Chronique Album
Date de sortie : 12.09.2025
Label : Music For Nations
Rédigé par
Franck Narquin, le 9 septembre 2025
2014. Deux potes de Manchester, Harry et Matt, bidouillent des morceaux dans leur chambre sous le nom de Maruja. Deux EPs d’essai plus tard, vite reniés et désormais introuvables, le groupe change de formation, prend feu sur scène et se réinvente. En 2023 et 2024, Knocknarea et Connla’s Well imposent leur signature, une musique intense, mouvante et impossible à étiqueter.
2025. Voici Pain to Power, premier album officiel. Difficile à croire, tant Maruja se sont forgés une place unique dans le paysage musical anglais depuis quelques années grâce à des prestations live héroïques et des morceaux homériques. Enregistré en seulement deux mois au fil de longues sessions d'improvisations, Pain To Power a pourtant été en gestation pendant près de dix ans. En résulte une œuvre sauvage mais raffinée, aussi violente qu'apaisante. Un disque libre et brûlant, d'une inventivité formelle tourbillonnante, presque soûlant, un manifeste juvénile et rageux mutant en cours de route en œuvre de la maturité.
Véritable marqueur dans le paysage rock actuel, trop intense, trop long, trop plein, trop riche, trop rêche et parfaitement imparfait, Pain To Power est le disque le plus excitant, brillant et novateur qu'il nous ait été donné d'écouter cette année. Maruja y alternent plages à l'efficacité immédiate et monument au long cours atteignant les dix minutes. Dépassant toute étiquette, qu’elles soient jazz, punk, rap, ou post-rock, ils balaient tout sur leur passage. Bienvenue sur Pain To Power, une déclaration de guerre doublée d'une déclaration d'amour.
Enregistré dans les conditions du live et pensé comme un concert tant dans sa narration que son évolution émotionnelle, cet album sonne parfois comme un mash-up entre John Coltrane et Rage Against The Machine. Si le groupe cite Kendrick Lamar, Little Simz, Swans, Kamasi Washington, Alice Coltrane, Floating Points ou Godspeed You! Black Emperor comme références, toutes ces sources semblent ici fusionner en un nouveau genre nommé Maruja. Avec Pain To Power, les mancuniens viennent couronner cette vague de groupes sans œillères qui tentent d’abolir les codes et les genres en canalisant leur rage sans jamais la taire, de Benefits à Opus Kink, de black midi à The Comet Is Coming.
Sans sommation, Maruja dégainent Bloodsport, introduction tellurique mêlant free jazz, punk hardcore et chant à la Zack de la Rocha accompagné par une section rythmique aussi sauvage qu’un beat de drum and bass. D’entrée, ils saisissent l’auditeur à la gorge, laissant éclater leur force et leur colère. Une mise en jambe aussi brutale et frontale qu’un high-kick asséné par Jean-Claude Vandamme.
Pour autant ce premier round ne préfigure en rien la monumentale claque que le groupe nous réserve. Longue plage de dix minutes, ultra puissante, alternant moments de calme et montées de rage, Look Down On Us s’impose comme la pièce de résistance de Pain To Power. Dantesque, ce trip ahurissant semble naviguer entre les dédales mentaux de David Lynch, la poésie macabre de William Burroughs et les montagnes russes soniques de Mogwai. Ce séisme se voit accompagner de deux répliques aussi longues mais de moindre intensité avec le torturé Born To Die et l’aérien Reconcile, venant clore l’album sur une note plus solaire.
Entre ces monuments, Maruja reviennent avec des morceaux courts et bruts, portés par un phrasé entre spoken word et rap, idéaux pour des pogos dévastateurs comme Break The Tension et Trenches. Et si le groupe sait cogner là où ça fait mal, il sait également se faire réconfortant, doux comme un agneau, sur le très calme et introspectif Saoirse, d’une beauté à couper le souffle avec ses cuivres aériens et son chant apaisé, ou sur Zaytoun avec son jazz cosmique et atmosphérique digne de la grande Angel Bat Dawid.
On ressort rincé et hagard de ces cinquante minutes virevoltantes faites d’amour et de violence, mais émerveillé et béat devant la splendeur unique et étrange de ces huit titres fiévreux. On s’est plaint du temps pris par Maruja pour nous livrer leur premier LP et pourtant, cet album parait à la fois intemporel et parfaitement dans son époque, captant dans un même mouvement l’urgence du présent et le résultat d’années de travail à peaufiner leur son. On pourrait résumer ainsi : avec Pain To Power, Maruja viennent de signer leur chef d’œuvre.
Il leur a fallu dix ans pour l’écrire. Il nous faudra dix ans pour nous en remettre.