Un concert de Mogwai fait partie des choses qu'il ne faut pas rater quand elles croisent notre chemin, n'en déplaise aux grincheux habitués du « gnagnagna c'est toujours pareil ». Comme disait John Peel de The Fall, son autre groupe préféré : « Always the same, always different ». On sait que l'on vient pour en revenir sourd comme un pot, pour toucher le septième ciel en même temps que que les potards des pédales de fuzz toucheront le bout de leur course, et pour pester intérieurement contre les demi-fans qui hurlent entre deux crescendos plutôt qu'à la fin du morceau. Mais autour de cette pattern bien rodée, c'est l'état de forme du groupe, les variations de la setlist, l'attachement au dernier album mis à l'honneur et la magie du moment qui feront rentrer le concert dans une des deux catégories : le très bon concert ou le triomphe (c'est-à-dire Mogwai un jour moyen ou un grand jour). Pour cette première date à Dublin (rajoutée suite au sold out de celle du lendemain), la performance délivrée par les légendes écossaises est sans trop d'hésitation digne des grands jours.
Le cadre est en tout cas magnifique : Vicar Street est l'un des quelques lieux de taille intermédiaire à Dublin, le bar affichant des grands noms y étant passés (Bob Dylan, Blondie...) et dont la salle principale présente une étonnante forme carrée. Le son s'avère excellent bien que parfois légèrement déséquilibré au premier rang. Avec un quart d'heure de retard, ce sont Cloth qui entrent en scène. Comme souvent avec Mogwai, la première partie est issue de leur label Rock Action Records, est écossaise et a signé trois albums dont le premier avait été encensé par Guy Garvey d'Elbow. Avec deux guitares, une batterie et sans basse (ce qui a une influence certaine sur le son), le groupe délivre un set convaincant, paradoxalement difficile à caractériser (dream pop, rock indé classique, ou autre ?) mais dont les chansons ont une réelle consistance. Le groupe s'épanche largement entre les morceaux, sur le fait que c'est leur premier concert à Dublin, sur l'utilisation d'un de leurs morceaux dans la série Normal People ou sur une corde de guitare brisée en fin de set. Un set des plus agréables et qui donne envie d'aller découvrir davantage la musique de Cloth et qui aura parfaitement assuré la première partie la soirée.
Quelques temps après, les cinq membres de Mogwai s'élancent. Stuart Braithwaite est surexcité à l'idée de jouer à Dublin et nous le fait savoir avec son t-shirt de Codeine, prouvant encore une fois si c'était nécessaire son immense culture et la place centrale de son groupe dans le paysage musical des dernières décennies. Toujours en tournée pour leur dernier album The Bad Fire, Mogwai entament le concert avec deux extraits de celui-ci. Le son est puissant et massif, les musiciens concentrés, et le live confère aux morceaux une nouvelle puissance organique et une profondeur émotionnelle à chaque instant. Toutes les nuances ressortent parfaitement et permettent d'explorer les spécificités propres à l'album (parce que Mogwai ce n'est PAS répétitif, arrêtez).
S'ensuit une première plongée dans les précédents albums, en commençant par l'immense Rano Pano issu du trop sous-estimé Hardcore Will Never Die, But You Will (un des meilleurs titres d'album de tous les temps soit dit en passant). Les guitares sont surpuissantes et donnent l'impression d'un décollage au ralenti jusqu'aux étoiles qui nous enveloppe complètement et finit en apothéose avec le retour de guitare final. How To Be A Werewolf continue dans la lancée, avec une structure en montagnes russes, à la fois offensive et bienveillante, digne d'une immense chanson pop, mais mieux que ça car c'est une chanson de Mogwai. Les musiciens prennent un plaisir visible à jouer, surtout Stuart Braithwaite, très impressionnant lorsqu'il matraque sa pédale de wah-wah. Helicon 1, issue des premiers singles du groupe, est devenue une habituée de ses setlists, ce qui est on ne peut plus mérité tant sa beauté évanescente est surnaturelle : une première moitié en apesanteur, avant que le rugissement des guitares ne nous achève.
Retour à des morceaux récents avec Ritchie Sacramento, le single principal de l'album précédent, qui permet à Stuart de prendre le micro pour une chanson pop parfaite. The Bad Fire est de retour avec deux morceaux dans le même ordre que sur l'album : Fanzine Made Of Flesh est d'une grande classe et finit dans un grand entrelacement de sonorités pas toujours identifiées, tandis que Pale Vegan Hip Pain offre un certain répit, mais dont toutes les textures contribuent à sa progression lente mais sûre. La transition délicate est parfaite avec 2 Rights Make 1 Wrong, et ses quasi dix minutes cristallines qui font chavirer tout un public agitant doucement la tête de ravissement. Après cela, Remurdered et la collusion entre krautrock et sa boucle électronique entêtante donne de nouveau l'occasion de cogner et est fort appréciée. La fin du set sera en apothéotnse : We're No Here (rappelons que Mr. Beast est peut-être le meilleur album de Mogwai) détruit tout simplement tout sur son passage avec les potards au maximum, donnant un avant-goût de l'enfer absolument terrifiant qui prend (au sens propre) aux entrailles, et enchaîne sans aucune pause sur Lion Rumpus, décochée comme une flèche sur ce qui reste de nous avec le combo merveilleux vocoder/wah-wah qui arrache les oreilles au fur et à mesure de ses nombreuses montées en puissance.
Le groupe revient un grand sourire aux lèvres pour un rappel impeccable. Tout d'abord, Every Country's Sun, majestueux morceau de conclusion de l'album du même nom. Si le documentaire sur le groupe s'intitule « If The Stars Had A Sound », on a ici davantage l'impression du morceau ambiant ultime pour un grand tour à la surface d'une telle étoile. La construction du morceau est parfaite, toute en solennité et en puissance. Enfin, l'incontournable Mogwai Fear Satan. On ne sait s'il faut continuer à chercher hyperboles et superlatifs pour décrire ce que ce morceau provoque à chaque fois, tant son titre est parfait : un quart d'heure de terreur auditive, de rythmiques tribales, de nappes angoissantes et d'un mur sonore qui se déclenche immédiatement sans autre signal qu'un bref coup de pied sur une pédale d'effet.
On repart les tympans bien amochés, avec l'assurance d'avoir vu un grand concert de Mogwai, qui confirme ce qu'on savait déjà et qu'il convient de rappeler systématiquement : avec une discographie impressionnante sans faiblesses et des performances monstrueuses, Mogwai est l'un des tout meilleurs groupes des dernières décennies. Mogwai will never die, but you will (?).