Chronique Album
Date de sortie : 05.09.2025
Label : Dead Oceans
Rédigé par
Bertrand Corbaton, le 1er septembre 2025
Le temps passant inlassablement, vous aviez peut-être oublié que dans une période pas si lointaine, shame apparaissaient aux yeux de certains comme un prétendant sérieux du post-punk contemporain, aux côtés de la locomotive IDLES, sérieusement talonnée par ces petits jeunes irlandais de Fontaines D.C.
Il faut dire que Songs Of Praise, sorti en 2018, bousculait sévèrement son petit monde et plaçait ces sud-londoniens en haut de la liste des groupes les plus prometteurs de leur génération. Depuis, shame n'ont pas vraiment dévié de leur trajectoire artistique, mais ont laissé les grosses machines se partager les scènes principales et les têtes d'affiche des festivals.
En effet, quelques années plus tard, les promesses de Songs Of Praise n'ont pas été confirmées, et ceux qui s'attendaient à voir le groupe s'envoler vers les sommets de la célébrité en sont pour leur frais. Avec Food For Worms (2023) on avait compris qu'il se passait quelque chose chez ces gars là, quelque chose qui faisait penser à une volonté assez tenace de changer de direction après Drunk Tank Pink. Si les hymnes post-punk des débuts étaient désormais bien loin, Food For Worms présentait pourtant le groupe sous un profil étonnamment séduisant.
La sortie de Cutthroat semble être la continuité de cette chrysalide entamée deux ans plus tôt. Seulement voilà, là où Food For Worms semblait vouloir prendre le temps de se découvrir, shame refusent parfois délibérément d'allumer la lumière pour nous aider à nous retrouver dans ce labyrinthe.
Si l'idée était d'être expéditif et mettre en exergue le besoin d'immédiateté, le but est atteint avec des titres comme To And Fro, Nothing Better ou Screwdriver. Il se dégage quelque chose d'assez jouissif, comme si le groupe voulait en découdre et nous emporter avec lui. Sans avoir peur de trop se tromper, on se dit ici que shame cherchaient de la matière pour vite repartir en tournée. Nothing Better ou le très inspiré Quiet Life touchent leur cible sans difficulté et sont sans aucun doute calibrés pour les performances live.
Les faits sont implacables, shame ont fait bien du chemin depuis leurs débuts, comme en témoignent Spartak ou Plaster aux sonorités indés US assumées. Il n'est pas question ici de tourner en rond, et shame ne craignent pas de sortir de la logique dans laquelle on l'envoyait quelques années plus tard. D'aucuns regretteront ce virage, pourtant pas si étonnante si l'on se replonge dans Food For Worms. Le groupe prend parfois plaisir à jouer sur des structures et sonorités plus électroniques comme sur le déjanté After Party ou le faussement joyeux Axis Of Evil.
Tout ça est plutôt bien senti mais la volonté affirmée de faire un album festif n'est pas sans risque. Le piège de tomber dans les écueils grossiers est certes évité haut-la-main, pourtant quelque chose ne tombe pas rond, et le groupe peine parfois à nous emporter comme il avait su le fait auparavant. S'enfoncer sur certaines routes n'est pas sans risque, et à force de déconcerter son petit monde, certains pourraient bien vite se retrouver au bord du chemin. Car pour apprécier Cutthroat à sa juste valeur, il faudra faire le deuil brutal du groupe des débuts.
Bien sûr certaines sonorités, ou mélodie rappellent sans difficulté l'esthétique propre d'une formation qui possède une personnalité forte. Néanmoins, les Londoniens ne ménagent personne, et suivent leur idée quoi qu'il en coûte. Résultat, Cutthroat est parfois un buisson dense, qui sera difficilement accessible à ceux qui refuseront de se plier aux choix du groupe. Situation assez paradoxale puisque cet l'album est en définitive le plus positif, le plus dansant, et peut-être le plus évident de leur discographie.
Il faudra s'y faire, et à vrai dire, il serait dommage de fermer la porte à ce groupe talentueux, qui aura au moins le mérite d'essayer de s'embarquer vers de nouvelles aventures, pour ne pas s'ennuyer, pour tracer sa propre voie, au risque de vous laisser de côté.