Dry The River – scène Odeon – 13h00
Horaire impossible pour l’un des groupes récents les plus en vue de cette année. Les Londoniens de Dry The River ouvrent ainsi la plus longue journée du festival, alors que la pluie s’abat sur le camp depuis ce matin. La tente Odéon sera le parfait refuge de début de journée, où l’on réalise que
Shallow Bed ne fait finalement pas totalement honneur à la musique de Dry The River.

Les guitares et les lignes de basses s’emballent, s’écrient, et prennent le pas sur la voix lyrique de Pete Liddle. Le côté folk-mélodique prononcé sur disque disparaît presque complètement au profit d’un penchant prog-rock, voire même garage à certains moments. Le rock mélodieux et sensible que l’on connait de Dry The River se transforme en une machine lourde, à la violence contenue, dont les seuls témoins seront les fêlures provoquées par ces montées vocales lumineuses et provocantes.
Il se dégage de ce concert une puissance confondante. Pas de celle provoquée par la rage, ni la frustration. Juste celle issue d’une fulgurance existentielle. Imaginez
New Ceremony ou
No Rest avec moins de violons, mais plus de vrombissements, plus de brutalité, avec une voix qui s’égosille pour exister au milieu de cette cacophonie électrique. Excellente surprise.
First Aid Kit – scène Odeon – 15h00
Les deux sœurs suédoises Söderberg font tente comble pour leur seconde venue à Roskilde, et parviennent, presque avec étonnement, à tenir leur public au crochet de leurs chansons folk, s’inscrivant dans un bain d’influences très fortement nord-américaines.
Bien que les variations – rythmiques ou thématiques – soient peu marquées, la formule de First Aid Kit fonctionne somme toute assez bien. Les harmonies sont soignées, et la voix forte et profonde de Klara résonne merveilleusement sans faiblir. Les fans ne seraient pas collés les uns aux autres, sûr que l’on aurait pu voir des jeunes gens aux cheveux longs danser en rond en se tenant la main, pieds nus dans la boue, chantant des chansons venues d’un ailleurs fantasmé, et sans véritable identité.
La voix de Conor Oberst ne manque d’ailleurs pas vraiment au moment de
King Of The World, qui enchante un public applaudissant, au travers de First Aid Kit, les ombres des Emmylou et autres Joni, que les sœurs Söderberg font revivre à travers leurs ballades.
The Roots – scène Orange – 17h00
Ca s’affaire sur scène, et l’on sait que les Roots aiment profondément la musique. Au point de commencer leur set par une reprise hommage de
Paul Revere des Beatie Boys, en hommage à MCA. Vingt ans de carrière, et Black Thought préfère saluer la mémoire de leur congénère et ami, et faire une révérence emplie d’humilité à la Musique, qui lui permet d’être là. Rare et beau.
Autre point étonnant de ce concert des Roots, son aspect Best Of, avec relativement peu de chansons récentes, se concentrant sur la partie plus grand public de leur carrière, période
Things Fall Apart et
Phrenology. En forme et en jambes, le groupe enchaîne les chansons, entrecoupées de ce qui pourrait s’apparenter à des bœufs, où ?uestlove s’éclate derrière sa batterie, pendant les gens attendent patiemment la suite.
Plus funk que rap, les Roots se montrent très démonstratifs, et varient sans accrocs phases mouvementées (
Here I Come, The Seed 2.0) et épisodes plus laid-back (
Proceed, Break You Off), avec un medley fulgurant en plein milieu allant de Guns N’ Roses à Led Zeppelin en passant par Donna Summer. Quand on vous dit que les Roots aiment la musique !
M83 – scène Arena – 20h00
On sait qu’il faudra quitter M83 prématurément pour aller voir Bruce Springsteen, et on le regrette déjà, avant même que les premières notes ne se fasse entendre, avant même que les premières lumières n’envahissent Arena.
Anthony Gonzalez, grâce au succès international de
Hurry Up We’re Dreaming, commence tout juste à jouir d'une certaine notoriété en France, tandis que partout ailleurs M83 remplit les salles. Déjà de passage pour un concert complet à Copenhague à l’automne, c’est sous une ferveur bien méritée que débute le groupe français. Spots lumineux et ambiance cosmique, les synthés fusent et remplacent le silence par un buzz qui ne quittera plus l’environnement sonore.
Dans une configuration de groupe classique (guitare-basse-batterie-machines), M83 fait danser au ralenti, avec une certaine grâce. Les lumières tournoient et fixent l’atmosphère électrique de chansons qui survolent le public, comme une vague. Autour de nous, on voit des personnes sauter, lever les mains en l’air, aux côtés d’une fille qui regarde ses pieds, et remue la tête. Au loin, Gonzalez s’éclate et
We Own The Sky transcende le monde.
Bruce Springsteen & The E-Street Band – scène Orange – 21h00
Entre le concert et cette chronique, Bruce Springsteen aura déjà joué six concerts en Europe. Si ceux-ci ont été de la même envergure que ce que nous a délivré le Boss à Roskilde, il ne devrait pas survivre bien longtemps. Mais Springsteen semble implacable, imperméable à l’usure naturelle des choses, à la vivacité déclinante des éléments. Bien sûr, le souffle vient parfois à manquer, et les allers et retours incessants deviennent un peu plus rares à mesure que le concert avance, mais plus que la longévité, c’est l’inflexible exaltation de Springsteen qui nous paraît inconcevable. Trois heures de concert, cette imposante carcasse qui marque l’épreuve du temps et ce sourire inébranlable de jeune premier.

