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Villagers

Interview publiée par Laetitia Mavrel le 6 mai 2024

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Trois ans après une interview via Zoom, car privés de promotion "face to face" pour Fever Dreams, nous retrouvons enfin Conor O'Brien de Villagers pour nous présenter That Golden Time, album renouant avec la pop bucolique des débuts du groupe. L'Irlandais, sur le point de s'embarquer dans une tournée européenne, évoque avec nous l'aspect très personnel de ce disque, ses projets en parallèle et son amour pour la Maroquinerie de la rue Boyer à Paris, un peu comme sa seconde maison dans la capitale.

Je vais débuter en revenant rapidement sur ta tournée acoustique en 2022, à laquelle j'ai assisté à Louvain en Belgique (ndlr : Conor O'Brien, accompagné de Oisín Walsh Peelo, reprenant Villagers à la guitare acoustique et à la trompette). N'ayant pas pu te produire pour Fever Dreams en Europe du fait des dernières restrictions sanitaires, pourquoi ce choix plus dépouillé lors de la reprise des concerts ?

Nous n'avons pas pu partir en tournée pour cet album en France, ni faire de festivals. Mais à ce moment on arrivait à la fin d'un cycle et d'ailleurs je commençais déjà à écrire le nouvel album. Mon manager m'a demandé si je voulais repartir en tournée mais seulement accompagné d'un musicien, quelque chose en solo avec un retour aux basiques, avec les morceaux épurés, pour retrouver les arrangements originels. Mon ami Oisín étant libre à ce moment, on s'est décidés à faire quelque chose de différent et, dans ces théâtres, il y avait beaucoup de gens qui ne connaissaient pas Villagers. C'était vraiment sympa comme expérience.

That Golden Time est ton sixième album. On y retrouve une pop folk classique, quelque chose qui tend à nouveau vers les premiers disques de Villagers. C'est un peu moins expérimental et il semble que ce soit un travail très personnel, que tu as composé et mixé seul. Tu nous avais dit en 2021 que le mixage de ton précédent disque était trop mauvais, ce pourquoi tu l'avais alors confié à David Wrench ! Est-ce que tu t'es amélioré depuis ?

Oui, j'ai beaucoup appris en termes de mixage avec David. De plus, à la différence de Fever Dreams qui est un disque plus complexe au niveau des sonorités et qui nécessite beaucoup de travail, ce nouvel album consistait surtout à allier mon chant et ma musique, et c'était bien plus facile de le faire moi-même. C'était très cool à faire et ce projet m'était trop personnel pour le confier à quelqu'un d'autre. Je l'ai composé de façon si solitaire, tout seul assis à mon bureau, j'y ai bossé tellement dur, qu'il fallait que je le mixe. C'est à la fin que j'y ai associé d'autres musiciens.

Tu as décrit ce disque comme étant le plus « vulnérable » de ta discographie. C'est parce que tu y as œuvré de façon si personnelle ?

Oui, et surtout du fait des paroles qui traitent de problèmes liés à son identité, de choses dont on a beaucoup de mal à parler aux autres. J'ai l'impression que le monde est en hyperventilation en ce moment ! Trop tendus, les gens cherchent des causes extérieures au fait qu'ils sont malheureux. Pour moi, c'est la musique qui m'aide à trouver des solutions à mon mal être, plutôt que d'essayer de trouver des solutions aux problèmes des autres ! Ce disque est une façon de faire le tri parmi tous les avis qui fusent de partout. A mon sens, la musique et l'art en général sont l'espace adéquat pour explorer tous ces aspects compliqués du monde.

Il y a un thème très intéressant qui domine dans cet album : être confronté à la réalité. L'image de la mite qui est attirée par la flamme (ndlr : l'insecte illustré sur la pochette de l'album que l'on retrouve dans le vidéo clip du premier single, That Golden Time) et qui se brûle les ailes, c'est comme nous qui nous confrontons à une réalité un peu brutale, surtout au travers d'écrans, tout ça sans filtres, sans contexte...

Oui, j'ai assemblé des mots, des pensées qui faisaient sens, en pensant à notre société qui ne sait que se positionner en groupes contre d'autres groupes, surtout ces dix dernières années. Qui gère tout ça ? J'ai moi-même plongé là-dedans durant le COVID-19, en plus de boire trop de vin ! (rires) Je me sentais obligé de donner mon avis sur tout et n'importe quoi sur internet. J'ai réussi à prendre de la distance par rapport à cela et j'ai ressenti le besoin d'exprimer comme une mise en garde contre ce comportement avec cet album. Tu sais, comme les fous dans les coins de rues qui hurlent contre des menaces ou la fin du monde ! (rires)

Personnellement, je ressens dans cet album cette distance que tu as prise, comme un effet d'apaisement...

Oui, c'est vrai, c'est un album qui sonne plus « calme ». C'est drôle, moi je le vois comme un film Hollywoodien, avec plusieurs scènes, plusieurs sentiments exprimés...

Le titre Truly Alone résonne à mes oreilles comme un guide de ce que nous devrions être, face au comportement de la société en général. C'est un faux ami, ça ne nous exhorte pas à être complètement seuls ?

