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Interview : François Missonnier présente Rock en Seine 2012

Dossier réalisé par Fab le 13 juillet 2012

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Depuis désormais dix ans, le festival Rock en Seine installé dans le Domaine National de Saint-Cloud près de Paris rythme la fin de la période estivale pour tout bon amateur de musiques actuelles. Évolution de l’événement au fil des années, coups de cœur et déceptions, promesses et surprises d'une édition 2012 savamment orchestrée : rencontre avec François Missonnier, directeur du festival francilien.

Pour commencer, pouvez-nous nous expliquer en quoi consiste le métier de directeur d’un festival comme Rock en Seine ?

Dans un premier temps, cela commence par le fait d’avoir un programme artistique à défendre, tout part de là. En l’occurrence quels artistes faire découvrir au public. Partant de là, il existe tous les aspects liés à l’artistique et à la programmation, mais aussi, dans le cadre d’un festival en plein air, choisir comment organiser un lieu, le Domaine National de Saint-Cloud, pour en faire un écrin pouvant accueillir chaque jour près de trente-cinq mille personnes. Faire de cette « ville », durant trois jours, un lieu agréable à vivre, drôle et pratique. Tous les ans, il faut donc faire le bilan de ce qui a bien marché ou non et faire évoluer l’organisation du festival dans le bon sens pour les festivaliers.

Et concernant la programmation ?

Il faut être capable de constituer une joyeuse alchimie en fonction de nos goûts, trouver des têtes d’affiches, des artistes parfois moins connus, du rock mais pas seulement. Trouver un équilibre entre les découvertes, les artistes français, ceux venant d’autres pays... C’est une série d’équilibres auxquels nous réfléchissons avant de confronter nos avis avec les disponibilités des artistes.

Cette édition 2012 de Rock en Seine est la dixième du nom, quels événements particuliers avez-vous préparé pour le public ?

Nous avions envie d’ajouter quelques bonus pour fêter cet anniversaire. Il y a d’abord le concert que Get Well Soon donneront avec l’Orchestre National d'Île de France. Je pense aussi à la création avec dix artistes ayant joué ces dernières années lors de l’Avant Seine le dimanche ainsi qu’à la sortie d’un livre sur l’histoire du festival avec beaucoup d’images et des textes de Christophe Basterra. Nous proposerons également une exposition très particulière, avec des projections de photographies du public de Rock en Seine sur des monuments parisiens, qui s’annonce monumentale. A côté de tout cela, Jean-Charles de Castelbajac a créé un emblème pour cette édition 2012, lequel sera utilisé pour illustrer des drapeaux ainsi que les t-shirts du festival. Il y a aura bien d’autres surprises et beaucoup d’animations estampillées « fête foraine » à l’image de l’affiche de cette année.

Vous proposez pour la quatrième année de rang le projet Rock’Art avec une affiche associée à chacun des artistes programmés. C’est un projet qui s’inscrit dans la durée ?

Je suis très fan du travail des illustrateurs, des bandes dessinées ou des affiches, et je suis souvent énervé par tous les flyers ou affiches de concerts calqués sur les mêmes modèles. La première fois, nous avions voulu marquer le coup en demandant à différents artistes de créer une affiche pour un groupe donné, le tout en l’espace d’environ trois semaines. J’ai contacté chaque illustrateur et j’ai été surpris par les retours de ces personnes, souvent très fans de rock ! Les affiches sont donc exposées pendant le festival, mais il existe aussi un point peu connu du public : lorsque les artistes arrivent dans leur loge le jour de leur concert, ils découvrent pour la première fois l’affiche sous la forme d’un poster. Il existe beaucoup d’anecdotes sur ces illustrateurs : Mike Patton de Faith No More avait adoré le résultat et demandé à le rencontrer, The Offspring avaient fait monter le leur sur scène tandis qu’Archive ont récemment eu des discussions dans l’optique qu’il crée la pochette de leur nouvel album. Six mois après Rock en Seine, j’avais même reçu un message de Karen O de Yeah Yeah Yeahs me demandant de lui envoyer une nouvelle affiche ! Certains sont surpris ou choqués, voire détestent le résultat, mais la plupart sont très satisfaits. Ce qui n’était au départ qu’une idée ponctuelle est devenu une habitude tous les ans.

