C'est le grand embouteillage des concerts en cette fin octobre, mais il y a quand même beaucoup de monde pour le festival They're Gonna Be Big qui a pourtant la particularité de ne faire jouer que des groupes en devenir, pour qui c'est le premier concert à Paris, voire pour certains hors de leur pays d'origine. Le premier soir est très chargé, les deux soirées suivantes sont carrément complètes.
Puisque l'Irlande nous a livré nombre d'excellents groupes, il est assez naturel que la soirée commence par un en provenance de Dublin :
Croíthe (ndlr : avec un accent grave sur le i, coeurs en Irlandais). La formation est le classique guitare, basse, batterie, et le chanteur avec son tambourin me rappelle Fontaines D.C.. Ils connaissent leurs classiques, le bassiste arbore un t-shirt The Smiths, et le chanteur un de The Gun Club ! Les guitares moulinent sec et leur pop est chargée d'énergie. La basse est très claire et c'est agréable de l'entendre se détacher des guitares disto fuzzy. Le set d'à peine trente minutes me donne l'occasion de passer au Supersonic Records.
Are they gonna be big ? Peut-être. Ils sont Habités par leurs chansons entre Interpol et Fontaines D.C., et s'ils prennent le temps de développer leurs voix et leur son il y a une place pour être la relève des premiers et la suite des seconds.
Je n'ai pas vraiment été convaincu par ce que j'ai entendu de
Slag sur Spotify, mais je me laisse tenter par la description de leur biographie qui promet "une performance imprévisible et un humour ravageur". Je ne suis pas le seul à avoir eu cette idée et l'annexe du Supersonic est blindée de monde. La petite scène est aussi chargée avec deux guitares, une basse, un clavier, une batterie, des paillettes et un T-shirt I Love Paris. La chanteuse a une sacré voix, très puissante à la Florence + The Machine, et le groupe a de la ressource mélodique comme des Black Country, New Road électriques. La où des groupes mettent un pont dans leur chanson pour rompre la monotonie, chez Slag c'est plutôt un exutoire pour balancer un shot d'énergie et de rage musicale bien maîtrisées. Entre deux titres ils nous expliquent la signification de Slag [ndlr : quelque chose entre déchet et trainée], ils vendent d'ailleurs des t-shirts à leur nom. Je pars pour la Seine Café en me disant que je rate peut-être quelque chose
Are they gonna be big ? C'est très en place sur scène et ça passe bien, mais ils ont besoin d'un passage en studio avec un producteur qui affine leurs chansons et un ou deux tubes que je n'ai pas entendus ce soir.
Après Brighton, retour en Irlande avec
Pebbledash. Heureusement que la scène est profonde au Seine café pour faire tenir un batteur, un bassiste avec basse 5 cordes et cravate, un petit clavier, un guitariste en veste autrichienne, et une chanteuse qui garde ses lunettes de soleil, un tambourin mais pas ses chaussures. Ils ont un look très années 80s, et le chant parlé du guitariste qui assure les chœurs donne un côté martial qui rappelle les groupes belges ou allemands pendant la guerre froide. Malgré des conditions pas idéales dans cette petite salle, on voit tout de suite que le groupe dégage quelque chose de spécial. Tout ce petit monde a stressé en ne voyant personne dans la salle dix minutes avant le concert, mais le public est arrivé, trop nombreux, et l'ambiance se réchauffe très vite. Le claviériste, qui a autant de pédales d'effets que le guitariste, souligne l'importance de sculpter leur son, créant un contraste intéressant avec la voix douce de la chanteur et leur musique torturée. Le set se termine sur
Carraig Aonair, une chanson en irlandais reprise d'un chant traditionnel et dédiée aux victimes de la famine. La chanson est superbe dans cette version électrique et son final a cappella. Un deuxième EP sort en novembre, j'ai hâte de l'écouter.
Are they gonna be big ? Well, define big ! Dans leur genre ils ont tout pour, mais quelle est la taille du "marché" pour ce genre exigeant sans être profondément bizarre ?
Le niveau des groupes monte manifestement à mesure que la soirée avance et mes attentes grandissent pour
Fuzz Lightyear qui vont monter sur la scène du Supersonic. Présents dans notre sélection
Sound Of 2025, le quatuor de Leeds joue devant une salle qui déborde dans les escaliers et à l'étage. Pas facile de se faire une place pour voir le groupe se contorsionner au son de leur punk fougueux à la IDLES... Pendant un moment il est intéressant de seulement entendre un groupe sur scène sans arriver à le voir, sans se laisser influencer par la présence scénique. Leur rage est peut-être un peu trop monotone et une partie du public s'échappe, me permettant d'apprécier le spectacle. En groupe engagé, ils dénoncent la situation au Royaume-Uni et nous disent que nous ne connaissons pas notre chance, je confirme. Le final avec des guitares en marteau-piqueur envoie bien.
Are they gonna be big ? Le punk a enfin trouvé son après-punk avec des groupes qui en mettent plein la gueule comme Maruja, Opus Kink ou VLURE. Avec ces poids lourds, Fuzz Lightyear vont devoir encore travailler leurs uppercuts.
J'ai très envie de voir
Crimewave, je zappe donc les américains de Native Sun pour voir le Londonien à la Seine Café. Seul avec sa boîte à sons, une guitare, un laptop, une tonne de filtres et sa voix, l'effet est saisissant. Après un morceau d'ouverture plutôt fragile, le suivant est porté par un gros riff de guitare et une boîte à rythmes rapide mais cabossée. Les lumières stroboscopiques renforcent le côté haché de la musique et la rythmique, comme si Nirvana rencontraient Aphex Twin, ou si My Bloody Valentine rencontraient DJ Shadow. Bien que Jake soit seul sur scène, il dégage une énorme présence. L'efficacité des beats fait oublier l'étrangeté, et surmonter cette épreuve est particulièrement satisfaisant. La fin est brutale, Jake rabaisse juste l'écran de son portable qui arrête net le set et le son. L'album sort le 7 novembre.
Are they gonna be big ? Ed Sheeran remplit le stade de Wembley avec sa bonne gueule et sa guitare. J'aime imaginer un monde ou Crimewave en fait autant.
Après un tel show, je pourrais en rester là, mais par conscience professionnelle, je vais voir
Labyrinthine Oceans qui clôturent la soirée. Leur musique est étonnement mélodique après Crimewave, mais les guitares et la chanteuse en font des tonnes.
Are they gonna be big ? Entre Slowdive, qu'ils reprennent, et les Cranberries, les références sont prometteuses, mais il manque les tubes et ce n'est pas vraiment ma came.