Grian Chatten

Nous avions laissé Grian Chatten et ses amis de Fontaines D.C. sur la scène de Rock En Seine l'été dernier, après une année aux secousses dignes d'un tremblement de terre classé 8 sur l'échelle de Richter, le troisième album Skinty Fia ayant tout chamboulé sur son passage. Nos lads de Dublin perpétuant la tradition du cycle ininterrompu « écriture, enregistrement, tournée » depuis leurs débuts en 2019, chacun d'entre nous a normalement pu croiser Fontaines D.C. sur scène et profiter pleinement de la déflagration. Tout cela ne s'est pas fait sans mal, le groupe frôlant à plusieurs reprises l'épuisement physique comme nerveux. On pouvait alors penser que le temps du repos était enfin venu. C'était sans compter l'insatiable appétit de Grian Chatten pour l'écriture, pratique dont il a souvent dit dans les interviews qu'elle lui est essentielle, pour tout, à tout moment.

Ça n'est donc pas vraiment une surprise de découvrir aujourd'hui le premier album solo du musicien, intitulé Chaos For The Fly. Il s'agit ici de neuf titres d'une réelle grâce, au registre pop à l'orchestration extrêmement soignée et d'une belle finesse. Oui, vous avez bien lu pop et cela ne devrait pas vous effrayer, car les rockeurs les plus agités sont avant tout des musiciens aux sensibilités musicales éclectiques et bien souvent à l'opposé de leur travail. S'agissant de Grian Chatten, ce dernier n'a jamais dissimulé son goût prononcé pour le folk et son grand amour de la poésie. Ainsi, nous retrouvons cet univers lyrique dans les morceaux de Chaos For The Fly, qui dès les premières écoutes nous épatent car ils font parfaitement sens avec le musicien, pourtant maître dans un tout autre registre.


Piano, guitare douce, instruments à cordes, trompettes, boucles synthétique toutes en échos, chœurs féminins (interprétés par la compagne de Chatten, Georgie Jesson) : une grande beauté règne sur les morceaux et chacun d'entre eux semble être un petit voyage au fin fond de la psyché de notre jeune compositeur. The Score, Last Time Every Time Forever, l'intense All Of The People ou le lunaire East Coast Bed nous donnent l'occasion de creuser un peu plus loin dans notre découverte de la personnalité de Grian Chatten, ce dernier se livrant sans retenue dans des chansons qui reflètent encore mieux ses origines (Salt Flowers Of A Truck et cet air tout droit sorti du pub de coin de la rue de Dublin) ou ses états d'âmes (le duo de clôture I'm So Far et Season For Pain offre un chanteur à nu et leur simplicité tout comme leur efficacité sont confondantes).


Le chant est évidement bien mieux mis en avant avec un tel répertoire, et c'est ici l'occasion de réellement s'imprégner de ce brin de voix un peu rauque qui dévoile d'autres charmes que ceux beaucoup plus fougueux que l'on aime tant sur les albums de son groupe. Quelques morceaux du répertoire de Fontaines D.C. nous laissaient déjà présager de cette prédisposition aux ballades plus posées, c'est donc une très bonne initiative de la part du jeune homme que d'explorer ce talent sous son propre nom, ce dernier semblant parfaitement savoir ce qu'il est attendu de lui au sein de son groupe et ce qu'il peut ainsi exploiter personnellement.

J'entends déjà nos Nostradamus de comptoir prédire la fin de Fontaines D.C., certains dressant quelques parallèles avec des groupes qui ont eu une carrière parfaite « discographiquement » parlant mais brève, n'ayant su du fait de leur jeunesse gérer le succès et dont les membres emblématiques (en général le guitariste surdoué et le chanteur charismatique) se sont vite reconvertis. Je répondrais à cela que quoi qu'il arrive dans le futur, Grian Chatten saura pertinemment faire le bon choix. Chaos For The Fly ne peut que nous rassurer sur les années à venir car l'excellence dont fait preuve son compositeur pour un premier galop d'essai nous assure qu'il continuera de graviter autour de nos orbites, que cela soit en solo ou à plusieurs. Peu importe la forme, nous prendrons tout ce qu'il voudra bien nous offrir.