Vous aviez déjà proposé un concert d’Archive avec un orchestre l’année passée, comment est venue l’idée d’en faire de même avec Get Well Soon ?

L’an dernier, le projet avait été monté par Archive. C’était donc une envie du groupe à la base. L’idée me trottait malgré tout dans la tête depuis deux ans, je voulais en quelque sorte symboliser la relation très forte entre le festival et la Région Ile de France qui est un partenaire financier et culturel historique de Rock en Seine. J’avais donc pour projet de travailler d’une manière ou d’une autre avec l’Orchestre National d’Ile de France qui compte quatre-vingt-quinze musiciens et officie auprès de publics très différents tout au long de l’année. J’ai donc rencontré sa directrice pour évoquer cette possibilité et j’espère que ce premier essai avec Get Well Soon va marquer le début d’une collaboration récurrente. Concernant le choix du groupe, nous avons donc étudié notre programmation pour choisir un artiste et le nom de Get Well Soon est rapidement apparu comme une évidence compte-tenu de la dimension orchestrale de leur musique.

Votre seconde création originale est l’Avant Seine All Stars qui rassemblera donc dix formations françaises passées par Rock en Seine ces dernières années. Pouvez-vous nous en dire plus sur la naissance du projet ?

C’est une idée un peu folle qui m’est venue au cours d’une réflexion autour du nombre dix. A la base, l’Avant Seine est un projet qui me tient beaucoup à cœur et qui nous occupe beaucoup durant l’année. Il faut être curieux et aller voir des groupes dans les petites salles de la région parisienne. Je suis accompagné pour ce projet par Frédéric Péguillan, rédacteur en chef de Télérama, Pascal Stirn, directeur et programmateur de l’EMB à Sannois, ainsi que Matthieu Tessier, éditeur chez Warner Chappell. Nous écumons les salles et festivals pour découvrir les groupes émergents. Je cherchais à rendre hommage à ce projet pour fêter ce dixième anniversaire, et l’idée m’est donc venue de marier en quelque sorte ces jeunes groupes avec les artistes internationaux. Leur demander de reprendre des tubes d’artistes reconnus, cela résume en quelque sorte l’histoire de Rock en Seine. Nous avons constitué une liste d’une quarantaine de chansons que nous avons transmise aux groupes et chacun a ensuite fait son choix. Qu’un groupe comme Birdy Hunt souhaite reprendre Hey Ya d’Outkast, c’est à la fois improbable et fantastique. Quand je vois que Cheveu va jouer One More Time de Daft Punk, on ne peut qu’être impatient d’entendre le résultat. A mon sens, l’esprit des reprises consiste à aller le plus loin possible par rapport à l’original.

Comment ces concerts vont-ils s’agencer ?

Mes équipes et le régisseur artistique m’ont un peu maudit quand je leur ai expliqué le concept. Faire se succéder sur une scène dix groupes pour dix chansons... Ce sera un véritable spectacle, animé par Airnadette pendant soixante à soixante-quinze minutes le dimanche en fin de journée sur la scène Pression Live.

L’ajout de cette fameuse scène Pression Live avait été l’une des principales évolutions de l’édition 2011 du festival. Envisagez-vous déjà d’autres changements de ce type à l’avenir ?

Dans l’état actuel des choses, la configuration du site ne nous permet pas d’ajouter une cinquième scène. Nous allons conserver ce même format pour au moins deux ans, et par la suite nous verrons ce qu’il advient. A moyen ou long terme, si nous voulons étendre le festival, il faudra sans doute monter dans les hauteurs du parc, mais cela implique de nouvelles problématiques organisationnelles.

On a beaucoup évoqué cette année les possibles venues de The Cure, The Stone Roses ou At The Drive-In pour cette édition 2012, sans succès malheureusement. Pour quelles raisons n’ont-ils pas pu être signés ?

