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Eurockéennes

Belfort, du 29 juin au 1er juillet 2012

Live-report rédigé par François Freundlich le 8 juillet 2012

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dimanche 1er
La nuit fut plutôt calme au camping des Eurockéennes compte-tenu des averses de pluie. Elle n'a cessé ni le matin ni l'après-midi du dimanche, incitant bon nombre de festivaliers à lever les toiles vers d'autres cieux plus cléments et moins boueux. En bon guerriers, il faut tenir, peu importe que l'on soit déjà détrempé ou non. On s'enlise dans les allées du camping alors que le parking désastreux est laissé à l'abandon des voitures embourbées. Le site du Malsaucy ne vaut pas beaucoup mieux : de rares coins de pelouse subsistent mais l'essentiel est de ne pas glisser pour rejoindre la Grande Scène ou La Loggia.

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On se contente pour le moment de la scène de La Plage qui inquiète le plus vu sa situation sur pilotis au-dessus du lac. Des grésillements et des claquements se font entendre et les membres du Brian Jonestown Massacre sont plutôt dubitatifs. Ils débutent tout de même leur concert, faisant raisonner leurs guitares psychédéliques et lancinantes. On sent les huit américains excessivement calmes, peu de mouvements et pas expressifs pour un sou. Leur apparent ennui peut être de la concentration car cinq guitares sont toujours compliquées à mixer correctement, chose qu'ils font parfaitement. Anton Newcombe est placé tout au bout de la scène, chantant dans son coin, caché derrière ses longs cheveux qui lui tombent sur le visage. Même sa voix très grave et lointaine est masquée par les multiples effets de distorsion. Joel Gion, tambourine man, prend sa place de leader au centre de la scène pour jouer de ce seul instrument. L'ensemble s'excite un peu lorsque Matt Hollywood passe au chant pour des chansons plus entrainantes comme Not If You Were The Last Dandy On Earth et ses choeurs qui dénotent de l'électricité ambiante. Brian Jonestown Massacre manquent d'une certaine fureur pour allumer la mèche d'un show engourdi. Le niveau est tout de même élevé, saluons des compositions de haut vol qui forcent l'admiration.

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Marchons sur l'eau pour rejoindre la Green Room où les suédois de Refused s'apprêtent à sortir les Eurockéennes de leur torpeur. Dès les premières notes, le public le plus motivé s'est donné rendez-vous dans la boue à l'avant de la fosse pour en découdre sur fond d'assauts électriques de ces gentlemens venus du nord. Refused, c'est la classe vestimentaire des Hives avec le même type de leader charismatique, électron libre passé maître dans l'art du jeté-rattrapé de micro avec l'épaule. Leur son est a contrario beaucoup plus heavy, porté par des riffs de guitares incisifs et une rythmique punk.
Dennis Lyxzén ne cesse jamais de sauter, brandir son pied de micro ou escalader une tour d'enceintes depuis laquelle il saute d'un mètre de haut durant Rather Be Dead. Il explique que son groupe n'a jamais connu un succès phénoménal dans les années 90s et que depuis leur reformation cette année, ils sont excessivement heureux de jouer dans de grands festivals européens. Cela se voit. Refused sont le rock'n'roll personnifié, retournant les Eurockéennes de leurs énormes vagues électrisantes. Leur force est de ne jamais oublier d'ajouter une certaine subtilité dans leurs morceaux : il y a toujours un passage plus léger où une basse repose les ardeurs en une sensibilité pop. L'accalmie ne dure jamais trop longtemps et Refused repartent sans cesse sur du gros sans oublier les sauts de Dennis et la batterie affolée. Cette dernière arbore fièrement les mots « Free Riot Pussy » sur la grosse caisse, ce qui mérite d'être signalé. Refused auront su attiser le festival en ce dimanche comme Thee Oh Sees l'ont fait le samedi.

