Jeudi après-midi, toutes les scènes du Primavera Sound Festival sont désormais ouvertes et la fête peut réellement commencer. Compte-tenu du gigantesque site du Parc Del Forum et ne voulant pas se faire piéger par la marée, on commence doucement avec quelques concerts de pop tranquille et un passage à l'Auditorium pour le grand Sun Kil Moon, juste avant de danser avec le coucher du soleil. On plonge dans l'abime et on se laisse emporter.
Le plaisir d'arriver sur le site et de voir la scène Rayban sur fond d‘horizon marin ne lassera jamais. On s'assoit tranquillement sur ses marches en sirotant un breuvage et en écoutant le premier concert
Hiss Golden Messenger, duo de North Carolina nous donnant envie de chanter Country Roads, West Virginia. Mais ça n'est pas la même personne. Un peu de folk blues americana pour bien s'imprégner de l'après-midi Catalan, voilà qui a de quoi nous réjouir fortement.
Le camp est finalement levé pour ne pas manquer les Australiens de
Twerps sur la scène Pitchfork. Les quelques titres écoutés ici et là avaient aiguisé notre curiosité, on sort donc le nez de la tanière pour ne pas manquer ces popeux de Melbourne, qui nous smashent leurs compositions ensoleillées en pleine face. De légères guitares entêtantes forment des mélodies simples rappelant parfois Belle & Sebastian, lorsque la voix féminine succède à celle du chanteur sur
Conditional Report. Mais leur tube reste cette petite perle de
Back To You avec son refrain aisément chantonnable et qui nous colle immédiatement le sourire aux lèvres. On n'en attendait pas plus, ni moins, Twerps eux-mêmes sont surpris de jouer ici devant autant de monde. Ils ont en tout cas rempli leur mission du groupe goûter Candy'Up/Dinosaurus de l'après-midi.
Un petit détour par la scène de la marque aux trois bandes (où l'on aura bandé plus que trois fois) Adidas pour des
Cheatahs bien énervés. Les londoniens déploient leur shoegaze-pop lancinante portée par la voix masquée du chanteur inséparable de sa veste en jeans qu'il portait également lors de la dernière Route du Rock. Les Cheatahs envoient gentiment leurs riffs divergents mais somme toute assez paisibles. Si on ressent parfois des inspirations de Sonic Youth, les influences sont aussi vastes que les origines canadiennes, allemandes ou californiennes des membres du groupe.
Les vagues sont un peu trop petites à surfer, on se rabat donc sur nos protégés de
Viet Cong, de retour après un show mémorable dans la salle de l'Apolo la veille. Il est toujours compliqué d'apprécier un concert en festival juste après l'avoir vu en salle, l'ambiance est forcément moins électrique, surtout pour un groupe qui envoie bois, pâté et à peu près tout ce qu'il est possible d'envoyer dans l'argot français. On les aperçoit un peu mieux de jour, l'occasion de se focaliser sur la voix d'ours enroué d'un bassiste chanteur au jeu hyper-rapide. Les saccades succèdent aux guitares planantes et toute la froideur de l'Alberta se ressent dans le post-punk jouissif des Viet Cong même si le groupe sonnerait presque comme des Mancuniens. On frémit à nouveau sur les résonnances math-rock de
Silhouettes ou ce qui restera comme un des meilleurs morceaux de cette année :
Continental Shelf. Deux concerts de Viet Cong n'étaient vraiment pas de trop.
On va se calmer un peu à l'Auditori, cette salle géante qui trône comme un gros morceau de charbon de bois à l'entrée du Parc Del Forum. La perfection du son est palpable dès les premiers accords joués par
Sun Kil Moon, alias le grand Mark Kozelek. Le songwriter Californien embarque avec lui Neil Halstead (Slowdive), assis sous sa casquette, à la guitare et aux chœurs. Entre deux compositions hors du temps, Mark Kozelek nous fera profiter de son verbe acéré, demandant par exemple si les gens criaient « Hey Neil ! » à un concert de Neil Young, en réponse aux « Hey Mark ! ». Il ne faut pas trop l'ouvrir sous peine de se voir rembarrer, on ferme donc sa bouche et on écoute. Et on ne demande que ça puisque la beauté subjugante de chaque morceau nous fera trembler à chaque note. La première larme s'écoule sur
Micheline, bouleversante ballade aux textes intimes, faits d'histoires si bien contées par cette voix sombre et d'une profondeur insondable. Mark Kozelek raconte les souvenirs de son passé, ces détails dont il se rappelle et qui forment les restes d'une époque révolue. Cette narration unique nous scotche aux fauteuils moelleux, pour ne lâcher l'étreinte qu'après le silence contemplatif qui succède à chaque morceau. Au-delà des ballades, le groupe s'énerve dans des développements électrisants, la voix parlée de Mark Kozelek libère toute sa puissance tandis qu'il parcoure la scène de droite à gauche. On repense à la prestation fulgurante de Nick Cave, en se prenant à peu près la même claque sur l'autre joue. Kozelek propose finalement au public de choisir entre le titre
Dogs ou une nouvelle chanson d'un album surprise à paraître cinq jour après le concert. Le public criant
Dogs, il jouera finalement
This Is My First Day And I'm Indian And I Work At A Gas Station. Yeah. Mark Kozelek est décidément l'un des meilleurs songwriters actuels.
