Chronique Album
Date de sortie : 03.10.2025
Label : Alcopop! Records
Rédigé par
Adonis Didier, le 2 octobre 2025
Qu'est-ce que le post-punk en 2025 ? Vous avez quatre heures, un papier un crayon, et pas le droit de tricher sur le voisin. Une tâche ardue voire impossible pour laquelle PROJECTOR ont eu un an et demi, une guitare, une basse, une batterie, et le droit de copier un tout petit peu sur le voisin.
Faire partie d'une vague musicale qui s'essouffle avant que vous ayez percé, une petite galère qui n'offre en général que deux solutions : jouer les derniers des Mohicans et y croire coûte que coûte, miser sur les quelques fans qui n'en ont pas encore eu assez et tenir assez longtemps pour que le has-been devienne vintage, ou alors évoluer. Tenter des trucs, brouiller les cartes, mettre de l'ananas dans la quiche lorraine, et à la fin voir ce qui se mange et ce qui sera interdit par la convention sur les armes bactériologiques (spoiler : la quiche lorraine à l'ananas). Le truc, c'est qu'en général les gens font ça en amont, prennent une direction, et voient si au bout d'une dizaine de chansons il y a un mur ou une avenue.
Mais pas de ça chez PROJECTOR, le brainstorming sera public, collectif et titré Contempt, deuxième album de Lucy, Edward et Callum, trio punk officiant comme la moitié de la nouvelle vague anglaise à Brighton. On avait conclu la chronique du premier album par « PROJECTOR devraient arrêter de faire du post-punk », une consigne qui a plus ou moins été respectée, et si on n'est plus assez sûr de ce que fait le groupe à l'heure actuelle pour appeler ça du post-punk, clairement eux non plus. L'album tâtonne, frôle des murs connus, The Sham! The Sham! The Sham! ressemble à du Yard Act dans une aciérie, Collision reprend des formes de type Hotel Lux en ajoutant le garage bordélique de The Bug Club et la double-voix de Lucy Sheeran et Edward Ensbury, avant qu'enfin It Surely Has Been Hell ne nous mette du punk dansant et industriel dans la gueule. Migraine enchaîne sans s'arrêter en gare, son énorme refrain arrache les sièges du TGV, le pont de la mélancolie relie les deux rives de ce rock alternatif sauvage, Phantom Limb tente de sombrer dans les ténèbres pour retrouver son ancêtre Joy Division, avant qu'arrive la très très belle surprise de ce deuxième album.
O Well, la ballade dream rock de PROJECTOR, un truc auquel on s'attendait autant qu'à trouver Yellow Submarine au milieu de Revolver, un paysage de givre blanc qui défile devant la vitre et emporte l'esprit dans une aquarelle de couleurs froides, une mélancolie impressionniste qui trace des cœurs dans la buée et sur la bande sonore. Et comme tous les matins à sept heures du matin, le réveil. S.O.M.O.D met vingt pourcents de post et quatre-vingt-dix-neuf pourcents de punk dans son café, un tabassage en règle des oreilles poursuivi au rouleau-compresseur par Hope Springs Eternal, duo de grosses chansons punk qui fait du bien au groupe et à nos oreilles. Moins réfléchir et lâcher les chevaux, voilà qui ferait du bien à PROJECTOR (et puis faire plus souvent chanter Lucy Sheeran, mais ça on l'avait déjà dit). En témoigne le magnifique refrain pop-Pixies de It's True, la bastonnade fuzzy Happy To Be Here, et surtout la deuxième chanson la plus inattendue de tout l'album : Who Loves You, Baby.
PROJECTOR qui font maintenant du shoegaze et du vrai bon shoegaze, le programme politique est plus flou que la NUPES mais parfois ce sont aussi les intentions qui comptent, alors soutenons un groupe qui le mérite mais qui galère encore avec son identité, et puis est-ce qu'on ne galère pas un peu tous avec notre identité ? Ainsi, Contempt est une collection de bonnes et très bonnes chansons mais un assemblage encore instable d'idées jetées dans tous les sens, une sorte de brouillon de l'album parfait de PROJECTOR, un disque qui existera ou non un jour et qu'on ne peut qu'espérer très fort en croisant les doigts. Mais puisqu'on est monté dans le bus plus ou moins volontairement, autant y rester et faire confiance à Lucy, Edward, et Callum pour revenir toujours plus fort et nous donner cet album qui nous tente tant, cet album qui nous manque tant, débloqué, pas trop timide, et une bonne dose de savoir-faire.