logo SOV

Sorry

COSPLAY

Sorry - COSPLAY
Chronique Album
Date de sortie : 07.11.2025
Label : Domino Records
45
Rédigé par Franck Narquin, le 4 novembre 2025
Après 925, premier album inégal mais traversé de fulgurances, et Anywhere But Here, suite au spleen arty et aux mélodies douces-amères, Asha Lorenz et Louis O'Bryen, les deux têtes pensantes de Sorry, ont enfilé leurs plus beaux costumes pour enregistrer dans leur antre d'Hackney COSPLAY, troisième album en forme de manifeste pop moderne. Un disque qui voit Sorry passer du statut de promesse à celui d'acteur majeur. Tout au long de ces trente-huit minutes tendues comme un élastique, chaque morceau s'habille et se déshabille à vue. Amoureux bancal, star mégalo, idole bubblegum possédée ou club kid qui rate ses pas, le groupe se métamorphose sans cesse.

Selon Geeklife, le cosplay (contraction de costume et play) désigne « l'art d'incarner un personnage de fiction, d'animé, de jeu vidéo, de film ou de manga, en en adoptant l'apparence, les attitudes et les codes. Plus qu'un simple déguisement, c'est une interprétation libre, passionnée, où le jeu devient performance ». Ce titre n'est pas qu'un gadget conceptuel mais la clé de lecture du disque. Les chansons agissent tels des avatars émotionnels, des masques pour dire la douleur autrement, des refuges où l'on déplace ses blessures pour les rendre audibles. La musique, elle, refuse la fixité, allant de la douceur du piano-voix à l'hymne club ravageur.


Antelope démarre sur une guitare sèche fragile avant de se fissurer, Love Posture avance sur un beat trip-hop massif avant de s'évaporer dans les nappes et Magic s'installe dans un piano-bar de film noir avant de s'éteindre dans l'ombre. La production maison garde cette souplesse animale où chaque idée surgit, frappe puis s'efface. Dan Carey a laissé ses empreintes, rythmiques qui se dérobent et textures qui se tordent, mais Asha Lorenz et Louis O'Bryen dirigent désormais le navire. Ici, le masque n'est pas mensonge mais moyen de transfiguration.

La métamorphose passe aussi par l'art de la citation. Sorry échantillonnent, détournent, avalent des fragments de pop songs célèbres et de punchlines hip-hop pour en recracher une pop cannibale, jouissive et jamais gratuite. Sommet du genre ? Jetplane, tourbillon où se croisent un sample de Hot Freaks (Guided By Voices), une trompette cabotine et un répondeur lo-fi. Les paroles y moquent la posture de popstar (« I'm a hot freak, I'm bombastique, I'm making modern music in Spain ») avant de glisser un clin d'œil malicieux à Kanye et Jay-Z. Pastiche d'ego trip ? Oui, mais surtout autofiction pop, où l'on enfile le costume mégalo pour mieux en rire.

Sur Waxwing, le duo détourne le « Oh Mickey, you're so fine » de Toni Basil en mantra vénéneux, la ritournelle cheerleader devient incantation toxique avant d'évoquer Bob Dylan sur Antelope. Pas de name-dropping ici, mais un véritable travail d'orfèvre, digérer l'icône, la faire vaciller et la réinventer. Cette plasticité identitaire entraîne celle des structures. Les morceaux refusent la ligne droite, changements d'angle brusques, refrains qui se dissolvent et rythmes qui boitent volontairement. Jive en est le manifeste (« I wanna jive tonight / I only seem to move like this ») un désir de danse aussitôt empêché. Tout COSPLAY tient dans ce paradoxe, un disque qui rêve de lumière mais trébuche exprès et trouve dans ce faux pas sa vérité. Sorry composent comme on monte un film : cut, zoom, ralenti. On y sent la route et la sueur, filtrées par un sens aigu de la forme.


S'il amuse autant, COSPLAY cache pourtant de vraies plaies. L'humour sert de paravent à un désarroi profond. Echoes répète son « I love you » jusqu'à l'épuisement, transformant la déclaration en rituel clinique. Life In This Body dit le malaise charnel avec une tendresse désarmante (« Life in this body doesn't feel the same / I have loved every version of you ») Même quand la posture est bravache, la fragilité suinte.

Avec Cosplay, Sorry trouvent enfin leur point d'équilibre, assez pop pour séduire et assez mutant pour rester insaisissable. L'album ne se contente pas d'absorber la culture, il la recompose, la digère et la fait bouger. C'est court, dense et imprévisible, drôle et triste à la fois. Sorry ont longtemps joué à être quelqu'un d'autre, ici, en se déguisant encore une fois, ils cessent enfin de mentir pour se révéler à nu, plus beaux que jamais.
tracklisting
    01. Echoes
  • 02. Jetplane
  • 03. Love Posture
  • 04. Antelope
  • 05. Candle
  • 06. Today Might Be The Hit
  • 07. Life In This Body
  • 08. Waxwing
  • 09. Magic
  • 10. Into The Dark
  • 11. JIVE
titres conseillés
    Echoes - Jetplane - Antelope
notes des lecteurs
Du même artiste