All-at-once-ness est un terme inventé par Marshall McLuhan pour définir la manière dont les barrières de la langue et de la distance qui séparaient autrefois les nouvelles idées sont abolies par la technologie. Sauf que le sociologue plus connu pour sa phrase “le média est le message” ou la découverte du village global, est mort en 1980, il pensait alors à la radio et à la télévision. Conformément à son observation, les choses se sont encore accélérées avec les réseaux sociaux.
Facebook, Instagram ou encore YouTube gardent la modération au minimum, et limitent au maximum leur responsabilité de diffuser du contenu, là où TikTok ne répond qu'à un maître qui se soucie bien peu de ce qui ébranle les sociétés étrangères... C'est révoltant, les gouvernements sont dépassés par la technologie et les hordes de juristes font tout pour épaissir le brouillard. Le public, en victime consentante, n'en a cure et nourrit la bête. Notre duo de Glasgow s'est-il découvert une âme de luddites ? Leur musique est assez low tech, mais on ne peut pas les taxer de préférer le monde d'avant, celui dans lequel ils évoluent est toujours sombre, triste et déprimant. Non, ils sont devenus parents d'adolescents et voient les dangers de la fake news et du harcèlement en libre circulation sous un nouvel angle.
Le disque démarre fort avec Allatonceness ! La basse est énorme, les guitares partent en larsens, tout ceci est plutôt nouveau pour Arab Strap, surtout avec ce niveau d'intensité. La boîte à rythmes est glaciale et la voix d'Aidan bien reconnaissable, le duo de Glasgow a toute notre attention, comme il le répète dans le refrain. C'est un morceau violent, le groupe a déclaré la guerre aux réseaux sociaux.
L'ambiance se réchauffe sur Bliss, ça sent le club et les soirées pourries, le cœur de l'univers d'Arab Strap. Dans le vidéo clip, la danseuse est seule et la chorégraphie fait plutôt penser à un cauchemar. Bienvenue dans une société de l'isolement : « They said beware of strangers, but now that's all we are » (ndlr : « Ils disaient qu’il fallait se méfier des étrangers, mais désormais, c'est tout ce que nous sommes »).
I'm totally fine with it 👍don't give a f*** anymore 👍 commence à fond de train et chaque chanson est meilleure que la précédente. Un premier album d'Arab Strap post-reformation est un cadeau (voir notre chronique de As Days Get Dark), un deuxième est un miracle. Le duo a retrouvé sa dynamique créatrice, on n'est plus dans la seule joie de se retrouver et les idées laissées en suspens pour un éventuel projet. Le travail de composition et d'écriture est ici phénoménal, tel un premier album dans lequel un groupe jette toutes ses tripes et toute son histoire, mais avec la maturité et l'expérience pour en extraire toute la puissance émotionnelle.
Certains artistes mûrissent merveilleusement après avoir survécu à une addiction (Nick Cave, Iggy Pop, Daniel Darc...), ils s'émerveillent de vivre pour de vrai après les douleurs de l'addiction, et celles du sevrage. Pendant les confinements, Aidan a développé une addiction à Twitter, et s'en est très bien sorti. C'est moins rock'n'roll que l'héroïne, mais cela colle bien au personnage. Une nouvelle lumière se dégage de ces chansons : Summer Season est si profondément déprimante qu'elle redonne de l'espoir. Il faut croire que l'été sied bien au groupe, ce morceau pourrait devenir un de leurs classiques au même titre que leur Girls Of Summer.
Comme toujours, l'album est produit par Paul Savage, et si les albums d'Arab Strap ne sortent plus chez Chemikal Underground, comme le précédent il voit le jour chez Rock Action, de l'autre côté de la rue chez leurs copains de Mogwai. Ça fonctionne d'ailleurs bien avec l'atmosphère de plus en plus électrique que développe le groupe. Un pied dans le passé, et un autre qui va de l'avant, le duo développe un style plus radical et n'hésite pas à explorer des territoires plus bruitistes comme sur Molehills et Strawberry Moon. Il y a même de très bons gimmick electro sur ce dernier ou des passages pop sur le Turn Off The light.
Ce qui devait être une collection de titres accrocheurs est un grand album aux accents sombres. Arab Strap, qui avaient failli disparaître, ont encore en réserve de grandes chansons, et cela semble n'être qu'un début.