Cela faisait déjà plusieurs mois que ce jour du festival était sold out, avec cette date unique de Bruce Springsteen au Danemark, qui bénéficie d’un traitement de faveur avec un créneau unique de trois heures assurées. Trois heures, et il n’aura pas été possible d’effacer ce sourire, cet entrain, cette énergie qui anime Springsteen depuis quarante ans. Tout de bleu vêtu et accompagné de son inénarrable E-Street Band, avec Sprinsgteen, c’est surtout quarante ans d’une certaine histoire du rock américain qui se déroule sur la scène Orange de Roskilde.
Il y a tout d’abord le contemporain, avec une part belle du concert dédiée à la période post-
The Rising, qui se manifeste au sein des chansons communautaires animées par une spiritualité, témoin du Bruce populiste et socialement investi (
We Take Care Of Our Own ou
Land Of Hope And Dreams sur
Wrecking Ball et
Waiting On A Sunny Day et
The Rising sur l’album homonyme). Il y aura aussi l’absence évidente de la décennie 90 lors de sa séparation d’avec le E-Street Band.
Puis il y aura le Bruce Springsteen que les livres d’histoire mentionneront. Le Springsteen qui mêle engagement social, introspection, et rock’n’roll. En voyant Springsteen et Van Zandt s’amuser sur
Glory Days comme des gosses en roue libre, on ose imaginer l’intensité des concerts qu’ils pouvaient donner dans les petits bars du New Jersey, comme relatés dans Rolling Stone. Car si, en 2012,
Born To Run ou
Dancing In The Dark parviennent encore à provoquer liesse et candeur pour plusieurs dizaines de milliers de personnes, c’est que la grandeur et tragédie de Springsteen se joue dans cette immuabilité de la frustration des hommes. Devant moi, deux quinquagénaires se sont sautés dans les bras aux retentissements de la batterie lançant
Born To Run.
Les Roots feront même leur petite apparition sur Un
E-Street Shuffle, plus symbolique qu’endiablé, invités sur scène par Springsteen. Puis, lors du rappel,
Tenth Avenue Freeze-Out s’arrêtera, pour laisser place à un hommage silencieux à Clarence Clemons, avant de finir en beauté avec une reprise de
Twist & Shout.
Quarante ans de carrière pour joindre un bout à l’autre d’une vie fantasmée du rêve américain. Du gamin du New Jersey qui composait ses chansons sur sa guitare, jouait avec un ersatz du E-Street Band, et se rêvant héraut du rock moderne ; pour devenir cette voix respectée et inévitable, garant d’un passé ancré dans son être le plus profond.
Dominique Young Unique – scène Cosmopol – 00h00
Cela pourrait paraître très caricatural – production tapageuse, MC en shorty short, une voix criarde – si Dominique Young Unique n’était pas aussi charismatique et ne possédait pas un flow redoutable. Auteur d’une première mixtape assez remarquée, la jeune Américaine chante comme un politicien scande. Ses mots claquent sur les productions de Yo ! Majesty, et il est impossible de rester de marbre sur cet hybride rap-funk moderne et survitaminé.
Si, à la longue, le fluo et la voix haut perché de Dominique Young Unique peuvent fatiguer, il n’empêche que la scène Cosmopol ne peut que s’incliner devant une telle débauche d’énergie. Si elle parvient à catalyser cette force brute en un ensemble plus cohérent et désigné, il se pourrait que Dominique Young Unique puisse se faire un beau nom dans la scène hip-hop alternative féminine, aux côtés d’Azealia Banks.
Paul Kalkbrenner – scène Arena – 01h30
Tout le monde attendait beaucoup de la sensation berlinoise Paul Kalkbrenner. Alors que la plupart des actes électro festifs et dansants ont été relégués sur la scène Apollo, le producteur allemand a les faveurs de l’Arena, pour conclure cette faste journée. On a dû lui demander de mettre en place un set techno qui tabasse et qui renverserait les foules. Car la musique de Kalkbrenner est relativement minimaliste, jouant sur les textures et les variations, se basant sur des basses solides.
Ici, tout n’est que rythmes et basses – ce qui change l’essence même de la techno minimale de Kalkbrenner. Les nuances, les évolutions permanentes, les rythmes insidieux, tout cela disparaissant au profit d’une techno pour foules. Semi-déception donc, car les titres perdent ainsi énormément de leur identité (et originalité) pour devenir des hymnes dansants passe-partout, abrutissantes et répétitives. Reste néanmoins le toucher et la technique de Kalkbrenner, permettant quelques envolées primitives et éminentes.
Lee Fields & The Expressions – scène Odeon – 03h00
Dernier concert d’une longue journée. Le vétéran Lee Fields s’affaire devant un parterre hétérogène. Certains dansent les yeux fermés au rythme du jazz langoureux des Expressions. D’autres sont allongés dans l’herbe alors que Lee Fields croone dans sa chemise blanche. Le reste est attentif et se laisse emporter par la soul tendre et la voix chaude délivrée par le groupe. On pense évidemment à Al Green et James Brown, on entend parfois Curtis Mayfield, et l’on songe à cette figure revenue d’un peu nulle part – Fields a été redécouvert par la nouvelle génération qui ont samplé ses titres funks des années 70 – qui chante avec vigueur, qu’il est trois heures du matin, et s’applique comme s’il devait séduire un stade entier.