Chronique Album
Date de sortie : 04.11.2022
Label : [PIAS]
Rédigé par
Adonis Didier, le 2 novembre 2022
Vous avez déjà eu le sentiment que votre vie était sur des rails ? Des rails bien disposés depuis votre tendre enfance par des gens bien intentionnés, qui ne veulent que votre bien et votre réussite, sans vraiment savoir qui vous êtes et sans que vous sachiez vous-même ce que vous voulez vraiment. Comme Hamlet, comme Luke Skywalker, ou, encore plus british, comme le petit Harry Potter, suivrez-vous ce destin tout tracé, balançant au gré d'aiguillages savamment minutés, ou sauterez-vous du train en marche comme l'a déjà fait, à plusieurs reprises, une certaine Connie Constance ?
Née à Watford, banlieue nord-ouest de Londres, à la fois nigériane et britannique, Connie était destinée à la danse et à la performance scénique. Acceptée à ses 18 ans à la prestigieuse Urdang Academy, ce qui semblait être à la fois le début et l'accomplissement d'une vie n'était en fait qu'une courte étape. Tout plaquer et sortir un EP, nous voici en 2015, Connie a 20 ans, et fait de la pop-soul, une musique que l'on rapproche aisément de Jorja Smith, Joy Crookes ou Samm Henshaw... beaucoup d'autres artistes british à la mixité plutôt évidente. Jamaïque, Bangladesh, et Nigéria aussi pour Samm, une jolie couverture mondiale, car oui l'Angleterre est diverse, et nous ne ferons pas ici un cours d'histoire-géo sur la colonisation, mais voilà. Happée par le système, Connie signe avec Virgin EMI Records, et sort un premier album en 2019, English Rose. Un album bariolé, aux styles divers, mêlant déjà le rock paternel de son enfance (The Jam, The Smiths, The Stone Roses...) avec la nouvelle mode anglaise et ses influences soul, pop, et rap. Le train semble en marche, la route est droite, la pente est douce, mais Connie a déjà sauté.
Fatiguée d'être enfermée dans un univers musical « mixte et métissé » fait de soul, de reggae-ska, et de rap, fatiguée d'entendre qu'elle est difficilement marketable, comme si les styles ne savaient pas se mélanger au même titre que les êtres humains, Connie quitte Virgin EMI pour fonder son propre label, Jump The Fence (ndlr : sauter la barrière, le train, le métro, tout ça tout ça...), et réaliser sans contraintes des chansons et des vidéo clips qui lui ressemblent. Et si ce nouvel album, Miss Power, sort sur le label indépendant PIAS (Play It Again Sam) et non sur le sien, Connie Constance reste qui elle est, et c'est-à-dire de nombreuses choses.
Car oui, il va être difficile de définir Connie Constance par autre chose que sa voix et sa personnalité, que par la femme qu'elle est et qu'elle nous présente, tant l'album joue à saute-moutons en passant au gré des envies de la dance music, à la pop, au folk, au post-punk, au sale punk riot grrrl, à la prose déclamée sur fond de guitare acoustique entraînante. Ainsi, In The Beginning nous accueille en mélangeant déclamations, chant, petits oiseaux, et guitare folk, avant que Till The World's Awake n'ouvre en grand les portes de la boîte de nuit pour proposer une dance music savamment distillée et punkisée.
Parce que Connie Constance rajoute du post-punk jusque de la dance music, et en parlant de post-punk, voici Miss Power qui déboule. De son vrai nom Constance Rose Power, Connie joue sur ce nom lui donnant des airs de super-héroïne pour nous balancer le premier gros choc de l'album. Un hymne féministe et moderne qui tabasse nos tympans et nos préjugés, qui fait danser, entre post-punk bas du front et grosses basses EDM. Une Connie MVP, indépendante, Wonder Woman de sa propre vie, et désormais touchante sur la douce et folk I'll Never Get To Love You. Enfin, folk, oui et non, car Connie s'amuse, et préfère transformer la douce balade en grandiose hymne de stade dès le deuxième couplet, parce qu'il ne s'agirait pas de s'endormir dans une case pendant plus de deux minutes.
Mood Hoover enchaîne sublimement dans la pop, Heavyweight Champion nous emmène, guitare en bandoulière, sur la route des relations père-fille vagabondes, et Hurt You baisse la lumière, laisse les étoiles briller et le moteur gronder, dans un post-punk des plus purs qui nous rappelle notamment les quatre londoniennes d'adoption de GHUM, découvertes un peu plus tôt dans l'année. Déjà sept chansons, pas loin de sept styles différents, et si vous vouliez encore du changement, voici Kamikaze, c'est punk, ça racle le bitume, c'est du riot grrrrrrl avec douze r comme une lionne énervée qui rugit, et ça dit les termes : « I'm not your perfect little princess. I have my own unique vagina » (ndlr : « Je ne suis pas ta parfaite petite princesse, j'ai mon propre vagin, il est à moi et il est unique »). Connie est métissée, Connie est une femme, mais Connie est surtout une musicienne allant du punk rock au folk et à la dance, avec des tas de trucs à dire.
Ça tombe bien, YUCK! dispose de six minutes pour dire des trucs. Des tas de trucs, passant du coq à l'âne, du coca-light à celui avec un goût de cerise, la cerise sur le gâteau, le gato comme le chat en espagnol, et la gnôle la meilleure c'est celle de papy à la mirabelle. Ça joue sur les mots, ça raconte la vie en prose, et la pellicule se déroule naturellement à mesure que l'on suit les pérégrinations de l'esprit hyperactif de Connie dans un monde qui ne ressemble qu'à elle, et qui de mieux qu'une véritable lionne pour nous rappeler l'existence bien courte des parisiens oubliés de Fauve à travers un sommet de prose pop-folk dont on n'est pas près de redescendre.
Encore incertaine de qui elle est vraiment, ne sachant même si elle est un garçon ou une fille (et peu importe, soyons clair), Connie Constance est sans aucun doute une somme faite de cette multitude d'influences et de questionnements, cette multitude qu'elle a placée à l'intérieur de Miss Power, album ô combien humain, et bien plus homogène et cohérent qu'il ne le laisse paraître à première vue, car façonné par les nombreuses facettes d'une même et brillante personne.