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Insecure Men

A Man For All Seasons

Insecure Men - A Man For All Seasons
Chronique Album
Date de sortie : 07.11.2025
Label : Fat Possum
4
Rédigé par Franck Narquin, le 5 novembre 2025
On croyait Saul Adamczewski définitivement cramé, fondu dans la crasse du mythe Fat White Family qu'il avait lui-même allumé. En 2012, il incarnait l'âme détraquée du Windmill de Brixton, un songwriter de génie et de foutoir, capable de transformer la misère en or et le vice en gospel punk. Autour de lui, tout un pan de South London (Warmduscher, The Moonlandingz, Meatraffle...) s'est mis à pousser comme des herbes folles dans le béton, nourri par son chaos créatif. Saul, lui, restait ce type à la fois trop brillant et trop cassé pour durer, toujours à deux doigts de s'évaporer. Et puis il l'a fait, disparu dans un placard de Tulse Hill, avalé par la psychose et les opiacés, vivant de méthadone et de fantasmes hallucinés où le bitume de Brixton lui renvoyait son propre visage. Plus bas, c'était la tombe.

Mais en 2024, il a passé un coup de fil à sa mère avec une phrase simple, « I'm done, I'm fucked ». Une confession, un suicide et une résurrection. Le môme du Windmill est rentré à la maison et de ce retour bancal est né A Man For All Seasons, l'album le plus lucide, le plus tendre et le plus bouleversant de toute sa carrière. Un disque écrit entre deux rechutes, deux pardons et deux tasses de thé dans une banlieue sud-londonienne, où il réapprend à respirer. Ce n'est pas une rédemption flamboyante, Saul n'a jamais su briller sans trembler, mais une guérison en slow motion, sous tranquillisants. Le punk fatigué s'est mis à écrire des chansons country, à chanter pour Al Green et à rire de sa propre ruine. Il a troqué la défonce contre le doute, la colère contre la douceur, et ce vertige-là, celui d'un survivant qui avance encore à moitié ivre, en fait peut-être, enfin, un homme pour toutes les saisons.


Sur le papier, tout annonçait un désastre, un songwriter en convalescence, une pincée de country, quelques échos dub et un piano brinquebalant. Et pourtant, A Man For All Seasons sonne comme un miracle fragile. Les arrangements sont parfois dépareillés, les voix tremblent, mais derrière chaque fausse note perce une sincérité désarmante. Là où Fat White Family crachaient leur désespoir au vitriol, Insecure Men l'expriment en sourdine, entre ironie et compassion. Saul Adamczewski n'imite pas Johnny Cash, il s'en inspire pour parler de lui-même, d'un mec cabossé qui essaye encore d'aimer et plus dur, d'enfin s'aimer. Les guitares glissent, les cuivres fanés réchauffent les ruines et l'on se surprend à sourire à travers la brume.

Sur Love Again, il ouvre la porte en douceur, sur une bossa nova en équilibre instable, quelque part entre Rain Dogs de Tom Waits et les cendres encore tièdes du Windmill. Cleaning Bricks enchaîne dans un faux élan de légèreté. Ses synthés à la Denim et ses cuivres bringuebalants en font le morceau le plus pop du disque, un rayon de soleil qui tremble plus qu'il ne brille. Puis vient Alien, chanson la plus douce et la plus directe, où la voix de Saul s'effiloche sur un refrain qui s'accroche comme une prière fatiguée. Enfin, Tulse Hill Station referme la marche comme un cantique country, entre Johnny Cash et Jeff Buckley, ode bancale mais sincère à la rédemption ordinaire d'un homme revenu de tout, sinon de lui-même.

A Man For All Seasons n'est pas un grand album, mieux que ça, c'est un disque humain, sincère et vacillant. Un peu sale mais sacrément beau, comme le sont toutes les choses qui survivent.
tracklisting
    01. Love Again
  • 02. Cleaning Bricks
  • 03. Krab
  • 04. Time Is A Healer
  • 05. Tulse Hill Station
  • 06. Alien
  • 07. Butter
  • 08. Graveyard (Of Our Love)
  • 09. Weak
titres conseillés
    Love Again - Cleaning Bricks - Alien
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