The Charlatans, ou ce petit goût du meilleur des années 90 au Royaume-Uni, cette étape charnière entre la scène Madchester et la Britpop, toute une époque où les rockeurs, les clubbeurs et les romantiques se croisaient au HMV pour acheter les CDs de leurs groupes préférés, entre The Stones Roses, Happy Mondays, Pulp, Elastica, Suede... Vous noterez l'absence d'Oasis dans la liste mais c'est parce que leurs albums étaient tellement indispensables qu'il aurait été presque grossier de les citer. Bref, tout un tas d'artistes qui ont façonné pour beaucoup de nos lecteurs leurs jeunes années mais, malheureusement, dont certains n'ont pas su déclencher la même dévotion de notre côté de la Manche.
Le groupe de Tim Burgess, malgré son excellence, n'a en effet jamais obtenu le succès mérité en France. Devenu pourtant un groupe culte, ses apparitions dans nos magazines, émissions télé ou tout simplement dans les bacs à disques et sur scène se sont faites de plus en plus rares. La dernière rencontre remonte en 2018, où à Paris nos amis se produisirent en exclusivité française dans une Maroquinerie remplie de fans dévoués, à l'époque de Different Days. Depuis, ce sont sept années qui se sont écoulées, où durant celles-ci une pandémie nous est tombée sur le coin du nez, où chacun des membres, habitant à différents endroits du Royaume-Uni et d'Europe, ne se sont plus autant croisés et durant lesquelles Tim Burgess en a profité pour développer ses productions personnelles, faites d'une pop de qualité dont le dernier opus Typical Music paru en 2022 nous enchante encore.
C'est dans ce laps de temps que votre média rock préféré a mandaté sa chroniqueuse au baluchon iconique pour aller pister The Charlatans au Royaume-Uni autant que possible. Durant ces quelques années post COVID-19, nous avons croisé Tim en solo mais surtout accompagné de ses camarades Martin Blunt, Mark Collins, Tony Rogers et Pete Salisbury lors de concerts et festivals divers et variés, afin de maintenir notre flamme intacte en attendant le prochain album. Nous sommes dorénavant récompensés de notre patience : en ce jour d'Halloween, en plus de se gaver de bonbons, nous nous régalons avec We Are Love, très attendu quatorzième album studio de The Charlatans.
Le disque se compose de onze morceaux qui réussissent à compiler le meilleur de ce que nous connaissons des Charlatans, soit cette acid pop toujours aux confins du groovy, avec les magnifiques claviers de Tony Rogers, englobée d'un vernis plus mélodique. Une impression de sérénité retrouvée et une atmosphère plus posée s'en dégagent, celles qui peut-être définissent nos héros tous dorénavant très cinquantenaires et acteurs de cette longue épopée qu'est The Charlatans.
Dans le tracklisting, nous retrouvons évidement la « touche Charlatans » ultime : le chant de Tim Burgess. Nous avons à de nombreuses reprises souligné notre émerveillement face à ce timbre qui n'a tout simplement pas bougé d'un iota depuis les tous débuts. Et pourtant, Tim en cumule du kilométrage au compteur mais son éternelle voix de gamin demeure, un cas sur lequel la science devrait se pencher. Tim et sa personnalité rayonnante et sa gentillesse proverbiale, dont l'iPhone lui a été presque greffé à la main, pape de l'ex-réseau social Twitter où il a réussi à créer une véritable communauté soudée de fans de musique grâce à ses Listening Parties qui en ont sauvé plus d'un de la déprime durant les confinements. Mais surtout, un Tim qui porte depuis les premiers pas de The Charlatans des messages d'amour et de fraternité sur des refrains ultra accrocheurs et particulièrement addictifs.
Voilà pourquoi nous trouvons dans ce We Are Love une belle poignée de singles qui peuvent déjà concourir au titre de futurs classiques du groupe. En premier lieu, le single éponyme We Are Love, à 100% cranté dans les valeurs musicales que portent nos amis. Guitare punchy, mélodie instantanément mémorisable et toujours ces notes de claviers Hammond tellement emblématiques de la scène psyché pop de Manchester il y a trente ans maintenant. C'est énergique, joyeux et dansant à souhait. On repère dans le même esprit un Deeper And Deeper à la cadence plus soutenue qui rappelle que The Charlatans sont bien un groupe de rock. Le titre d'ouverture Kingdom Of Ours qui monte crescendo avec les touches de claviers pénétrantes et cette batterie puissante qui vient s'imposer petit à petit est définitivement un futur hit du groupe. Une belle intensité dès les premières minutes, qui sera suivie par une série de morceaux où la place est faite à un chant plus mélancolique, des nuances peut-être un plus sombres qui donnent ce côté plus mature au répertoire des anglais : You Can't Push The River avec un Tim qui drape sa voix dans une tonalité plus grave et profonde, la presque electro Appetite qui semble destinée aux clubs avec ses boucles toutes atmosphériques, ou la ballade émouvante qu'est Salt Water, petit ovni au piano et à la guitare acoustique avec ces sons de vagues qui s'échouent sur la plage, comme une douce pause pour rappeler le grand talent de compositeur pop de Tim Burgess.
Mais The Charlatans, en tant qu'étendards de la scène Madchester, se doivent de nous faire danser : c'est le cas avec Many A Day A Heartache et Glad You Grabbed Me, qui plongent dans les références psychés et soul du groupe. Après tout cela, le disque réussit à se clôturer sur un petit chef d'œuvre de six minutes et quarante-huit secondes : Now Everyting est une petite ode très Beatles-esque, où harmonies et chant sont au summum, et sa guitare bien léchée réussit même à nous remémorer les plus hauts faits des frangins Gallagher qui se sont eux-mêmes gavés des premiers disques des Charlatans avant de chausser leurs Adidas Gazelle de rois de la Britpop mancunienne. Un morceau presque hommage aux racines du groupe, et encore une belle preuve que le temps n'a en rien entamé la flamme qui brule chez nos compères, malgré les longs hiatus entre deux disques.
Le retour aux affaires de The Charlatans est une totale réussite : rien ne nous manque ni ne nous déçoit dans ce We Are Love qui nous offre l'essence même de ce qui définit le groupe de Tim Burgess, avec cette petite couche de grâce supplémentaire liée à cette belle maturité que porte les musiciens. Serait-il vain d'espérer un retour sur scène en France avec ce nouveau départ, car à ce jour, seule une tournée britannique se dessine ? Quoi qu'il advienne, le baluchon est déjà prêt à partir en mission pour attester de la haute tenue de ce nouvel album en live.