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Marcus Mumford

(self-titled)

Marcus Mumford - (self-titled)
Chronique Album
Date de sortie : 16.09.2022
Label : Island Records
4
Rédigé par Jordan Meynard, le 13 septembre 2022
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La question se pose inévitablement : le leader d'une formation se doit-il de se démarquer de son groupe à l'heure de son premier effort solo ? Qui plus est si ce dernier, Mumford & Sons pour le nommer, est à la fois une marque en vogue et qui, n'en déplaise aux détracteurs, a pondu trois albums qui ont fait de lui un groupe qui compte sur la scène indépendante anglaise. Certes, parfois au prix de compromis discutables. Un groupe novateur plus que génial donc, dans lequel il était difficile de quantifier l'influence de son frontman Marcus Mumford. Et il n'y a qu'à observer le titre et la pochette de (self-titled) – un artwork immaculé, juste typographié, qui ne laisse pas place à l'imaginaire – pour comprendre que ce disque laisse entrapercevoir une facette bien plus vulnérable et à fleur de peau de son auteur. En effet, dans ce premier effort ressurgissent les épisodes douloureux de la vie de l'anglais, il est donc normal que le principal intéressé souhaite que l'on s'en tienne uniquement à ce qu'il nous raconte à travers les onze titres qui jalonnent le disque sans être parasité par un artwork et autres données hors-propos.

Le premier morceau, Cannibal, chante un secret qu'il porte avec lui depuis près de trois décennies, l'agression sexuelle qu'il a subie à l'âge de six ans.. Un événement de sa vie dont il n'avait jamais parlé à personne, pas même à sa propre mère, jusqu'à récemment. Fort de ce témoignage, le morceau emmené par la voix rocailleuse de Marcus Mumford nous prend aux tripes, sublimé par les magnifiques chœurs de Danielle Ponder. La production est plus douce que ce à quoi Mumford & Sons nous ont habitués, utilisant ici simplement une guitare acoustique de façon minimaliste pour laisser en lumière les paroles brutes, symbole de son exutoire : « I can still taste you and I hate it / That wasn't a choice in the mind of a child and you knew it ». Pour la petite anecdote, le vidéo clip du morceau, filmé en plan-séquence à l'iPhone dans un gymnase new-yorkais, a été réalisé par un certain... Steven Spielberg. De mémoire de cinéphile, le papa d'E.T. ne s'était jamais prêté à cet exercice si particulier. Marcus Mumford reprend du poil de la bête avec Grace, première étape de son itinéraire vers la résilience, un morceau de rock plus traditionnel dans lequel il exprime clairement une catharsis. Il y a beaucoup de douleur dans cette chanson, en témoigne la profonde tension dans la voix de Marcus Mumford, mais comporte aussi un peu d'espoir et, comme son titre l'indique, beaucoup de grâce.


Nous sommes déjà fixés alors que notre écoute vient seulement de commencer : nous voilà à des années lumières de la chanson You'll Never Walk Alone – nommée aux derniers Emmy Awards - composée par Marcus Mumford pour la bande originale de la série Ted Lasso diffusée sur Apple TV et, vous l'aurez compris, de toute ressemblance avec son groupe d'origine. Prior Warning s'inscrit sur le chemin tracé par Cannibal, mais troque la guitare pour une ambiance analogique pleine de tendresse et de vague à l'âme. L'ensemble du disque est si épuré que l'on regretterait presque que son auteur n'ait pas davantage joué le jeu, poussant les curseurs de la contrainte jusqu'au bout, par l'utilisation exclusive d'instruments organiques. Better Off High remet un peu d'intensité dans cet album en reprenant une des marques fortes de l'univers sonore de Mumford & Sons, les refrains libérateurs déclamés avec une mélancolie, qui semble provenir des tréfonds de son âme. Force est de constater que ces éclats sonores devenus - disons-le - prévisibles, ont d'autant plus d'impact quand ils sont utilisés avec parcimonie. Comme sa place en milieu d'album pourrait le laisser penser, Only Child tient son rôle d'interlude avant que le premier duo de cet album, avec Clairo, ne fasse son apparition sur Dangerous Game. Un titre dans lequel l'habillage électronique est peut-être un peu trop présent, regret qui s'ajoute à celui de ne pas entendre davantage la chanteuse américaine - reléguée quasiment au rôle de choriste.

Better Angels nous fait oublier cette déception en nous proposant un des meilleurs standards du répertoire de Marcus Mumford, bien que l'on ne comprenne pas ce que ce morceau vienne faire en face B, perdu au milieu de toutes ces collaborations de fin d'album. Go In Light et Stonecatcher, chantés de concert respectivement avec Monica Martin et Phoebe Bridgers, signent deux des plus beaux duos de ce disque, mais il est difficile de nous enlever de la tête la plus-value qu'auraient pu avoir toutes ces chansons partagées, si l'on avait donné davantage de place à toutes ces talentueuses artistes. L'album se termine avec How comme il a commencé, sur des accords minimalistes joués aux doigts, accompagnant l'ultime prise de parole du musicien. Il est peu à peu rejoint par quelques notes de piano et les chœurs poignants de Brandi Carlile pour arriver en une complainte poignante, si ce n'est bouleversante, et clore ainsi cet album de la plus belle des manières.


Au cas où les fans de Mumford & Sons se poseraient la question, Marcus Mumford a confié avoir travaillé sur (self-titled) avec « la pleine bénédiction et permission du groupe », qui est donc toujours d'actualité. Il ne reste qu'à voir ce que cette belle parenthèse aura comme incidence sur les futurs projets de la formation de Londres, au même titre que le départ définitif de Winston Marshall après la controverse liée à son soutien au journaliste d'extrême droite américain Andy Ngo. Il aura fallu du temps et une échappée solo avant de réitérer le coup de maître de Sigh No More, mais il n'est jamais trop tard pour bien faire. Avec cet album concept, où le minimalisme est au cœur du projet, Marcus Mumford démontre qu'il fait partie des grands auteurs-compositeurs de la perfide Albion. On sentait cette capacité depuis toujours chez lui, tous ses excès musicaux récents n'ayant jamais vraiment réussi à cacher sa sensibilité, mais avec autant de réussite cela en devenait presque inespéré. Loin des clichés, et sans se compromettre, il nous donne ce qu'il a de meilleur à nous offrir : des compositions à la hauteur de son talent.
tracklisting
    01. Cannibal
  • 02. Grace
  • 03. Prior Warning
  • 04. Better Off High
  • 05. Only Child
  • 06. Dangerous Game (feat. Clairo)
  • 07. Better Angels
  • 08. Go In Light (feat. Monica Martin)
  • 09. Stonecatcher (feat. Phoebe Bridgers)
  • 10. How (feat. Brandi Carlile)
titres conseillés
    Better Off High, Go In Light, Stonecatcher, How
notes des lecteurs