Sam Abbo

L’année 2006 déclamait haut et fort « Who The Fuck Are Arctic Monkeys ? », et comme on n'en fait jamais trop ici quand les choses concernent de près ou de loin Opus Kink, l’année 2024 sera celle qui nous fera écrire partout sur les murs : « What The Fuck Is Hideous Mink Records !? ». Label indé créé en 2019 par les membres d’Opus Kink pour assurer la sortie de leur deux premiers singles, Mosquito et Faster Than The Radio, le vison hideux s’occupera rapidement plus d’autres groupes comme Fake Turins, Strange Neighbours, ou encore Black Bordello, Opus Kink ayant rapidement signé post-COVID-19 chez nos grands copains de Nice Swan Records, avant de revenir aux affaires en l’an de gloire deux-zéro-deux-quatre.

Le single I Wanna Live With You du groupe en mai, le premier EP d’Alien Chicks, Indulging The Mobs, en juillet, et naturellement le premier album de Sam Abbo le mois suivant, sobrement intitulé Add To The Noise. En lecteur avisé de ce très pertinent webzine qu’est Sound Of Violence, c’est à ce moment que vous commencez naturellement à me demander : mais who the fuck is Sam Abbo !? Et ok, on ne vous en voudra pas (trop) de ne pas savoir comment s’appelle le bassiste d’Opus Kink (même si vous auriez pu faire un effort), alors juste pour vous, petite session de rattrapage !
Sam Abbo, c’est un multi-instrumentiste des instruments à cordes basé à Brighton, qui donne des cours pour 20£ de l’heure dans cette même ville, et dont le frère Fin joue de la batterie chez Opus Kink. Mais Sam Abbo, c’est surtout un talentueux musicien versé dans les années lointaines, un point de confluence entre la musique traditionnelle de l’Angleterre Victorienne et la pop-folk british des années 60 et 70, un mec probablement né des années trop tard, quand le poste de pianiste-troubadour dans les romans de Charles Dickens n’est plus disponible chez France Travail.

Alors plutôt qu’en parler des heures, mettez le son, et imaginez-vous... Il neige au-dehors, dans les étroites lanes en briques du centre de Brighton. Les vitres du bar ne laissent deviner le blizzard qu’à travers la condensation du verre d’un côté et le gel de l’autre. De la glace, posée dans un verre, posé sur un livre, posé sur un piano. Dans le verre il y a du whisky, sur le livre à la couverture verte passée est calligraphié en lettres de bronze Les Fleurs du Mal. Assis au piano il y a Sam, et derrière lui tous dans le bar chantent, ils chantent Burn It To The Ground, pendant qu’un petiot au visage plein de charbon souffle dans sa trompette, et que la bête tapie dans l’ombre danse sa gigue le fiddle à l’épaule. C’est un peu ça Sam Abbo, l’image de cet homme, assis avec sa guitare, regardant passer les saisons à travers les vitres sales de la devanture du pub, réunissant autour de lui la vie, la joie, la peine, et tous les personnages d’Oliver Twist. Car Add To The Noise est un album partageur : s’il était français il viendrait du sud-ouest et il jouerait au rugby, c'est un album qui laisse tout le monde jouer et chanter avec lui, des chœurs à la Hey Jude dans tous les sens, des embardées au piano, un fiddle fou, et des cuivres en veux-tu en voilà, culminant sur un Dig It Up fantastique de convivialité honky-tonky et de gens natures à la biscotte bien beurrée.

Quelques pépites plus introspectives comme Maria Do As You Please, Cast It Away, et l’entraînante At Least I Don’t Feel Nothing complètent le tableau d’un album à l’imaginaire riche et rythmé, auquel on ne reprochera que quelques coups de mou et un léger manque de folie et d’ambition, n’entachant en rien tout le talent que l’on prête à Sam Abbo et à ses potes. Ainsi, Add To The Noise ajoute plus que du bruit à l’héritage du folk anglais, il ouvre un pont entre John Lennon et les cireurs de chaussures, entre Elton John et les mineurs de fond, recousant les musiques populaires entre elles pour en sortir une nouvelle version, de celle qui met de l’absinthe dans son Ricard et du fish and chips dans sa poche de veste.