiche. Sans vouloir calmer notre ardeur, une personne de la production vient annoncer que les
Chameleons se donneront tout en entier pendant quatre-vingt-dix minutes mais qu'ils ne feront pas de rappel ! Les mancuniens commencent par
Where Are You? qui ouvre également leur dernier album.
Arctic Moon ne m'a pas convaincu, mais je dois reconnaître qu'il passe très bien sur scène. Son refrain aux paroles aussi simples que touchantes sonne déjà comme les classiques du groupe. J'aurai la même impression sur les autres nouveaux morceaux, il me séduit bien plus en concert qu'en studio. Il a toujours manqué à Chameleons de croiser la route d'un producteur qui aurait révélé leur son.
Alors que les nouveaux titres sonnent comme les classiques, c'est
Up The Down Elevator extrait de leur premier album qui, dans une version plus électrique et presque brouillonne, sonne moins comme un classique. Sur
Looking Inwardly, le son de la basse se fait plus mordant, Mark Burgess pose et regarde le public droit sans les yeux alors qu'il déroule sa ligne de basse et ses couplets alors que le son de la guitare de Reg Smiths se fait presque aquatique. Cette version est superbe.
Paridiso est dédié à la mémoire de son ami Adrian Borland (ndlr : le chanteur The Sound). Mark troque sa basse pour une guitare acoustique 12 cordes. C'est un très bel hommage particulièrement émouvant avec les chœurs de Danny Ashberry aux claviers. Un morceau qui touche au cœur avec sobriété, comme les Chameleons ont toujours sû le faire.
Soul In Isolation est un autre temps fort du set, lancé par la batterie, et agrémenté d'extraits d'
Eleanor Rigby, le morceau s'étire dans des délires inspirés alors que le chanteur tire sur le public avec une carabine imaginaire. Le final est dantesque, comme si le morceau ne voulait pas finir ajoutant des passages de
There Is A Light That Never Goes Out des Smiths. Mark reste les bras en croix, alors qu'une nappe de synthé et la guitare glissent doucement vers le riff de
Swamp thing. Je suis renvoyé illico vers ma chambre d'adolescent, je me rappelle avoir enregistré le morceau, que je trouve toujours aussi ensorcelant, à la radio.
En intro de
Feels Like The End Of The World, Mark, philosophe, nous dit que quand nous pensons que c'est la fin, il faut se dire que c'est aussi le début de quelque chose d'autre. Peut-être... Mais ça sent quand même la fin du concert. Au nom des trois groupes, Mark nous remercie de soutenir la musique live avant de conclure par deux classiques. Tout le monde reçoit le refrain de
Second Skin comme une déclaration personnelle : "I dedicated this melody to you". Puis il présente le groupe, remercie toute l'équipe qui les a accompagnés sur la tournée qui se termine ce soir. Le groupe remet un peu de Beatles et un peu de David Bowie dans
Don't Fall, un beau message à rapporter chez soi.
Cette soirée avait vraiment des parfums de fête, et c'était le meilleur concert de Chameleons depuis longtemps, à croire que le nouvel album a redonné de l'énergie au groupe.