Richard Ashcroft

Double lauréat du prix Ivor Novello, Richard Ashcroft demeure une figure incontournable de la scène britannique et un nom indissociable de l'héritage de The Verve et de morceaux devenus classiques. Pourtant, plus grand monde ne se soucie vraiment de sa carrière solo, si ce n'est un noyau de fans figés à l'ère Urban Hymns (1997), prêts à défendre aveuglément chaque nouvelle sortie.

Il faut dire qu'entre des albums inégaux, souvent accueillis avec tiédeur, et des déclarations publiques qui lui ont valu plus de moqueries que d'admiration, Richard Ashcroft lui-même n'a pas toujours aidé sa cause. Sept ans après Natural Rebel (2018), il revient avec Lovin' You, co-produit avec son fidèle complice Chris Potter et Emre Ramazanoglu (Noel Gallagher, Jarvis Cocker). Alors qu'il assure les premières parties d'Oasis dans les stades britanniques, ce nouvel opus ressemble davantage à un prétexte qu'à un véritable retour inspiré.

Dès Lover, le ton est donné. Construit autour d'un sample de Love and Affection de Joan Armatrading, validé par l'artiste elle-même, le morceau reste figé dans une interprétation sans relief. Quelques cordes et guitares rappellent les textures et ambiances caractéristiques de Richard Ashcroft, mais tout est rapidement noyé dans un mixage confus. Et quand ce dernier s'aventure dans des passages rappés ou des touches électro censées moderniser l'ensemble, le résultat sonne artificiel, presque parodique. Plus loin, le single éponyme Lovin' You recycle le célèbre riff de Classical Gas de Mason Williams. L'approbation enthousiaste de ce dernier ne change rien : l'arrangement tourne court et se perd dans une surenchère sonore où s'entrechoquent chœurs criards, percussions hip-hop et boucles électroniques interminables. Ce n'est pas un hommage inspiré, mais un chaos sonore mal maîtrisé. Et si Lover ou Lovin' You n'ont pas eu vos faveurs, mieux vaut ne pas s'infliger I'm a Rebel, presque prophétique tant il condense tout ce que l'album a de mauvais goût, entre synthétiseurs criards et interprétation suraiguë.

Côté paroles, Richard Ashcroft s'en tient à un registre émotionnellement direct : nommer l'amour, le regarder de front, sans fioritures. Malheureusement, cette franchise basique affaiblit l'effet et révèle un problème structurel plus profond : la faiblesse de son écriture. Entre soupirs pour des amantes indéfinies et comparaisons convenues, il ne livre que clichés. Même les titres semblent créés aléatoirement dans un générateur de platitudes (Out Of The Blues, Find Another Reason, Fly To The Sun). Difficile d'imaginer que le même homme ait écrit Life's An Ocean, History ou Bitter Sweet Symphony. Il subsiste toutefois quelques instants de sincérité, lorsque la production se fait plus épurée. Sur Oh L'Amour, Live With Hope ou Crimson Fire, sa voix retrouve l'espace qu'elle mérite, rappelant à quel point elle reste l'un de ses atouts majeurs. Mais ces respirations ne suffisent pas à sauver un ensemble fragmenté et inégal. On sent que l'anglais tâtonne : rester fidèle à sa guitare ou s'aventurer dans des textures modernes ? En cherchant à tout concilier, il aboutit à un album imprévisible - mais pas dans le bon sens. Plutôt une incohérence constante, comme sur Heavy News, qui ressemble à une démo égarée de l'album Forth (2008). Rien d'étonnant quand on se rappelle que Baby, sur Natural Rebel, provenait déjà de chutes d'un disque des Verve.

Si, dans le clip de Bitter Sweet Symphony, Richard Ashcroft avançait droit devant, imperturbable face aux passants et aux obstacles, Lovin' You donne l'impression inverse : un disque qui hésite, bifurque, recule. Ballades acoustiques, hymnes indie rock, touches d'americana, tentatives soul et électro glitchy : sur le papier, la diversité promet. Dans la pratique, elle se traduit par un manque criant d'unité et d'impact. Même les titres au potentiel honnête manquent de l'élan, de l'emphase qu'apportaient autrefois les musiciens de The Verve. Finalement, Lovin' You tient moins du retour triomphal que de l'auto-parodie douce-amère. Richard Ashcroft, pionnier du britrock et même du shoegaze alternatif, apparaît ici prisonnier de son héritage, incapable de se réinventer ou même de se hisser à la hauteur de son propre passé. La démonstration en avait déjà été faite avec Acoustic Hymns, Vol. 1, où il reprenait ses anciens tubes en les modifiant très légèrement, parfois de façon presque imperceptible, rarement de manière vraiment inspirée.

Sa carrière solo semble désormais alimentée plus par son aura d'antan et ses setlists recyclées que par une véritable dynamique artistique. Lovin' You n'offre ni la grandeur attendue par les anciens, ni la fraîcheur capable de séduire les nouveaux.