Eades

Si Leeds a connu ses heures de gloires avec Gang Of Four, The Sisters Of Mercy et le recrutement d'Eric Cantona ; depuis vingt-ans, elle n'a eu que Kaiser Chiefs, alt-J et le football total de Marcelo Bielsa pour s'enflammer un peu. Maigre butin pour la cinquième ville d'Angleterre, contrainte de vivre dans l'ombre de ses glorieuses cités voisines, Manchester, Liverpool, ou encore Sheffield, berceau de Pulp, des Arctic Monkeys et de Warp Records, meilleur label du monde depuis trente ans.

Néanmoins, ces considérations géographiques, voire frontalières, ne semblent aujourd'hui plus intéresser que les électeurs d'Eric Zemmour et Vladimir Poutine. Car si l'on sait depuis Alfred Korzybski et Michel Houellebecq qu'une carte n'est pas le territoire qu'elle représente, mais plutôt la représentation que l'on se fait du monde, tandis que le territoire est le monde tel qu'il est réellement, alors Eades ne sont nullement un groupe de Leeds, mais comme leurs ainés de Gang Of Four, autrefois aimantés par Television et The Ramones, un pur groupe de post-punk new-yorkais. Si le quintet ne cesse de citer Lou Reed et les Talking Heads comme principales influences, on ne peut s'empêcher de penser fort (voir même parfois un peu trop) aux premiers albums de Parquets Courts tout au long de ce premier opus mêlant énergie punk, sensibilité pop et production lo-fi. On laissera donc à Yard Act, autre pépite rock de Leeds, le soin d'incarner pleinement le territoire du nord de l'Angleterre et à son sublime album The Overload, sorti en janvier chez Island Records et encensé dans nos pages, d'en présenter une carte fidèle et jubilatoire.

Eades affirment d'entrée leur tropisme transatlantique. Le titre d'ouverture de Delusion Spree, Reno, rend hommage au Folsom Prison Blues de Johnny Cash, son célébrissime "But I Shot A Man In Reno Just To Watch Him Die" devenant ici "Did you hear he got shot down in Reno, the shooter had no reason but to watch a man die", tandis que Backseat Politic ou Delusion Spree viennent habilement marcher sur les plates-bandes des jeunes Strokes. Saying Forever, seul rescapé du remarquable et remarqué premier EP Microcosmic Things, fait toujours son petit effet grâce à sa basse groovy et à ses guitares tranchantes, un pied à la Haçienda, l'autre au CBGB. On n'échappera pas au passage obligé du revival 90's avec I'm Holding Back Your Hair, véritable petite perle de power pop à consommer sans modération. Cette vaillante énergie s'émousse légèrement sur les plus balourds Ever Changing, A Welcome Goodbye ou Smoking Hour, voire sur les anecdotiques Voodoo Doll et Parachute Games. A défaut d'être complétement abouti ou follement original, Delusion Spree offre un vent de fraicheur vivifiant et une poignée de singles de haute-volée. Si Eades parait être ce genre de groupe aussi érudit qu'appliqué, cochant toutes les cases du bon élève indie rock option noisy pop, aux goûts sûrs mais aux références encore trop marquées, leur bonne humeur communicative et l'évidente sincérité de leur démarche évacuent immédiatement tout soupçon de cynisme. Une approche qui n'est pas sans rappeler les français de Bryan's Magic Tears, dont l'excellent deuxième opus, Vacuum Sealed, a paru il y a peu chez nos copains de Born Bard Records.

Bien qu'aucune date ne soit encore officiellement prévue pour le moment, on guettera avec impatience les prochains concerts d'Eades en France, afin de voir de quel bois se chauffe réellement ce jeune groupe prometteur, qui a déjà su avec son premier album inscrire son nom sur la carte mais pas encore pleinement imposer son territoire.