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Actress

LXXXVIII

Actress - LXXXVIII
Chronique Album
Date de sortie : 03.11.2023
Label : Ninja Tune
4
Rédigé par Franck Narquin, le 3 novembre 2023
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Darren Jordan Cunningham se destinait à une prometteuse carrière de footballeur professionnel débutée au sein de l'équipe de West Bromwich Albion avant qu'une grave blessure n'y mette subitement fin. Oubliant ses rêves de Ballon d'Or, il opta pour une reconversion à la Djibril Cissé. "Je me suis procuré des platines et j'ai appris à faire le DJ, j'ai constitué une petite collection de disques et j'ai commencé à mixer dans des soirées étudiantes à Wolverhampton". Si ses modèles de jeunesses se nommaient Paul Gascoigne et Alan Shearer, ils furent vite remplacés par Derrick May et Kevin Saunderson suite à sa découverte déterminante de la techno de Détroit. S'offrant des synthétiseurs avec ses quelques économies de joueurs, Darren se lança dans une immersion totale dans la sub-culture dance londonienne et débuta la production et de DJing en pur autodidacte.

Se produisant sous le pseudonyme Actress, il fut tour à tour (ou plut concomitamment) organisateur de soirées, collaborateur de Damon Albarn, Mehdi Lacoste ou Pierre Debusschere, modèle pour des photographes tels que Wolfgang Tillmans et Lord Snowden ainsi que gérant de label avant que celui-ci ne soit rattaché en 2012 à Ninja Tune. Un pied dans l'underground électro et l'autre dans le monde de l'art contemporain, il a aussi bien joué au Sonar ou au Berghain qu'au Barbican Center ou à la Tate Modern. Bien que peu connu du grand public, Actress est loin d'être un débutant et sort avec LXXXVIII son neuvième album en quinze ans de carrière. Pour compléter son copieux CV on soulignera qu'il a également remixé des titres de Tirzah, Yve Tumor, Daniel Avery ou Kelis et sorti l'année dernière un single avec Kai Kampos de Mount Kimbie. En résumé, Actress est le DJ préféré de votre DJ préféré.

Avec ce nouvel opus, Actress reste fidèle à sa ligne de conduite, à savoir une musique élégante et inventive, arty et expérimentale, parfois déroutante, souvent séduisante mais toujours intéressante. Soyons honnêtes, si ce genre d'univers vous laisse habituellement de marbre, il y a peu de chance que vous soyez bouleversé ou transporté par ce disque assez exigeant. Si en revanche vous êtes de ceux qui pensent que la musique électronique a le droit de sortir des clubs pour s'aventurer dans « l'art et l'essai », qui frissonnent lorsqu'un track change subitement de direction et semble chercher sa propre forme, quitte à ne jamais la trouver, alors vous risquez de vous régaler avec cet album à la fois plus abordable et plus abouti que ses prédécesseurs.

Actress présente LXXXVIII comme une réflexion sur la théorie des jeux, chaque morceau prenant la forme d'un coup d'échec, accompagné de sa numérotation. Ainsi Push Power ( a 1 ), s'apparente à un premier coup d'un jeu d'échecs complexe et jette les bases de l'album à venir, tandis que Game Over ( e 1 ), bien que positionné à mi-album, n'en marque le dernier coup. On vous entend marmonner dans votre barbe, et on vous l'accorde, ça se la raconte un peu et ça frôle la pose auteuriste. Néanmoins, cette démarche demeure sincère car Actress est indéniablement un musicien intello et arty (ce ne sont pas des gros mots) qui a dédié sa carrière aux explorations sonores et aux expérimentations visant à produire et à penser la musique autrement. C'est sûr que de la part d'un ancien footballeur, il eut été plus attendu de le voir se lancer dans le reggaeton ou le pub-rock bien gras. Même s'il arrive parfois à nous perdre, on ne peut que saluer le travail et l'ambition du natif de Wolverhampton.

Avec ses beats techno percutants posés sur quelques fragiles notes de piano, le tout accompagné d'une voix masculine scandant tel un mantra « push power, all in violence », Push Power ( a 1 ) dévoile la stratégie d'Actress dans sa composition échiquéenne et annonce un album plus structuré et d'une forme plus classique qu'à l'accoutumée. Que les puristes et les fans de la première heure se rassurent, on reste loin de la compilation Mega-Hits-Dance 2023 et des compositions tels que Hit That Spdiff ( b 8 ), Green Blue Amnesia Magic Haze ( d 7 ) et Azifiziks ( d 8 ) assurent le quota de morceaux ambient ultra-minimalistes tandis que Azd again ( g 1), Memory Haze ( c 1 ) et Chill ( h 2 ) sont autant de séduisantes boucles faites de souffles résiduels, de glitchs, de charley, de nappes de synthés ou de beats métronomiques laissant un goût d'introductions inspirées mais sans suite ou de simples interludes à rallonge. A mi-album, on a beau rester légèrement dubitatif, le maître avance ses pions avec l'assurance de ceux qui ont un plan bien ficelé.

On comprendra après plusieurs écoutes que c'est justement l'alternance entre ces morceaux flirtant avec la musique expérimentale et des titres plus conventionnels qui fait toute la beauté de cet album. Game Over ( e 1 ) avec son electronica planante aux accents mystiques évoque les derniers travaux de Daniel Avery (et non pas d'Enigma comme tentent de m'en persuader certains persifleurs) tandis que Typewriter World ( c 8 ) s'apparente à une réinterprétation de techno made in Détroit dans une version déstructurée aux sonorités métalliques. On se dandine ensuite sur Oway ( f 7 ) et M2 ( f 8 ), morceaux downtempo entre house et electronica, tous deux accompagnés d'un doux piano et qui s'avèrent aussi étonnamment simples que tranquillement efficaces. Comme dans toute partie d'échec digne de ce nom, on attend le coup de maître. Celui-ci prend la forme d'Its me ( g 8), brillant collage de samples de soul au groove addictif avec un petit je ne sais quoi de french touch. Tandis qu'on s'attendait à une plage atmosphérique en guise de conclusion, Actress prend l'auditeur à contre-pied en terminant l'album par son titre le plus club, Pluto ( a 2 ), aux accents acides en forme d'hommage aux pionniers du genre.

Radical et inspiré, complexe sans être abscons, LXXXVIII marque un tournant dans l'œuvre d'Actress. On a beau jouir d'une liberté infinie dans le petit bain de la musique expérimentale et underground, certains perdent parfois pied une fois plongés dans le grand bain de la musique pour tous qui impose certaines règles et formes imposées. Avec cet album, Actress réussit ainsi brillamment sa transition de l'ombre à la lumière. Bienvenue dans l'Overground !
tracklisting
    01. Push Power ( a 1 )
  • 02. Hit That Spdiff ( b 8 )
  • 03. Azd Rain ( g 1 )
  • 04. Memory Haze ( c 1 )
  • 05. Game Over ( e 1 )
  • 06. Typewriter World ( c 8 )
  • 07. Its me ( g 8 )
  • 08. Chill ( h 2 )
  • 09. Green Blue Amnesia Magic Haze ( d 7 )
  • 10. Oway ( f 7 )
  • 11. M2 ( f 8 )
  • 12. Azifiziks ( d 8 )
  • 13. Pluto ( a 2 )
titres conseillés
    Push Power ( a 1 ) - Its me ( g 8 ) - Pluto ( a 2
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