Parmi la scène psychédélique Californienne actuelle, avouons que notre préféré reste
Mikal Cronin, qui débarque avec son groupe sur la scène Rayban, toujours la meilleure scène du festival. Ses albums sont emplis d'enchainements de tubes et ses concerts n'en manquent logiquement pas. Il nous embarque dès le début avec sa voix claire et ses sonorités psych-pop hyper entrainantes, donnant envie de sauter sur place sans s'arrêter. On ressent comme un sentiment de perfection à ce moment précis, le genre de concert idéal où tout le monde est heureux et profite simplement de l'instant présent. Après une introduction sur les morceaux de son dernier album
MCIII, Mikal Cronin enchainent sur ses titres les plus entêtants de l'excellent
MCII, comme une version accélérée électrisante de
Weight et ses notes de piano qui font réagir l'audience dès les premières notes. On reprendra en chœur le refrain de
Shout It Out et ses libérations de tube punk-pop marquant le sommet du concert. La fin sera bien plus énervée avec les entremêlements des guitares saturées prenant de plus en plus d'ampleur, même si le leader et sa gueule d'ange reste au top de lui même. La fête et la joie étaient au rendez-vous, avec Mikal Cronin.
Voici venu le temps des têtes d'affiches, nous retrouvons la grande scène ATP pour l'un des groupes culte du rock britannique des 90's dont les dernières albums sont toujours remarquables.
Spiritualized va nous porter dans une autre dimension avec ses morceaux contemplatifs emplis d'une introspection spirituelle. Jason Pierce élève sa douce voix mélancolique, se dressant de profil, tourné vers son groupe et poussant chaque titre dans de lentes évolutions spatiales doublées de chœurs soul féminins. Spiritualized oscille entre vaste excitations instrumentales touchant au noisy et langueurs lunatiques dérivantes. Le terme de space rock trouve ici tout son sens et incite à fermer les yeux pour profiter de la transe solaire dans laquelle nous invite les anglais. Le concert semble moins accessible que celui donné en 2012, le groupe proposant des titres moins connus de sa discographie, dont plusieurs extraits de l'album
Amazing Grace et aucun du dernier en date. Les spécialistes apprécieront, les autres profiterons de l'intensité de l'enchainement
Electricity/Shine A Light et ses étirements à la Pink Floyd. Voilà un groupe touché par la grâce et qui la disperse aussitôt dans son public.
Il est un coin du Primavera Sound Festival surnommé Mordor, où les choses prennent une tournure plus chaotique : les deux scènes géantes des têtes d'affiche, longeant la skyline de Barcelone. Notre premier détour par cette partie surpeuplée du festival se fera pour le concert de
The Black Keys, ce duo dont on se souvient des premières parties en club vers 2004 et qui est aujourd'hui devenu une vraie machine à tube. A l'inverse de Spiritualized, les Black Keys ne sont pas venu pour nous caresser le cerveau mais pour envoyer leurs guitares heavy aux tournures dansantes. Forcément, devant ces scènes gratte-ciel, on a davantage l'impression d'être dans une fourmilière qu'à un concert et on ne peut y entrer réellement qu'à 50%. Les Black Keys alternent une pop de stade à base de « ho ho ho » avec quelques vieux titres blues-rock plus saignants qui nous raviront davantage. Malgré ce son de guitare si reconnaissable qui nous a bercé il y a quelques années, il manque la rage qui les caractérisait jadis, l'ennui nous gagnant de manière assez régulière. On s'enfuit finalement vers un espace plus respirable ou un concours d'imitation du clip de
Lonely Boy s'est improvisé sous l'influence de breuvages douteux. Ce concert des Black Keys était simplement trop gros après la fraicheur des concerts précédents.
On tentera de terminer sur la prestation de
Sunn O))) mais impossible de traverser le mur géant de grincements d'infra-basses permanent. La musique de l'enfer se jouera sans nous, coupant court à ce premier soir afin de pouvoir recommencer au plus tôt les deux jours suivant. Le meilleur reste à venir.