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Une des attractions du grand public de ces Eurockéennes est sans conteste l'américaine Lana Del Rey, star naissante de la pop mondiale et présente en exclusivité sur la scène de La Plage. La diva attire énormément de monde sur cette petite scène mais on prévoit le coup en se faufilant bien avant dans les premiers rangs. On l'imagine davantage dans la chaleur cosy du Bowery Ballroom de New York que dans la boue de Belfort. Lana a-t-elle prévu son anorak ? Non, mais des coiffeurs s'activent autour d'elle sur le bord de la scène pour que sa chevelure tienne parfaitement en place. Elle entre finalement sous une ovation dans une courte robe blanche. Un quatuor à cordes l'accompagne, ainsi que son pianiste et un guitariste. Le public s'est rajeuni et féminisé pour l'occasion, certaines se sont déplacées spécialement pour elle. Quelques problèmes de son persistent à cause de la pluie mais les violons sonnent parfaitement, tout comme les premières intonations de voix de Lana. C'est le tube Blue Jeans qui débute le concert, sans la production de son album, dans une très belle simplicité acoustique. Sa voix est au point, les morceaux reposant intégralement sur elle. Il en résulte qu'elle la pousse parfois de manière quelque peu inconfortable : on peut affirmer que sa maîtrise n'est pas encore du niveau de Robert Smith, la veille. Elle contrôle ses mains, qui ne touchent cette fois-ci pas ses cheveux, mais plutôt le haut de ses cuisses tout en soulevant légèrement sa robe... Lana minaude puis s'accroupit assez souvent, permettant aux chanceux bien placés, d'apercevoir tout ce qu'il y a à apercevoir. On reste scotché par cette voix à double face, passant dans un même couplet de la femme fatale rétro type Nancy Sinatra, vers la lolita moderne comme Britney Spears. Son attitude est également double, entre une croix dorée attachée autour du cou et la cigarette qu'elle demande à s'allumer, juste avant d'entamer Born To Die et sa gravité mélancolique. Elle laisse le public entonner « we were born to die » en fumant d'un sourire malicieux. La surprise est bonne dans les adaptations live d'un album bien trop produit, comme sur Summertime Sadness durant laquelle sa voix glisse subtilement en quasi-a capella.
La chanteuse décide d'interpréter Without You dans la fosse des photographes au bord de l'eau : une mauvaise idée car seul le premier rang en profite alors que le public qui s'étend très loin devant la scène n'en perçoit rien. L'enchainement à la fin de Carmen est presque parfait : on entend les deux premiers accords de piano de Video Games, puis plus rien. Le courant décide de sauter au moment où Lana Del Rey va interpréter son tube planétaire. Cela pourrait prêter à sourire mais voilà ce qui restera comme le gros raté du festival. Après quelques minutes d'interruption ou la demoiselle vient saluer le public puis retourne en coulisses, Video Games est finalement jouée pour notre plus grand plaisir. Ce morceau est sublimé dans une version live reprise en choeur par le public, malgré plusieurs crépitements intempestifs dans les hauts parleurs. On appréciera enfin National Anthem où Lana Del Rey fait montre d'un rythme hip-hop plutôt bon avec des arrangements toujours très minimalistes. Nous n'étions au départ pas convaincu à l'idée de voir Lana Del Rey aux Eurockéennes, mais la New Yorkaise est parvenue à nous faire mentir en proposant un concert des plus délicieux. Sa voix possède une réelle marge de progression en live, mais n'oublions pas qu'elle n'en est qu'à ses débuts. Nous lui tirons donc notre capuche.

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Sur la scène Green Room, le public est très nombreux pour applaudir Charlie Winston, le hobo à chapeau. On assiste à une certaine vision simpliste de la folk pop britannique. On se demande d'abord à quoi il joue en essayant de faire du beat-box en introduction de Kick The Bucket. Il entame ensuite le morceau, comme la plupart répétitif et ennuyeux et porté par les « lalala » du public.
Pour rester dans une bonne dynamique et ne pas sombrer dans la musique de variété, on lui préfère Poliça sur la scène de la Loggia. Le groupe américain est composé d'une chanteuse aux cheveux courts et déhanchés agréables ainsi que d'une section rythmique comptant une basse et de deux batteries, formant la base mélodique de la formation. Originaires de Minneapolis malgré leur nom à cédille, ils proposent un électro rock très rapide et surtout très dansant. Channy Leaneagh s'occupe de lancer quelques samples électroniques sur ses machines avant de rejoindre l'avant de la scène, micro en main. Sa voix peut rappeler celle d'Elly Jackson (LA ROUX), tout comme l'efficacité de compositions dancefloor couplées à une touche indie rock bien plus prononcée. Quelques sonorités futuristes et angoissantes s'enroulent autour de sa voix froide avant que les deux batteries ne se déchainent à l'unisson sur un tempo rapide. Poliça est la découverte électro rock de ces Eurockéeennes avec un son très puissant et une leader anti Lana Del Rey.

