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Sydney Minsky Sargeant

Paris, Silencio - 4 novembre 2025

Live-report par Jérémi Desplas

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Cinq ans déjà que le Pitchfork Music Festival a quitté le cadre de la Grande Halle de la Villette et avec elle les têtes d'affiche alléchantes pour un éclatement façon puzzle dans plusieurs salles et avec des non-têtes d'affiches (des pieds d'affiche ? Un nom plus flatteur reste à trouver...) qui ont tout de même un véritable intérêt. En tout cas, que ce soient défricheurs, connaisseurs ou simples curieux, la « branchouille à la Pitchfork » reste bien présente pour l'événement, bien que le site à la fourche ait perdu de sa splendeur passée.

Oui, la scène new-yorkaise du troisième millénaire autour de laquelle sa réputation prescriptive est désormais exilée ou en perte de vitesse, la rédaction de Pitchfork a perdu des contributeurs historiques et pris des partis artistiques douteux, pourtant la volonté de mettre en avant les nouveaux talents fait perdurer la légitimité de la marque, et avec elle une diversité vestimentaire caractéristique. Pour cette soirée, le cadre fait autant partie du spectacle que les concerts, puisque c'est le Silencio, décoré sur le modèle du club légendaire du même nom du plus grand film du 21ème siècle voire de tous les temps (Mulholland Drive, s'il faut préciser...) qui nous accueille (un grand mot peut-être, votre reporter dévoué ayant failli rester bloqué à l'entrée). Effets de lumières rouges, photos vaporeuses, tout ici donne l'impression d'être dans un épisode de Twin Peaks, y compris la musique naturellement (enfin, sauf les morceaux de Pink Floyd et des Beatles entre les sets, mais ce n'est pas le sujet).


C'est Kellan Christopher Cragg qui ouvre les hostilités : à peine majeur, le natif de Minneapolis a déjà sorti un album et se présente ce soir en configuration piano-voix ultra-minimaliste. En laissant de l'espace entre les notes, il parvient à bien faire ressortir la construction narrative des chansons. Réflexion, nostalgie et lamentations sont au cœur de cette performance plus diverse émotionnellement qu'elle n'en a l'air, mais empreinte d'une grande gravité et tellement homogène musicalement qu'elle en devient assez intimidante. La tension silencieuse dans le public est très perceptible au fur et à mesure que les tourments de l'artiste sont mis à nu, jusqu'à une grande montée en tension sur la fin du set. Avec une voix semblable à celle d'Aidan Knight, on a tendance à dire que le minimalisme était davantage un apport d'ambiance qu'un manque de consistance. A retenir et peut-être écouter plus longuement.


Le deuxième set est celui de Haley Heynderickx, pour son premier concert à Paris avec seulement une guitare classique. Visiblement très attendue par la fraction états-unienne du public (qui partira avant le concert de Sydney Minsky Sargeant, ce qui est facilement qualifiable de révoltant), la chanteuse délivre ses compositions sans artifice, pour en faire ressortir la quintessence même. L'approche des textes s'appuie sur des événements des plus communs tel le nettoyage de sa chambre pour en développer tout en poésie la densité émotionnelle de la situation. En même temps que l'éclairage change et que le public est tellement attentif qu'on entend même les bruits de chute des verres, de nouvelles chansons plus dynamiques sont jouées. Allié à une grande créativité des plans de guitare, le concert coche toutes les cases.


Malgré tout, c'est bien Sydney Minsky Sargeant que l'on attend le plus. Le frontman de Working's Men Club ayant sorti un grand album où la guitare prend cette fois le pas sur les éléments électroniques (qui demeurent essentiels), on se demande comment recréer cette construction subtile et complexe en live. Dès Intro, un ordinateur envoie les bidouillages tandis qu'une pédale de boucles permet d'empiler les couches de guitare. Et ça fonctionne parfaitement : avec concentration et précision, un paysage bluffant est aussi bien recréé que sur l'album sur For Your Hand, puis sur Lisboa, profondément méditatif. Toutes les chansons sont très introspectives mais, paradoxalement, s'adressent directement à nous. Comme son nom l'indique, Long Road donne l'impression d'une longue marche en quête de soi-même, pas évidente mais teintée d'optimisme, dont I Don't Wanna est la continuité et l'acmé, et A Million Flowers l'arrivée. Des chansons construites à partir de peu mais qui mettent en place un paysage sonore extrêmement riche et cohérent en clin d'œil, pour s'y lover et ne plus en sortir.

Il faudra néanmoins en sortir trop vite, le concert étant bien trop court pour être à la hauteur de l'immense qualité des chansons de Sydney Minsky Sargeant, mais qui suffit néanmoins à prouver de nouveau, si besoin était, que Lunga est un album sur lequel il faudra compter en fin d'année.
setlist
    Intro
    For Your Hand
    Lisboa
    Long Road
    I Don't Wanna
    A Million Flowers
    Hazel Eyes
    Outro
photos du concert
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