Ultrasonic Grand Prix

Amis fétichistes, amoureux des cordes bien tendues autant que des instruments de pur plaisir aux formes parfaites, de déflagrations orgasmiques et d'ongles affûtés, bienvenus. Cette chronique est pour vous. En deux briques, si je vous dis rock n' roll et fétichisme, vous me répondez du tac au tac : guitare. C'est gagné ! Les maracas de Bez, le tambourin de Liam, la batterie de Keith Moon ou la basse de Hooky, certes on adore ça, mais l'objet absolu de fascination de tous les fans de rock demeure (attention spoiler !) la guitare. Sans guitoune, râpe, gratte, plaque ou autre amoureuse, point de rock ! Les Telecaster de Keith Richards et Joe Strummer, la Stratocaster de Jimi Hendrix, jouée dans le dos, avec les dents ou bien même enflammée, la Les Paul de Pete Townshend, la Gibson ES 335 de Chuck Berry, la Fender Jag-Stang de Kurt Cobain, la Rickenbacker douze cordes de George Harrison, la Gibson Double-neck de Jimmy Page, l'Epiphone Sheraton Union Jack de Noel Gallagher, en voilà des armes de séduction massive dont on ne se lassera jamais. J'entends d'ailleurs quelques râles de plaisir derrière vos écrans à la simple évocation de cette courte liste d'instruments à cordes amplifiés.

Shawn Lee, producteur, multi-instrumentiste et heureux propriétaire d'une guitare Vox Grand Prix de 1967, et Barrie Cadogan, guitariste prodige, leader de Little Barrie et passionné du son vintage de la Vox Ultrasonic, collaborateurs et amis de longue date, parlaient depuis des années d'enregistrer un album ensemble. Mais les musiciens sont comme nous, entre un disque pour Lana Del Rey ou Amy Winehouse, l'enregistrement de la B.O de la série Better Call Saul, une tournée avec Paul Weller, aller chercher les gamins à l'école puis les accompagner au foot le weekend et les vacances chez la belle-mère, on ne voit pas le temps filer et les plans sur la comète demeurent à l'état de projet. C'était sans compter sur le complot mondial mené par les Illuminati qui permit à nos deux lascars de profiter de la période de confinement pour enfin travailler ensemble et fonder un groupe, logiquement nommé Ultrasonic Grand Prix.

Le 19 janvier 2024, soit près de quinze ans après la genèse du projet, sort enfin le premier album d'Ultrasonic Grand Prix, intitulé INSTAFUZZ. On craignait de devoir se coltiner un pur disque de zicos, à savoir un étalage stérile de compétences ou un concours du plus gros manche, voire un simple side-project entre potos, enregistré à la va-vite entre deux tournées de bière et quelques discussions de vieux combattants. On se trompait dans les grandes largeurs, tant cet opus, en forme de dictionnaire amoureux de la guitare retrace avec brio soixante-ans de contre-culture et brasse savoureusement rock psychédélique, northern soul, funk 70´s, acid house UK, surf rock, blues et collages hip-hop. Que les geeks se rassurent, riffs tranchants, solos débridés et maestria techniques gardent une place de choix au menu de cet album dense et intense.

Si les douze pistes d'Instafuzz sont purement instrumentales, elles sont ponctuées d'extraits d'une émission de radio des années 80 tantôt utilisés comme de simples introductions, tel le drôle et absurde "Can I get a witness or at least a glass of water" sur Triple Denim, tantôt comme de réelles plages vocales en rythme avec la musique comme sur le très hip-hop Right Left. La guitare prend parfois la forme de sample, ou d'hommage, à l'image du riff du même Right Left qui reprend le thème de Messe pour le temps présent de Pierre Henry. Qu'on se le dise, INSTAFUZZ est un disque aussi groovy qu'érudit. Plutôt que de jouer le guitar-hero, car les deux le sont et ont l'élégance de ne pas nous le rappeler toutes les quatre mesures, le duo préfère largement laisser parler le côté ludique voire humoristique qu'on retrouve dans les titres des morceaux, de Slippery When Chet, avec sa pédale wah wah estampillée Isle of Wight 1970, à A Guy Called Harold en clin d'œil au pionnier de l'acid house UK auteur du mythique Voodoo Ray.

INSTAFUZZ, jubilatoire album retro-futuriste, ravira autant les apprentis guitaristes, qui pourront y piocher sans fin d'innombrables riffs, hooks et autres patterns, que les gérants de magasins de vêtements vintage, qui y trouveront une bande son idéale pour doper les soldes d'hiver, ainsi que toutes les oreilles curieuses qui à la hype du jour préfèrent se replonger dans les meilleurs sons de toujours.