Suede

Notre cartable ne cesse de se garnir de nouveaux disques tous plus fascinants les uns que les autres en cette rentrée. C'est maintenant au tour de l'une des sorties les plus attendues par nos fidèles lecteurs : le nouvel album de Suede, Antidepressants.

Il est évident que la réputation du groupe de Brett Anderson n'est plus à démontrer, ni la haute qualité de ses prestations scéniques avec des performances de niveau olympique, quel que soit l'album défendu. C'est à la sortie de l'épidémie de COVID-19 que Suede nous ont fourni la plus belle preuve de leur brio avec Autofiction, disque que l'on peut qualifier de « renaissance » tant il a renoué avec une énergie que nous n'avions plus ou très occasionnellement trouvé chez Suede depuis leur règne incontesté sur la Britpop.

Rajoutons à cela des musiciens toujours au top de leur forme et de leur art, avec celui par qui l'ADN même de Suede s'exprime, Brett Anderson qui, à bientôt soixante ans, renvoie dans les bacs à sable de maternelle tout un paquet de prétendants au titre de frontman le plus charismatique du rock anglais. A Sound Of Violence, la patience n'est pas notre première qualité, ce pourquoi à la suite de l'unique concert français en 2022 à la Maroquinerie de Paris, nous sommes partis sur les traces de Brett et ses comparses, ces derniers s'alliant alors aux Manic Street Preachers pour une double affiche de haute volée qui se produisit un peu partout dans le monde, sauf en France.

C'est à deux reprises que votre média préféré est allé confirmer l'excellence de Autofiction sur scène au Royaume-Uni, en découvrant un an avant tout le monde le titre Antidepressants, lequel nous avait fait forte impression. Après quelques singles égrenés depuis le début de l'année, nous découvrons enfin dans son intégralité Antidepressants. Ce dixième album studio a été confié à Ed Buller, producteur qui a littéralement à son crédit les disques les plus emblématiques de l'ère Britpop tels Suede, Dog Man Star et Coming Up pour Suede, ainsi que His'n'Hers de Pulp et le magnifique Souvlaki de Slowdive. Le résultat est à la hauteur de nos attentes : se positionnant comme un second épisode à une trilogie visuellement et musicalement en noir et blanc, Antidepressants est une suite de morceaux qui porte Suede au maximum du spectre de toutes les émotions ici abordées. La fougue et l'énergie qualifiée de « punk » par Brett et Matt Osman eux même est ici encore présente. Les singles extraits du disque en amont le prouvent, et l'ouverture Disintegrate, tel le décollage d'une fusée, est une explosion des sens : la cadence militaire, les guitares saturées, le chant tant susurré qu'hurlé à plein poumon... La liste des must have d'un excellent single de Suede est complète.
Ce sont deux autres singles déjà diffusés qui suivent, le nouvel hymne taillé pour les stades Dancing With The Europeans, à la mélodie certes classique mais tellement efficace. Dans un style un peu plus racé, le single éponyme Antidepressants, avec Brett teintant son chant d'une première couche de glamour, celle-là même qui rend hystériques tous les spectateurs rassemblés à ses pieds. Ce départ en trombe fait place à quelques morceaux plus traditionnels, où le rock énervé devient pop aux fines harmonies. Our Sweet Kid et Sound And The Summer sont à elles deux ce petit interlude dans le tracklisting, sans pour autant dénoter du reste des morceaux, ces deux chansons étant toutes autant portées par les guitares puissantes de Richard Oakes, toujours secondé de Neil Codling.


C'est avec les chansons plus calmes que Suede font état de leur incommensurable charisme. Chacune d'entre elle nous dévoile un Brett Anderson comme à fleur de peau, luttant entre rage et apaisement, grâce à une interprétation toujours poignante. Sur Somewhere Between An Atom And A Star, avec des thèmes qui positionnent le groupe comme un observateur du temps qui passe, empli de sentiments souvent confus, rarement Brett Anderson n'aura réussi à embrasser ce niveau d'authenticité. June Rain nous rappelle que la ballade n'est toujours pas tombée en désuétude.
Avec Life Is Endless, Life Is a Moment, c'est presque vingt-cinq en arrière que sa guitare sombre et écorchée nous ramène, à une époque où les anglais tentaient leur mue en laissant derrière eux les strass et l'aspect juvénile de leurs premiers succès. La force actuelle de Suede réside dans le retour des titres ruisselants de sueur tout autant que leur interprète lors des concerts. Broken Music For Broken People hurle sa rage de (sur)vivre en désignant ainsi la musique comme remède. Suede persistent et signent avec Transe State, qui flirte sans aucune retenue avec cet air délicieusement teintée du son de l'authentique Britpop des années 90s. La basse de Mat prend le dessus, la guitare se met en mode écho entre deux refrains, et la mélodie un peu cheesy accompagnée de cette nappe de chœurs suraigus en font un tout particulièrement addictif. Un futur classique, qui va en effet plonger en transe toutes et tous lors des prochains concerts.


Et tout comme Autofiction qui terminait sur les chapeaux de roue, c'est à nouveau un bouquet final qui clôture le disque avec l'électrifiant Dirty Looks et ses riffs ultra aiguisés, à la cadence menée par Simon Gilbert à la limite de la tachycardie. Si vous écoutez ce disque en mode repeat, le morceaux enchaînera parfaitement avec l'introduction de Disintegrate, ce disque étant en lui-même un cercle parfaitement tracé, une série sans véritable début ni fin, une injection parfaitement dosée de rock tout aussi doux que fougueux, hautement sophistiqué comme un peu crasseux, une musique tout en contraste, comme l'est le très bel artwork du disque, avec cet ange nus aux ailes comme squelettiques, fortement inspiré de la série de portraits réalisée par le photographe John Deakin de Francis Bacon, le peintre maître du surréaliste à l'univers très ambigu.

Antidepressants est une nouvelle œuvre d'art, il hausse, tout comme Autofiction avant lui, Suede et leur rock profond, puissant, parfaitement exécuté et empli de toutes ces émotions contradictoires, à leur sommet. Un nouveau succès qui continue d'inscrire la formation anglaise dans une nouvelle ère. Leur retour en live en France est donc attendu avec la plus grande des impatiences, témoins également que nous sommes de cette nouvelle étape de leur histoire.