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Dave Okumu & The 7 Generations - I Came From Love
Chronique Album
Date de sortie : 14.04.2023
Label : Transgressive Records
45
Rédigé par Franck Narquin, le 13 avril 2023
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Eternel homme de l'ombre et ex-frontman du combo aussi culte que confidentiel, The Invisible, Dave Okumu se présente humblement comme « musicien, producteur, songwriter, collaborateur ». Si son nom ne vous dit peut-être toujours rien, vous avez surement entendu sans le savoir son travail aux côtés d'artistes acclamés dans ces pages tels que Foals, Maxïmo Park, Loyle Carner, Nilüfer Yanya, Arlo Parks et Ghostpoet ou de poids lourds comme Adele, Beck, Brigitte Fontaine ou Yoko Ono. Quasi anonyme pour le grand public, le gaillard est pourtant une valeur sûre des studios d'enregistrement londoniens. Après des années passées au service des autres, l'artiste austro-anglais, fils du Professeur Washington Okumu, militant pacifiste kényan contraint à l'exil (détail ayant son importance dans la lecture de ce nouvel opus), a sorti il y a deux ans son premier essai solo, le brillant Knooperz. Il y revisitait l'album Sen Am du jazzman anglais Duval Timothy avec une approche inédite quelque part entre le sampling, la reprise et l'hommage pour un résultat aussi inspiré que conceptuel.

Avec son deuxième disque, I Came From Love, Dave Okumu a décidé de dépasser le simple exercice de style en s'attaquant à un projet bien plus ample. S'entourant de nombreux collaborateurs (dont Eska, Kwabs, Wesley, Anthony Joseph et Grace Jones), mais seul maître à bord, occupant tous les postes de l'écriture à la production, des arrangements à l'interprétation, il s'est renommé Dave Okumu & The 7 Generations, en clin d'œil à l'Artiste Précédemment Connu Sous Le Nom De Prince et sa New Power Generation. Pour autant les 7 Generations ne sont pas un groupe, mais ses ancêtres actuels, ces ancêtres musicaux et ses descendants, en somme son bagage culturel autant que ses fantômes personnels.

D'une ambition démesurée, I Came From Love, envisage d'être à la fois une radiographie de l'héritage de l'esclavage et des injustices vécues par la communauté noire ainsi qu'une évocation intime de l'histoire familiale de l'artiste. A la lecture d'un tel manifeste, se disant que qui trop embrasse mal étreint, on craint le pudding indigeste bien-pensant et trop généraliste ou bien le brûlot communautariste bas du front. En effet, tout le monde n'est pas Kendrick Lamar. Mais tout le monde n'est pas Dave Okumu non plus. Car comme notre professeur de philosophie aimait nous le rappeler, ce n'est pas le sujet que vous traitez qui fait la force de votre démonstration mais l'angle que vous prenez. Alléluia, l'angle pris par Dave Okumu est majestueux. Là où le commun des pamphlétistes utilise la musique comme trame de fonds pour servir un propos politique, Okumu s'attache à démontrer la force politique de la musique en dessinant un patchwork des musiques dites noires (jazz, soul, funk, gospel, negro spirituals, reggae, trip-hop...).

Etant donné son vaste programme, I Came From Love s'avère inévitablement dense et long (quinze titres et soixante-cinq minutes). Pour faciliter sa réception, l'album a été judicieusement découpé en quatre chapitres et sorti sous la forme d'autant d'EPs entre novembre 2022 et avril 2023, You Survived So I Might Live (titres 1 à 4), The Intolerable Suffering Of (The) Other (5 à 8), Seduced By Babylone (9 à 11) et Cave Of Origins (12 à 15).

Le premier chapitre, You Survived So I Might Live, est marqué par la patte de Grace Jones, présente sur deux titres, dont le sublime 7 Generations, et influence revendiquée de Dave Okumu. Elle qui incarna comme personne pendant les années 80 l'image de la femme noire forte et indépendante ainsi que celle de l'artiste touche-à-tout, éclectique et s'affranchissant de toutes frontières entre les genres, trouve naturellement sa place sur cet album et reviendra même clore le dernier chapitre, en marraine du projet. Si ce volet à la production chiadée est teinté de mélancolie et de nostalgie, il ne se vautre jamais dans la naphtaline et le « c'était mieux avant ». Au contraire, un morceau comme Blood Ah Go Run pourrait sans problème figurer sur le dernier album de Young Fathers. Les connexions et similitudes entre Heavy Heavy et I Came From Love sont d'ailleurs frappantes et on conseille donc à tous ceux qui ont apprécié l'album du trio écossais (c'est-à-dire tous ceux qui l'ont écouté) de se jeter sur celui du producteur londonien.

The Intolerable Suffering Of (The) Other, deuxième chapitre, est comme son nom l'indique nettement plus sombre et heurté. Sur My Negritude, Okumu cite Aimé Césaire et mêle afro-beat et spoken-word aussi enragé qu'engagé. Les guitares distordues semblent couler comme des larmes amères dans The Cost et Black Firework tandis que Prison évoque l'inconsolable peine d'une mère perdant son fils pour quelques années. Intense mais noire, on déconseille cette partie aux grands dépressifs mais pas à ceux qui aime la musique qui fait du bien là où ça fait mal.

Le troisième chapitre, Seduced By Babylone, est à la fois le mouvement le plus court avec ses trois titres et le plus accueillant, le plus solaire. Scenes rend hommage à The Revolution Will Not Be Televised de Gil Scott-Heron avec son spoken-word vindicatif et son instrumentation jazzy déstructurée tandis qu'Amnesia et Get Out célèbrent le kid de Minneapolis. L'une suave, l'autre nerveuse, ces deux pépites post-funk s'imposent parmi plus belles réussites d'I Came From Love et apportent un vent de fraîcheur et de légèreté à cet album a la tonalité plutôt grave et sombre.

Avec Cave Of Origins, dernier chapitre, Dave Okumu questionne la notion d'origine(s) à travers quatre titres abordant chacun un style différent, jazz cacophonique pour The Struggle, trip-hop enlevé sur Eyes On Me, reggae éthéré avec Abaka avant de conclure par le dub feel good de Paradise.

Bien qu'assez éloignés dans leurs rendus, on pense inévitablement à Sault pour cette faculté à allier dans un parfait équilibre production inspirée et discours affirmé ou pour sortir du domaine musical à la puissance d'évocation du travail photographique d'Arthur Jafa. On pourrait citer presque sans fin les artistes que nous évoquent ce disque (Miles Davies, Jordan Peele, Spike Lee, Angel Bat Dawid, Toni Morrison...) car il est par essence ultra-référencé et pourtant il brille par sa profonde singularité. Si ces quinze morceaux explorent des genres très différents, ils semblent tous unis par un même fil conducteur. Dave Okumu & The 7 Generations, artiste aussi humble qu'ambitieux, signe avec I Came From Love un geste esthétique, politique et musical d'une force rare. En deux mots, Grand Album !
tracklisting
    01. Things (feat. Grace Jones)
  • 02. 7 Generations
  • 03. Blood Ah Go Run
  • 04. Streets
  • 05. My Negritude
  • 06. The Cost
  • 07. Prison
  • 08. Black Firework
  • 09. Scenes
  • 10. Amnesia
  • 11. Get Out
  • 12. Struggle
  • 13. Eyes On Me
  • 14. Abaka
  • 15. Paradise (feat. Grace Jones)
titres conseillés
    7 Generations - Blood Ah Go Run - My Negritude
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