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On se place ensuite dans les premiers rangs de la Grande Scène pour la tête d'affiche de ce dimanche soir : Jack White. L'ex-leader des White Stripes, The Raconteurs et The Dead Weather se produit désormais en solo, avec une impressionnante collection de titres à jouer. Il est généralement accompagné de deux groupes différents, l'un masculin et l'autre féminin : ce sont ces dernières, toutes membres de The Peacocks, que nous avons la chance de voir ce soir. Le physique doit apparemment compter pour jouer avec Jack White et nous arrêterons là de nous plaindre du manque d'artistes féminins des derniers jours.
Le comédien américain Reggie Watts et chargé de lancer le show avec un instant beatboxing, avant d'annoncer l'entrée de Jack et ses Jackette en robes turquoise. Solo de batterie qui ne rigole pas puis Sixteen Saltines démarre le show. Jack, le charisme incarné, empoigne sa guitare pour disperser ce son qui n'appartient qu'à lui et fait raisonner son timbre de voix aigüe pour enflammer la foule. Peu de titres de son album solo seront proposés, l'essentiel des morceaux provenant de l'impressionnante discographie de ses trois groupes. Lorsqu'il s'installe au piano, on peut voir en lui un Edward Scissorhands prêt à découper les touches à toute allure, lorsqu'il fait vibrer sa guitare : un Robert Smith avec vingt ans et quarante kilos en moins. En grand fan de l'album White Blood Cells, on est heureux de découvrir que la part belle est faite à ses chansons. D'un Dead Leaves And The Dirty Ground qui met tout le monde d'accord dès le départ à une version accélérée et complètement jouissive de Hotel Yorba, peut-être la meilleure chanson des White Stripes, nous voilà comblés. Le troisième extrait de cet album fait exploser à nouveau le compteur électrique. Et voilà Jack White qui se met à jouer We're Going To Be Friends seul à la guitare acoustique unplugged. Les premiers rangs parviennent à entendre sa voix et reprennent le refrain avec lui. Un instant rare partagé avec ce showman qui ne se démonte jamais quelles que soient les conditions. Ses solos de guitare sont démentiels, alors qu'il rejoint chacune de ses acolytes pour les partager avec elles. Un petit passage par la case The Dead Weather avec Blue Blood Blues, chanté en duo avec sa tambourine girl à la voix soul. L'album culte Elephant prend part au festin avec The Hardest Button To Button et son rythme saccadé de basse qui incite le public à sauter en rythme et à crier son titre. Il est enchainé de manière improbable avec le tube Steady, As She Goes de The Raconteurs, WhiteStripesisée pour l'occasion avec solo de guitare divagante et tortueuse à la clé. Jack White remonte sur son Elephant avec la bluesy Ball And Biscuit, l'occasion de s'exclamer frénétiquement en tremblant de tout son corps « Let's have a ball girl ! », à chaque fois dans des micros différents. Ce concert trouve toute sa signification dans l'enchainement de ces morceaux d'époques différentes mais liés par ce même magnétisme. Le show se termine évidemment sur Seven Nation Army, tube de la décennie 2000. Les « po-popopo-popopo-po » s'en donnent à coeur joie, certains auront peut-être découvert que c'est bien ce monsieur qui a écrit ces quelques notes servant de cri de guerre aux soirées étudiantes ou matchs de football. Qu'importe, on chantait déjà ses couplets en se rendant aux Eurockéennes en 2003, alors ne nous privons pas de mettre nos dernières forces dans la bataille en s'écriant « from the Queen of England to the hounds of hell ! » lorsque l'ami Jack tend l'oreille. L'hymne est passé : Jack White est grand et dévoué est son troupeau.

