Imaginez une longue soirée d'ennui dans un appartement londonien, une coloc forcément, étant donné les prix des loyers. L'un des colocataires, Max Doohan, a joué dans Another Sky, groupe qui ayant déjà sorti deux albums. Un bon début, mais pas suffisant pour assurer une carrière confortable. Dans l'appart vivent aussi Sam, et surtout Iiris, venue d'Estonie. Il est tard, ils s'ennuient. Peut-être un reste de confinement, et parce qu'il y a mille fois mieux à faire que de scroller indéfiniment pour choisir une série, une idée lancée à la volée en entraîne une autre : on sort les instruments, ou on lance GarageBand.
Ça démarre par un jam tranquille : un rythme, puis deux, une boucle électronique, quelques notes de synthés éthérées, et la voix qui s'amuse. Ce qui n'était qu'un jeu se transforme vite en répétitions inspirées. Ainsi naissent Night Tapes. L'ambiance est posée, un peu cotonneuse, comme une nuit qui s'étire. Leurs chansons, discrètes, glissent sans faire de vagues, à l'image de leurs titres toujours écrits en minuscules.
Le problème, c'est qu'ils retranscrivent un peu trop bien cette torpeur : la musique manque d'élan. Le chant est entraînant, on perçoit des détails organiques (chants d'oiseaux, réverb...), mais la production est inexistante et le son trop préformaté pour dépasser l'image de trois personnes réunies autour d'un laptop avec des références plein la tête. A travers portals//polarities on entend les références de la musique électronique du tournant des années 80's-90's comme une poignée de bonbons ultra sucrés et régressifs à l'image de Alison Goldfrapp et Róisín Murphy (swordsman), ou la pop faussement non nonchalante de Everything But The Girl (patience).
Quelques morceaux surnagent malgré tout, comme pacifico, qui nous emporte dans une soirée estivale, intime, où l'on peut danser tranquillement et se laisser porter sans avoir à crier par-dessus un cocktail. Mais la formule s'use vite : deux titres plus loin, masterplan sonne comme une minauderie bon marché, avec ses boucles interminables et ses nappes de synthés sans surprise. Et puis il y a helix planquée en neuvième position avec un riff de guitares shoegaze, un beat lent mais sûr de lui, des notes de synthés 80s, la voix qui se répond à elle-même et qui nous fait sortir de notre léthargie.
C'est bien la preuve que Night Tapes sont aussi capables du meilleur. Un collègue qui les a vus sur scène m'a d'ailleurs dit qu'ils avaient été très convaincants. Pourquoi pas ?