Nous avons essayé d’avoir ces trois groupes effectivement. La venue de The Cure était un scénario très sérieux dont nous avons commencé à parler à l’automne dernier. Le montage de leur tournée a compliqué les choses lorsque le groupe a décidé de jouer à Reading et Leeds le même week-end, ce qui n’était pas prévu au départ. Robert Smith ne souhaitant pas jouer trois soirs de suite, l’option est donc tombée à l'eau. La confirmation de la présence du groupe aux Eurockéennes et aux Vieilles Charrues a atténué la déception. Concernant les Stone Roses, les vœux du groupe de jouer des concerts en tête d’affiche cet été ne correspondaient pas complètement à nos besoins et nos possibilités, quant à At The Drive-In, leur agenda compliquait leur venue du fait de leur présence eux-aussi à Reading et Leeds et nous ne sommes pas prêts à dépenser des sommes inconsidérées pour les faire changer d’avis.

Les cachets demandés par les groupes sont en hausse ces dernières années alors que les subventions diminuent, dans quelle mesure cela rend-il votre tâche plus difficile ?

Il est certain que les choses seraient plus simples avec plus d’argent mais j’estime que nous ne sommes pas à plaindre du point de vue des subventions. La Région Ile de France et le Conseil Général des Hauts de Seine nous apportent entre quinze et vingt pour cent du budget du festival, ensuite c’est à nous d’effectuer un certain travail par rapport aux sponsors qui nous permettent de disposer de moyens pour faire venir des groupes et aménager le site. Malgré tout, la pression reste forte et nous sommes tenus de réunir environ 100 000 personnes durant le week-end pour équilibrer notre budget et rentrer dans nos frais. Il faut parfois savoir renoncer à des groupes qui nous font rêver à cause de cachets trop importants.

Beaucoup de festivals misent en conséquence sur les exclusivités pour tirer leur épingle du jeu. Est-ce une nécessité de nos jours ?

Ça l’est pour tous les festivals. Il faut se démarquer et proposer des exclusivités pour attirer le public, d’autant plus à Rock en Seine du fait que la majorité des groupes jouent à Paris tout au long de l’année. Jack White est par exemple programmé aux Eurockéennes de Belfort mais donne aussi deux concerts à Paris en parallèle. Nous sommes confrontés en permanence à la concurrence de Paris, il nous faut donc des exclusivités. La seconde raison expliquant ce besoin d’exclusivités à Rock en Seine réside en la date du festival à la fin du mois d’août : nous arrivons après tout le monde ! Si un groupe comme The Cure donne trois concerts en France durant l’été, ce sera toujours plus un événement au mois de juin ou en juillet qu’à la fin du mois d’août. Nous sommes donc tenus de présenter des artistes que personne n’a encore vu en France cet été afin que le public soit excité par le festival.

Pour en revenir à la programmation de cette édition 2012, quels sont vos principaux coups de cœur ?

Tout d’abord The Bots, un jeune duo de New York constitué de deux frères jouant du punk. Je suis dingue de leur musique depuis que j’ai vu des vidéos live ainsi que le vidéo clip de leur dernier single. Ce sont des gamins de quatorze et dix-sept ans, managés par leur mère, mais ils ont été choisis personnellement par Blur pour assurer leurs premières parties en Angleterre au mois d’août. Je pense aussi à Grimes, une artistes canadienne, qui propose des shows complètement dingues. Du côté des Avant Seine, je suis très content de la sélection de cette année, avec notamment Owlle et Granville, deux artistes amenés à faire parler d’eux dans les mois à années à venir. Je suis aussi très impatient de voir Grandaddy. Je pensais ne plus jamais les voir jouer ensemble et ils seront à Rock en Seine cette année. Je pourrais facilement placer deux de leurs disques parmi mes préférés de la décennie passée. C’est un grand bonheur de les avoir en exclusivité française chez nous.

Parmi les concerts importants du festival, la venue de Noel Gallagher doit revêtir une importance particulière pour vous ? C’est une sorte de revanche ?

Ce sera un grand moment d’émotion. J’ai hâte de l’accueillir pour ce qui s’annonce comme un moment très spécial. Noel Gallagher semble plutôt détendu par rapport à toute cette affaire mais son retour sur les lieux de la séparation va nécessairement remuer certaines choses. Je suis curieux de savoir quel discours il tiendra sur scène face au public.

