Chronique Single/EP
Date de sortie : 31.10.2025
Label :The Orchestra (For Now)
Rédigé par
Adonis Didier, le 1er novembre 2025
J'avais un doute. Je dois bien l'avouer, au moment de commencer à écrire, j'avais un doute. Alors j'ai écouté, réécouté, réréécouté, et puis l'évidence s'est évidemment imposée d'elle-même : ces gamins sont des génies. Ces sept jeunes adultes à la formation classique et punk, réunis comme autant de nains dans un orchestre (pour maintenant), un groupe de rock (pour plus tard), et une symphonie (pour toujours). The Orchestra (For Now) reviennent boucler la boucle de l'année 2025 avec un deuxième EP, la conclusion du diptyque entamé par Plan 75 et logiquement complété par Plan 76, ce soixante-seizième plan de l'univers qui n'est autre que celui qui vit à l'intérieur de nous. Un nouvel EP plus tortueux, introverti, introspectif, retranché derrière la psyché noueuse et torturée d'une formation désormais stabilisée autour de Joe Scarisbrick au chant et au piano, Bill Bickerstaff et Neil Francis Thomson à la guitare, Millie Anna Kirby à la basse, Charlie Hancock à la batterie, Erin Snape au violoncelle et enfin Lingling Bao-Smith au violon.
Du beau monde auquel il ne manque que Blanche-Neige, mais pas d'inquiétude elle est enterrée au fond du jardin avec Black Country, New Road, et si vous voyez un grand mec remettre une pelletée par-dessus, c'est Balázs Altsach. Le producteur londonien de ces deux EPs de The Orchestra (For Now) et avant eux du magnifique Twice Around The Sun d'Ugly, en bref deux groupes qui ont repris le flambeau tendu par Black Country, New Road et qui font désormais cramer toute la forêt avec, au-dessus c'est le soleil et Man/Woman/Chainsaw, et en-dessous ils n'en savent rien parce que la concurrence est faite de tout petits points faisant des signes depuis la Terre. The Orchestra (For Now), des jeunes gens Impatient qui ont grillé toutes les étapes et sont sortis de la mine les poches pleines de diamants et d'un rock post-symphonique-jazz-punk incompréhensible, improbable, une créature de fantaisie qui ne devrait pas exister déployant ses ailes aux écailles vermillon dans le ciel de Londres.
Les nains ont creusé avidement et trop profondément, dans les ténèbres de Khazad-dûm ils ont réveillé l'ombre et la flamme, et dans les ténèbres du Windmill de Brixton The Orchestra (For Now) ont réveillé quelque chose d'encore plus terrible : Hattrick. Un ouragan de violoncelles et de violons et de guitares et de cris à peine humains, une tornade au calme menaçant, à l'anticipation effroyable, posée sur une rythmique aussi mouvante et non-binaire qu'une vache tournoyant dans les nuages au milieu des panneaux de signalisation et des niches de chien. Chaque chanson dure cinq minutes, enchaîne couplets lents et torturés par la voix sans lendemain de Joe Scarisbrick avec d'épiques montées de cordes distordues, Amsterdam ressemble à une respiration, à un lampadaire d'espoir dans le smog nocturne de Whitechapel, mais la sentence sera toujours la même et Jack l'Eventreur n'est jamais très loin.
Deplore You / Farmers Market referme l'EP et la première année professionnelle du groupe sur une sublime mélodie de piano électrique coulant patiemment jusqu'au raz-de-marée. La Tamise abat ses masses informes sur le Tate Modern, le marché des fermiers prend l'eau, le conseil municipal le déplore mais n'en fait rien, et l'auditeur hébété reprend comme il peut sa respiration, l'esprit en pleine déclaration du sinistre à son assurance. Alors oui j'ai douté, un peu, mais après vingt-cinq minutes d'une symphonie grandiose et interlope, épique et défigurée, d'un concerto dans une cave pour les damnées de l'urbanisme moderne, tout est devenu beaucoup plus clair. The Orchestra (For Now) livrent avec Plan 76 la face cachée de leur précédent EP Plan 75, l'apocalypse dans une canette de cidre brut, les trompettes de l'ange Gabriel dans un garage à cuire du speed. The Orchestra (For Now), le très jeune groupe le plus intrigant d'Angleterre, un truc que si je ne l'avais pas écouté je n'y aurais pas cru, qui nous a prédit son premier album pour l'année prochaine : le temps pour vous d'aller prévenir tous vos potes et vos voisins, le temps pour moi de potasser le dictionnaire des superlatifs.