Viji

Vanilla : pendant anglais du mot vanille, épice constituée du fruit de l'orchidée Vanilla planifolia. Un parfum délicieux pour certains, et une saveur commune, ennuyeuse, barbante pour d'autres, sans doute des gens nés sans papilles gustatives. Mais c'est bien de cette assertion que provient l'expression actuelle voulant que quelque chose de vanille ou vanilla soit extrêmement simple, basique, pour ne pas dire un peu chiant. Comprenez qu'y aller vanilla pour tomber un boss dans World of Warcraft signifie sans armure et arme clinquante (ce qui est rarement une bonne idée), et que si on vous trouve « assez vanille » au lit, c'est que l'hélicoptère moldave inversé n'est vraisemblablement pas votre mouvement de base.

Mais Vanilla, c'est aussi un prénom, celui de Vanilla Jenner, aka Viji, artiste brésilo-autrichienne basée à Londres spécialisée dans la pop-shoegaze lo-fi, et particulièrement comparable à une certaine beabadoobee d'il y a quelques années. Une même affection pour les musiciens dépressifs des années 90, Kurt Cobain en tête, et la même tentative de transformation du rock alternatif grungy en pop lo-fi déglinguée et blasée. Le genre de plan que Sorry ont plutôt bien fait fonctionner grâce au charisme anti-charismatique d'Asha Lorenz et à un jeu de contrepoids équilibrant un chant expressivement inexpressif par des beats de boîte de nuit croisés à Tottenham. Une gentille manière de dire que si vous chantez avec l'air blasé d'une ado de quinze ans, il s'agirait que la musique compense par une certaine forme d'excitation, si possible en introduisant un aspect mélodique qui ne concerne aucunement la platitude du chant.
Et comme vous savez que je ne digresse jamais pour rien dans une chronique, les plus perspicaces auront déjà relié un et un pour en arriver à la conclusion que tout n'est pas parfait dans ce premier album de Viji, So Vanilla, tellement vanilla qu'il l'est même un peu trop. Une dream pop tirant sur le rock alt shoegaze dont les meilleurs moments sont sans conteste les plus dynamiques, en témoigne ce Kurt Cobain dépressif s'agitant en soirée techno sur Karaoke, le refrain disto-pop parfait de Sedative, Britney qui chante la pop-punk Sharks depuis le garage de ses parents, et les titres lo-fi nineties Sleep Out Quiet et 1850 grattées aux Breeders, qui s'ils ne s'illustrent pas par une originalité débordante, ont le mérite de faire tourner à plein tube le four à madeleines de Proust. White Lighter et Sundress In Pink sont quant à elles deux ballades touchantes, aimablement bancales comme une production des Moldy Peaches, que l'on laissera tourner sur la platine par peur de déranger leur doucet batifolage.

Et puis il y a le reste. Des chansons trop faciles, sans véritables idées fortes, déroulant un tapis de disto compressée en papier peint cache-misère d'un appartement témoin impersonnel. Des chansons qui ne décollent jamais, dont on attend pendant trois minutes qu'elles nous proposent autre chose que leur simple formule de base, comme un date Tinder qui nous amène à regarder compulsivement notre montre avant de prétexter que les colocs ont oublié leurs clés à l'appart. Rien d'infâme, pas un mauvais moment, mais un moment vanille, de ceux que l'on aura oublié le lendemain devant un pumpkin spice latte hors de prix sur un tabouret gare de Lyon.

Et c'est un peu ce que l'on peut reprocher à ce premier album de Viji. Des chansons appelant pour la plupart à des lieux communs, avec les airs arty et novateurs d'il y a trente ans, sans idées neuves, sans prises de risque si ce n'est des déjà vues chez Sorry, beabadoobee, ou encore Lauren Hibberd, pour un résultat final incapable de se démarquer dans la masse de créativité actuellement à l'œuvre outre-Manche. Mais quand on connaît la capacité inattendue de certaines jeunes artistes à dépasser vitesse grand V leurs influences (je vous ai déjà parlé de beabadoobee aujourd'hui ?), gageons que rien n'est perdu, et que cette chronique assez vanille ne sera bientôt que partie remise !