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Phoebe Green

Lucky Me

Phoebe Green - Lucky Me
Chronique Album
Date de sortie : 19.08.2022
Label : Chess Club Records
35
Rédigé par Adonis Didier, le 17 août 2022
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Il est des albums qui vous aident à vous sentir mieux par des mélodies joyeuses, en vous rappelant que la vie est belle et agréable, parfois. D'autres font à peu près la même chose, en vous permettant de hurler vos problèmes au mur du salon ou au miroir de la salle de bain. Mais il existe aussi des albums qui ne pourraient pas vous aider à trouver le bonheur, même s'ils le voulaient. Parce qu'eux-mêmes ne se sentent pas bien, et sont loin, très loin, de savoir comment aller mieux. Ces albums sont généralement le fruit défendu de la psyché torturée d'un artiste en plein questionnement existentiel, quand le questionnement n'a pas déjà débouché sur un abandon total de foi en soi-même et en l'humanité.

Vous l'aurez compris, Phoebe Green n'a pas sorti l'album feel good de l'été, et on en est même loin. A 24 ans, l'innocence de l'enfance a disparu, la réalité apparaît crue, en trop haute définition, et les problèmes avec. Les peines d'amour ne s'effacent plus d'un verre de Manzana, on se rend lentement compte que la principale cause de ses relations toxiques c'est soi-même, et les buts que l'on s'était fixés gamin arrivent tristement à expiration. L'ambiance est lourde, pesante. Les voix dans la tête sont lointaines, floues, distordues. On ferme les volets un dimanche ensoleillé d'été pour mieux communier avec son désespoir et son mal-être. Et on écrit de la musique, avec une ambiance. La même ambiance de spleen qui colle aux chaussures que celle qu'on vit au quotidien.

Difficile, donc, de décrire cet album par une accumulation de chansons disparates. Depuis Break Your Heart, jusqu'à I Don't Wanna Make You Cold, treize titres et trois quarts d'heure plus loin, l'album Lucky Me fait office de slime musical, grouillant dans l'oreille comme une masse informe, recouvrant lentement les conduits auditifs d'une apathie dépressive aux faux-semblants de plaisir instantané.
« Encore une soirée où la jeunesse France encore, elle va bien s'amuser puisqu'ici rien n'a de sens. Alors, on va danser, faire semblant d'être heureux... » chantait en 1999 Damien Saez, ménestrel cosmique et poète social. Vingt-trois ans plus tard, Phoebe Green compose les singles d'une jeunesse pleurant dans les boîtes de nuit en prétendant être heureuse, comme quoi les choses changent, et demain rien n'ira mieux.

Durant la première partie de l'album, allant grossièrement de Lucky Me à Just A Game, les singles jouent le rôle de morceaux « dansant » teintés de Rn'B, de hip-hop, et d'electro-pop. Recouverts de la voix de Green, tantôt perdue dans l'écho, tantôt mangée par l'auto-tune, parfois distordue, toujours apathique et dépressive, chaque chanson apparaît superficiellement dansante, entourée d'une production pour tube de boîte de nuit, tout en restant profondément écrasante du poids neurasthénique de la vie. Pour servir le contrepied, Lucky Me flirte avec le trip-hop de Massive Attack, pendant que Make It Easy et Sweat font du gringue à Depeche Mode, toutes proportions gardées évidemment. Synthèse totale de cette philosophie, Crying In The Club offre une version techno house pop du sentiment général du Dancing With Myself de Billy Idol, sorte de mémoire dédié à la tristesse, aux pistes de danse pleines de sueur crasse, et aux shots de vodka-pomme.

En voyant l'album complet comme une soirée alcoolisée en boîte, la sublime DieDieDie apparaît clairement comme le verre de trop, la bascule mentale vers le genre d'introspection que l'on ne devrait pas faire seul et ivre-mort, mais qu'on ne saurait faire autrement. L'humeur déjà pas très jouasse touche le fond, même les instruments ne feignent plus l'amusement, l'ambiance devient inquiétante, les lumières trop syncopées, les stroboscopes donnent la gerbe et le bad trip nous tend les bras. Leach termine d'emporter l'espoir sous des couches de basses et de rebonds électroniques, amenant la formule vers un nouveau sommet. La musique est plus rapide et entraînante que jamais, le chant bat des records sur l'échelle du vague à l'âme, le contraste est parfait et relance brièvement les bpm de notre cœur, qui s'était presque arrêté de battre à force de communier avec les sentiments diffusés par Phoebe Green. La pompe sanguine enfin revenue dans la bataille, on se met à regretter de n'avoir pas eu droit à plus de chansons faisant réellement décoller les pieds, et mettant d'autant plus en valeur le chant apathique et neurasthénique qui parcourt les pistes. Ce sera le seul vrai bémol ici, auquel on rajoutera tout de même de rares titres légèrement moins inspirés, Clean s'il fallait n'en citer qu'un.

Comme dit en ouverture, Lucky Me est donc un album qui n'est pas là pour que vous vous sentiez mieux. Il n'existe que pour vous chanter que vous n'êtes pas seul à être bizarre, ou dépressif, ou perdu, voire même les trois à la fois, et que les posts Instagram du bonheur ne sont que du fond de teint sur une peau en plein burnout. Image musicale crue et sans filtre de la personne qu'est aujourd'hui Phoebe Green, il aide à rappeler que faire de l'art est avant tout une question d'honnêteté envers soi, et qu'il est rare de faire de la mauvaise musique lorsque l'on est vraiment sincère.
tracklisting
    01. Break My Heart
  • 02. Lucky Me
  • 03. Make It Easy
  • 04. Crying In The Club
  • 05. Sweat
  • 06. Clean
  • 07. Just A Game
  • 08. One You Want
  • 09. Won't Sit Still
  • 10. DieDieDie
  • 11. I Wish You Never Saw Me Cry
  • 12. Leach
  • 13. I Don't Wanna Make You Cold
titres conseillés
    Crying In The Club, DieDieDie, Leach, Sweat
notes des lecteurs