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Peter Gabriel - i/o
Chronique Album
Date de sortie : 01.12.2023
Label : Peter Gabriel
4
Rédigé par Pierre-François Long, le 3 décembre 2023
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C'est enfoncer une porte ouverte que de l'écrire, mais il faut bien avouer que l'on n'attendait plus guère ce i/o. Certes, Peter Gabriel a, depuis plus de trente ans, un rythme de production discographique extrêmement lent. Six ans entre So et Us, dix ans entre Us et Up, mais là... Vingt-et-un ans se seront donc écoulés entre deux sorties d'albums de chansons inédites de Peter Gabriel. Certes, le bonhomme n'était pas resté inactif depuis 2002, avec notamment un disque de reprises orchestrales (Scratch My Back), un autre de relectures orchestrales de ses propres titres (New Blood) et le live correspondant à ce dernier (Live Blood), mais rien finalement de réellement nouveau à se mettre dans les oreilles. Il faut dire, à la décharge du musicien, que ce dernier a dû mettre pendant plusieurs années sa carrière entre parenthèses, son épouse ayant rencontré de très sérieux problèmes de santé.

Et voilà donc enfin ce fameux i/o, dévoilé de façon très curieuse, Peter Gabriel mettant en ligne depuis janvier un nouveau morceau à chaque pleine lune. Autant l'écrire tout de suite : une telle démarche ne rend pas vraiment service au disque en question, qui doit s'aborder comme un tout et non une simple collection de chansons enfilées les unes après les autres. Alors, que vaut cet album, auquel participe le trio de fidèles acolytes (Tony Levin, David Rhodes et Manu Katché) qui accompagnent l'anglais depuis près de quarante ans ? Mettons fin au suspense d'entrée : il est très bon. Il faut d'ailleurs noter la rare unanimité des critiques en la matière : on tient là à l'évidence une excellente production de Peter Gabriel. Certes, tout n'est pas parfait, mais il faut dire qu'en proposant soixante-neuf minutes de musique, l'ancien chanteur de Genesis s'expose fatalement à ce que certaines longueurs viennent parsemer l'écoute.

Deux titres apparaîssent ainsi en-dessous des autres en termes de qualité, et, ce n'est peut-être pas un hasard, il s'agit des deux les plus rythmés du disque, soit Road To Joy et Olive Tree. Certes, ils amènent un côté punchy à un album souvent assez contemplatif, mais ils sonnent extrêmement datés en termes de production. Road To Joy rappelle la pataude Kiss That Frog présente sur Us et, dans les deux cas, les cuivres ont un son très cheap et très 80's, mais pas dans le bon sens du terme (sur Olive Tree on a l'impression d'entendre les trompettes du You Can Call Me All de Paul Simon...).
Tout le reste de l'album est de grande qualité. Panopticom, en entrée, sonne comme un Best Of de Peter Gabriel à elle toute seule avant que The Court, qui télescope dans ses couplets Digging In The Dirt et The Barry Williams Show, ne vienne donner une leçon de production à à peu près tout le monde. A noter d'ailleurs la présence d'un orchestre sur pas moins de neuf titres de cet album (soit les trois quarts du tracklisting), réminiscence sans doute du travail de Gabriel sur ses disques « symphoniques ». Playing For Time est également magnifique, très Randy Newman dans l'esprit, avec un démarrage piano / voix, puis l'arrivée de violons et de contrebasse avant un refrain splendide.

i/o est le tube du disque, il sonne très Coldplay ou U2 (alors même que Brian Eno, qui joue sur plusieurs titres de l'album, est absent de celui-ci), mais comme si les deux groupes avaient retrouvé leur inspiration d'il y a vingt ans. Impossible de résister au refrain, évident sans être vulgaire. Du grand art. Le sommet du disque arrive derrière : Four Kinds Of Horses. Tout le talent de Gabriel se voit condensé en six minutes et quarante-sept secondes. Sur une trame mélodique simple, il tisse des arrangements incroyables, avec une nouvelle fois des cordes splendides, des paroles qui ne le sont pas moins, et deux dernières minutes qui partent dans une autre direction. On en redemande. A l'inverse, So Much sonne ultra dépouillée, mais c'est très beau quand même. Love Can Heal vient rappeler dans son intro l'amour de Peter Gabriel pour le continent africain, alors que This Is Home est efficace sans être non plus d'une grande originalité. Les deux derniers titres clôturent l'album en beauté, notamment Live And Let Live, note d'optimisme réaliste qui fait beaucoup de bien.

Un album, donc, à l'évidence, réussi, malgré un ou deux titres plus faibles que les autres. Un « grower » à l'évidence également, car une seule écoute est largement insuffisante pour intégrer tout ce que Peter Gabriel veut communiquer à son auditeur, et chaque écoute supplémentaire permet de découvrir de nouvelles choses au niveau des arrangements. A ce sujet, n'ayant (encore une fois...) pas réussi à choisir entre les deux mixes qu'il avait demandés, Peter Gabriel propose donc, dans l'édition standard de l'album... les deux mixes, soient le « bright side » et le « dark side ». Soyons honnêtes : il faut vraiment tendre l'oreille et écouter le disque dans des conditions optimales pour trouver des différences flagrantes (bien perceptibles sur Olive Tree toutefois), mais cela fait finalement partie de la démarche artistique de Peter Gabriel : à l'auditeur de faire ses choix...

Il y a peu de chances que vingt années s'écoulent de nouveau entre cet album et le prochain, mais si i/o devait être le dernier disque de Peter Gabriel, il constituerait une magnifique conclusion à sa carrière, et surtout un disque synthétisant tout le talent de cet artiste qui n'a toujours suivi que son instinct sans se préoccuper des modes et du qu'en-dira-t-on.
tracklisting
    01. Panopticom
  • 02. The Court
  • 03. Playing For Time
  • 04. i/o
  • 05. Four Kinds Of Horses
  • 06. Road To Joy
  • 07. So Much
  • 08. Olive Tree
  • 09. Love Can Heal
  • 10. This Is Home
  • 11. And Still
  • 12. Live And Let Live
titres conseillés
    The Court, i/o, Four Kinds Of Horses
notes des lecteurs
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