En fait je constate qu'aujourd'hui les gens ne savent pas faire autrement que de se positionner dans tel ou tel camp, il n'y a plus de contemplation, de moment de réflexion, surtout avec les médias et leurs infos, on s'oppose à tout et à tout le monde. Je trouve que Nietzche apporte une bonne analyse : on n'a pas besoin de s'attacher à tel ou tel groupe ou tel parti, on peut penser librement mais pour cela il faut prendre le temps de réfléchir, de se faire sa propre opinion, c'était mon fil conducteur quand j'ai écrit l'album.

Ça fait sens, surtout aujourd'hui pour faire face à cette fameuse réalité que l'on a citée...

Et, surtout, on a besoin d'être seul pour pouvoir réfléchir, c'est aussi réussir à se retrouver avec soi-même qui est difficile. On est tellement influencés, c'est délicat de rester honnête avec nous même. Truly Alone évoque ce besoin et le fait que c'est OK de se retrouver seul, ça n'est pas négatif !

Lors de notre précédent entretien, je t'avais demandé ce que tu dirais à ton toi d'il y a dix ans si tu pouvais le rencontrer. Tu m'avais répondu « être humble et patient »...

Vraiment ? Je crois que je lui dirais surtout d'y aller beaucoup moins fort sur le whisky et le vin ! (rires)

Tu m'avais expliqué que tu avais beaucoup d'attentes au début et que c'est en travaillant avec tant de musiciens et de personnes différentes que tu t'es réellement construit. Alors, aujourd'hui, à l'aune de cette nouvelle décennie en tant que Villagers, qu'est-ce que tu attends des dix années à venir ?

Alors, déjà, j'ai un souci : je pense que je me projette beaucoup trop dans le futur, tout le temps. J'ai plutôt besoin de me concentrer sur le présent. Il faut que tu reviennes me poser la même question dans dix ans ! (rires)

C'est noté ! D'un point de vue musical, tu as exploité différents styles au travers de tes six albums. Quel serait le genre qui te poserait un réel défi pour un prochain disque ?

Ah c'est amusant cette question, ça tombe bien. On a en effet pas mal flirté avec l'électro et avec un ami, on a lancé un projet qui s'appelle Vanishing Arcs. C'est de la pure musique électronique, à la base inspirée de la techno de Détroit puis on s'est dirigés vers une musique très synthétique, plus abstraite, un peu bizarre ! On répète une fois par semaine depuis six mois et à chaque fois c'est une séance où, pendant huit heures, on essaye de bien régler notre matériel et lors de la dernière heure, enfin on fait de la musique ! (rires) Il est là le défi ! On a littéralement construit nos instruments, on a raccordé des tonnes de synthétiseurs entre eux, ça prend une place gigantesque dans la salle. Peut-être que le prochain Villagers s'inspirera de ces recherches. Pas trop non plus, mais ça va forcément avoir un impact.

Est-ce que tu chantes ou est-ce seulement de l'instrumental ?

Non à ce stade, il n'y a pas de chant, ce sont juste des bouts de synthés, des démos, on expérimente énormément.

Ça m'évoque les derniers disques solos de Martin Gore de Depeche Mode, uniquement des instrumentaux, de la musique électronique hardcore, pas du tout accessible à tous les publics, dont moi qui suis pourtant une fan dévouée de Depeche Mode ! Un side-project à l'opposé de ton travail avec Villagers, c'est très intéressant et ça nourrit aussi tes futures productions...

C'est exactement le but recherché. De faire autre chose, de sortir du moule, c'est aussi pourquoi pour le moment je ne chante pas, peut-être que ça ferait trop le lien avec Villagers justement. C'est finalement une bonne chose de séparer les deux projets de façon claire. On va essayer de faire un disque avec ça. On a déjà 200 followers sur Instagram, c'est énorme ! (rires)

Et quel serait le genre de musique que tu ne jouerais absolument jamais ?

Eh bien, avec Villagers, je ne me vois pas faire du disco. Ça ne collerait pas du tout, pourtant j'adore la musique qui fait danser mais les sons trop funky avec des grosses basses, ça n'irait pas.

Un peu de hip-hop peut être ?

Tu ne m'entendras jamais rapper ! (rires) Et pourtant j'adore Kendrick Lamar et plus jeune j'adorais Public Enemy mais je ne suis pas du tout doué pour ça. Ce serait du pur travestissement !

Tu seras de retour le 3 juin prochain à Paris, de nouveau à la Maroquinerie. Ça sera ta sixième fois. Tu aimes véritablement cette salle ?

Déjà six fois ? Incroyable ! La dernière fois que nous sommes venus c'était au Trabendo. C'était diffèrent. J'adore la Maroquinerie, sa forme est vraiment appropriée pour ma musique. La forme en cercle c'est parfait, je suis très sensible à comment est faite une salle pour les concerts.

De plus, tu joues dans des salles bien plus grandes chez toi en Irlande...

Oui en effet, pour cette tournée nous allons jouer au Trinity College à Dublin, devant 5000 personnes. C'est la salle où Air va jouer son Moon Safari le lendemain ! On joue également au Royaume-Uni dans des grandes salles, dont le Royal Festival Hall à Londres. En fait on se rend généralement dans des salles plus vastes en Europe, c'est à Paris que ça sera le plus petit concert et tant mieux, j'adore cette ambiance intimiste à la Maroquinerie, à chaque fois ça rend le show vraiment intense. En tout cas, les tickets se vendent très vite, c'est génial !