Rock en Seine garde aujourd’hui encore la réputation d’un festival souvent touché par les annulations, notamment par rapport à Oasis et Amy Winehouse...

Ce sont les deux plus importants mais je pense que tous les festivals sont touchés par ce genre de problème, cela fait partie du jeu. Avec plus de soixante groupes à l’affiche, entre le moment où la venue de chacun est signée et le festival en lui-même, les annulations sont presque obligatoires. Tout dépend de la gravité de chacune, et c’est ce point qui a fait l’originalité de Rock en Seine. Deux années de suite, nous avons perdu une tête d’affiche quelques heures seulement avant la montée sur scène !

Sur ces dix dernières années, vous avez connu beaucoup de sentiments différents, quels sont vos meilleurs souvenirs ?

Le premier, c’est la toute première ouverture du festival après deux années de travail. Je pense aussi au concert de Radiohead que nous ne pensions jamais pouvoir faire venir un jour, celui de Them Crooked Vultures également, présentés comme Les Petits Pois. Les gens très branchés sur Internet savaient à l’époque qui se cachait derrière ce nom mais le reste du public n’en n’avait aucune idée ! C’était un pur moment de jouissance rock.

Et les pires ?

Les deux annulations successives d’Amy Winehouse et Oasis constituent mes deux pires souvenirs. Nous avons aussi vécu une année très difficile en 2007 pour notre cinquième édition, la première sur trois jours, avec notamment Arcade Fire ou Björk. Les ventes de billets avaient été difficiles et le montage, durant trois semaines, s’était déroulé sous une pluie constante. A trois heures de l’ouverture le vendredi matin, lorsque la commission de sécurité est venue faire son inspection, il pleuvait des trombes d’eau. Nous ne nous entendions même plus parler sous la tente du catering. La météo fait partie du jeu, il faut faire avec, mais c’était un grand moment de déprime. Mais globalement, je pense que l’histoire de Rock en Seine est plus remplie de bons souvenirs que de mauvais.

Êtes-vous satisfaits des chiffres de la billetterie de cette édition jusqu’à maintenant ?

Tout se passe bien, nous sommes partis sur les mêmes tendances que l’année passée. Les ventes ont démarré très fort avant un petit coup de mou, peut-être lié au contexte des élections présidentielles, mais depuis tout est revenu dans l’ordre. Les forfaits seront sans doute épuisés à la fin du mois de juillet.

Rock en Seine a pour réputation de ne programmer que peu d’artistes français, par exemple Dionysos ou Stuck In The Sound cette année, en dehors des Avant Seine, c’est une volonté ?

Cette année nous accueillons aussi C2C, Agoria, The Bewitched Hands, Brodinski, Club Cheval... Depuis que le festival se déroule durant trois jours et que nous disposons d’une quatrième scène, nous en invitons plus qu’avant. Le format musical du festival fait que nous sommes très portés sur l’indie rock, un mouvement plus installé en Angleterre ou aux Etats-Unis qu’en France, même si cela tend à changer. Il est aussi important de noter que nous avons besoin d’artistes originaux, et du fait que les artistes français jouent beaucoup en France et à Paris, il nous est plus difficile d’en programmer à Rock en Seine. Nous essayons d’être en décalage, par exemple en proposant le premier concert de The Bewitched Hands avant la sortie de leur nouvel album. Au final, si l’on compte les Avant Seine et le reste de la programmation, nous devons proposer environ 1/5ème de groupes français cette année.

Pour les années à venir, qu’aimeriez-vous développer ?

J’aime fonctionner avec un coup d’avance mais, très honnêtement, le grand chantier de ces trois dernières années, à savoir l’ajout d’une scène et la réorganisation du site, a été achevé l’an dernier. Nous allons donc pour le moment perfectionner le système en place, notamment pour ce dixième anniversaire, avant de voir sur quelle lignée partir pour la suite. Nous allons sûrement nous concentrer sur l’artistique et réfléchir s’il faut proposer de nouvelles créations. Nous avons aussi senti une frustration du public quant au camping, il faut donc étudier les différentes manières de développer l’hébergement. C’est un enjeu important pour faire du festival un lieu de vie.