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On se remet de nos émotions avant de partir à l'abordage de la scène de La Plage pour Miles Kane. Après le charismatique Jack White, il est sûr que l'anglais fait figure de poseur du dimanche sous ses airs de dandys rock. Il n'en impose pas vraiment dans sa veste en cuir même s'il fait tout pour prendre les poses les plus rock'n'roll possible pour ses groupies. Malgré cela, avouons que ses morceaux au léger coté psyché-rétro sont plutôt bien exécutés.
S'inscrivant dans la pure lignée indie rock anglais des années 2000, on a toutefois l'impression d'entendre Alex Turner en fermant les yeux. Avec son refrain en « dap-dap-dap », Quicksand prend la forme d'un tube pop imparable des plus dansants. Ses titres ont le mérite d'être entrainants même après trois jours de festivals, même s'il donnent l'impression de combler le vide des textes par des onomatopées diverses et variées. Après Turner, l'influence de Liam Gallagher est évidente dans cette voix aux intonations prolongées et ce mouvement de tête. Pourtant, c'est bien Le Responsable de Jacques Dutronc qui est reprise dans sa version british, The Responsible. L'influence du concert précédent crée une connexion dans notre esprit entre Come Closer et Fell In Love With A Girl des Whites Stripes, ce qui a le mérite de prolonger le plaisir de l'ami Jack. C'est d'ailleurs à ce dernier que Miles Kane dédicace Inhaler, jouée toute en puissance tandis que l'on inhale une dernière fois l'atmosphère du lac du Malsaucy. On ne peut pas dire que Miles Kane ait inventé le fish & chips, mais il a su livrer un concert honnête et énergique.

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Ça sent le sapin mouillé sur la Grande Scène où Cypress Hill remuent une dernière fois la Grande Scène en faisant sauter les festivaliers sur un sol mouvant, criant en choeur des Insane In The Brain. En mode hip-hop old school, les deux rappeurs B-Real et Sen Dog occupent les avant-postes en envoyant leur flow maléfique. DJ Muggs s'occupe des parties instrumentales, dont beaucoup de passages sont connus et reconnus, comme When The Shit Goes Down, pour des textes toujours très coprophiles. Un batteur est également présent pour relever ses mixes. Alors qu'ils s'allument un imposant joint, ils s'approchent d'une caméra pour que l'objet apparaissent encore plus énorme sur les écrans géants, avant d'entamer I Wanna Get High. Les derniers courageux danseront jusqu'à la fermeture des portes mais il est temps pour nous de lever les voiles et de quitter ces Eurockéennes 2012 pleines de surprises.

Le festival belfortain s'achève donc sur une année record : un camping plein où il était compliqué de se trouver une petite place et un record d'affluence avec plus de 100 000 personnes : du jamais vu. L'amplitude thermique a fait des siennes, passant de 32°C à 14°C en quelques heures avec une tempête qui aura été dans l'ensemble bien gérée. Coté artistes, on retiendra la magistrale prestation de 2h30 de The Cure, la plus longue de l'histoire du festival. Pas loin dans notre cœur, Jack White a livré un show dantesque et fou. On pense également au grande retour de Bertrand Cantat que l'on espère revoir très vite sur les scènes françaises. Au rayon gros son, citons les Thee Oh Sees et Refused qui nous ont énervés comme il se doit. N'oublions pas Django Django, Hanni El Khatib ou Poliça pour de très bonnes prestations. Enfin Lana Del Rey a su prouver qu'elle méritait sa place aux Eurockéennes en proposant un concert tout en finesse et en minimalisme, bien loin de la furie habituelle d'un festival.

Merci aux Eurockéennes et à l'année prochaine pour les 25 ans du festival ! s
artistes
    1995
    Alabama Shakes
    Cypress Hill
    Jack White
    Carbon Airways
    Charlie Winston
    Le Comte de Bouderbala
    Orelsan
    Refused
    Chinese Man
    Lana Del Rey
    Miles Kane
    Set & Match
    The Brian Jonestown Massacre
    Dope D.O.D
    Poliça
    Reggie Watts
    The Buttshakers
    Cie Transe Express