Chronique Album
Date de sortie : 21.07.2023
Label : Spinefarm Records
Rédigé par
Adonis Didier, le 19 juillet 2023
Il est des albums qui s'adaptent plus ou moins bien à l'époque de l'année à laquelle ils sortent. Voyez donc que nous sommes en plein mois de juillet par 35°C, les pieds en éventail dans le sable de Six-Fours-les-Plages (ou dans la boue de Carhaix-Plouguer, chacun son festival de juillet), et qu'arrive sur le bureau le nouvel album de Saint Agnes, quand cela fait maintenant trois semaines que l'ambiance était plutôt sea, sex, and sun.
Alors on profite d'un orage, et sous un ciel noir électrique déversant des torrents d'eau acide et brunâtre, on relance une énième partie de DOOM, nouvelle occasion d'expurger sa haine de vivre dans une société via l'éclatage de crânes de démon à coups de rangers. Et sans doute ne fera-t-on jamais bande originale plus adaptée à la situation que Bloodsuckers par Saint Agnes, l'album parfait pour accompagner les détonations de fusil à pompe, les craquements d'occiputs brisés, les succions baveuses de moëlle épinière, et la geste aérienne d'un torse arraché à ce qu'il y avait sous et sur lui.
Pour mémo, le Death or Glory Gang a bien changé depuis son premier album en 2019, du hard-blues tourné sous forme de virée western funéraire nommé Welcome To Silvertown, artistiquement placé entre Red Dead Redemption, un épisode de Sons of Anarchy, et Mad Max : Fury Road. Un remplacement de bassiste avec l'arrivée de Ryan Brown, un changement de label, de leur propre label Death Or Glory Gang Records vers Spinefarm Records, historique label suédois spécialisé metal (Children of Bodom, Nightwish, Royal Republic, etc), et un renouveau esthétique et musical ne laissant aucune place au doute : Jon James Tufnell et Kitty A. Austen se sont librement laissé pousser les canines, pour vous attendre au détour de la première ruelle sombre.
Blood ! Blood ! Blood ! Blood... suckers ! Le terme est lâché, et c'est parti pour quarante minutes de Robert Pattinson en pleine frénésie nocturne, arrachant des jugulaires de crackheads dans un vieil abattoir plein de sang de porc dans les joints de carrelage. Je ne suis qu'un putain d'animal, Animal agrippe l'échelle des cris de cochon, les guitares découpent les carcasses encore chaudes, arrachent la colonne vertébrale d'un coup sec, pour le deuxième single d'un album dédié à la violence, aux pulsions de mort, un album qui démembre le punk, le nu-metal, et fourre tout ça dans le cadavre d'un Nine Inch Nails maquillé par Marylin Manson.
Un assemblage façon Maison des Mille Morts qui resplendit du talent mélodique de la bande, car avant d'être des brutes assoiffées de sang, Kitty et Jon sont surtout d'excellents musiciens et compositeurs, dont l'attrait pour la violence n'a d'égal que le talent pour les mélodies accrocheuses de Outsider, I Mean Nothing To You, ou encore Follow You. A accoler ainsi punk et nu-metal, on pensera aussi fatalement aux Nova Twins, une proximité musicale avec nos bonnes copines londoniennes qui sautera encore plus aux yeux sur Middle Finger, dont le titre ne laisse que peu de place à l'interprétation spirituelle.
Mais ce deuxième album est aussi celui de l'introspection, dans un monde de laissés pour compte, de citoyens de deuxième zone, un monde dans lequel Kitty a perdu sa mère seulement quelques mois avant de commencer à écrire, et qui nous livre une épique bataille entre le moi et le sur-moi, une bataille commencée sur I Am, et terminée au cœur de la fonderie d'At War With Myself, une chanson plus tard. Sommet du dépouillement de Kitty Austen, This Is Not The End laisse sa rage de côté pour la seule fois de l'album, alors qu'un matin désolé, post-apocalyptique apparaît derrière les fantômes de PJ Harvey et Trent Reznor. Quelques notes de piano, du larsen, la voix dans le vague, mais tout ceci n'est pas la fin. Non, la fin c'est Forever and Ever, parfaite conclusion balançant entre rave indus lancinante et mantra récité par un petit chaperon rouge qui ne sortira plus jamais de sa forêt, et même si le conte se termine mal, soyez heureux, car ça aurait pu être encore pire.
Bloodsuckers est une plongée à tombeaux ouverts en enfer, l'autoroute est à contresens, le canon scié dans les airs, les dents brillent de mille feux, et si quelqu'un doit avoir peur c'est le grand type à cornes au bout de la route. Car souvenez-vous, ce n'est pas la petite bête qui mangera la grosse, et Saint Agnes est aujourd'hui une bête beaucoup trop massive pour viser autre chose que le trône du royaume de l'acier en fusion.